Ce que nous avons appris des deux juges qui se sont penchés sur les appels automatisés

Il est très instructif de lire les deux décisions en parallèle. Dans la première, le juge Mosley, de la Cour fédérale, s’occupait de ce que l’on a généralement appelé l’affaire du Conseil des Canadiens – tentative visant à renverser l’élection de six députés conservateurs élus là où il y a eu de la fraude. Le juge Mosley a rendu sa décision en 2013. Dans l’autre cause, le juge Hearn, de la Cour de l’Ontario, était chargé des accusations criminelles portées contre Michael Sona,  l’auteur présumé des appels à Guelph.  La décision dans cette affaire a été rendue en août 2014.

Guelph n’était pas l’une des six circonscriptions dans l’affaire du Conseil des Canadiens. Grâce à ces deux causes distinctes, nous disposons de conclusions issues du système fondé sur la preuve du Canada par un tribunal relativement à sept circonscriptions. (Dans l’affaire du Conseil des Canadiens, il s’agissait de Winnipeg South Centre, Saskatoon, Rosetown-Biggar, Elmwood-Transcona, Nipissing-Temiskaming et Guelph. ) Même si nous savons qu’il y a eu des appels trompeurs dans un beaucoup plus grand nombre de circonscriptions, dont Saanich-Gulf Islands, aucune décision juridique n’y a été rendue.

Considérant les deux jugements ensemble, nous savons désormais que :

  1. « …une ou des personnes […] ont consenti des efforts concertés pour supprimer des votes lors de la campagne électorale de 2011… » (Le juge Mosley, dans l’affaire du Conseil des Canadiens, Cour fédérale, McEwing c. Canada [2013] 4, R.C.F, par. 184.)
  2. Dans l’affaire du Conseil des Canadiens et dans l’affaire Sona, les messages utilisés dans les six circonscriptions ciblées par les appels trompeurs étaient identiques. Le juge Hearne a précisé le contenu du message  : comme l’on s’attend à une augmentation de la participation électorale, le lieu du bureau de vote a changé, et se situe dans le Old Quebec Street Mall, 55 Wyndham Street North, et le fait qu’un numéro de téléphone d’urgence était indiqué et que des excuses étaient formulées pour tout inconvénient que ce changement pourrait causer. On sait que le message est une tromperie, que le lieu des bureaux de vote n’a pas changé et que le message ne provenait pas d’Élections Canada. Dans son jugement, le juge Mosley a inclus le texte intégral de l’appel : « Ceci est un message automatisé d’Élections Canada. Étant donné que la participation électorale sera plus élevée que ce qui était prévu, l’endroit où vous devez voter a été modifié. Votre nouveau bureau de vote se trouve à […] Je répète, votre nouveau bureau de vote se trouve à […] Si vous avez des questions, veuillez téléphoner à notre service téléphonique au numéro 1‑800‑434‑4456. Nous nous excusons des inconvénients que ce changement pourrait vous occasionner ».
  3. Une seule personne a été accusée de cette activité criminelle : Michael Sona, jeune homme d’ une vingtaine d’années et directeur des communications pendant la campagne du Parti conservateur à Guelph. Le juge Hearn ne l’a reconnu coupable que de complicité et a précisé que, selon lui, d’autres personnes étaient impliquées et qu’il était peu probable que Sona soit l’auteur de la machination. Ce dernier n’avait aucune connexion avec les six autres circonscriptions et personne n’a laissé entendre qu’il en était responsable.
  4. Les deux juges ont analysé la machination. Ils ont examiné la nouvelle technologie qui permet d’envoyer des enregistrements automatisés à des milliers de numéros de téléphone. Les deux juges ont constaté qu’il est relativement simple d’établir des comptes par lesquelles des entreprises offrent ce service. (Michael Sona ayant été accusé au criminel, la décision rendue dans l’affaire donne beaucoup de détails sur l’utilisation de téléphones cellulaires jetables et de cartes de téléphone prépayées pour éviter de laisser des traces. À Guelph, les comptes ont été établis par quelqu’un qui utilisait le prête-nom de Pierre Poutine. L’entreprise de Guelph s’appelait RackNine et était basée en Alberta. Elle disposait de nombreux comptes pour les campagnes des conservateurs au Canada, notamment à Guelph.

Les deux juges ont décrit la nouvelle technologie qui permet à un appel entrant de s’afficher sur le téléphone du destinataire comme un nom et un numéro n’ayant aucun lien avec l’appel. C’est ce qu’on appelle l’usurpation d’adresse. Les appels semblaient provenir d’Élections Canada.

Les deux juges se sont concentrés sur les aspects complexes du crime : l’auteur connaissait des lieux plausibles, même s’ils étaient mal commodes, pour les faux emplacements des bureaux de vote et, surtout, les appels ciblaient des électeurs qui avaient déjà indiqué qu’ils ne comptaient pas voter pour les conservateurs.

Les deux juges, qui se sont donnés beaucoup de mal pour confirmer qu’il n’y avait aucune raison de soupçonner que les candidats conservateurs de ces circonscriptions connaissaient la machination, ont conclu que le bénéficiaire de ces appels envoyant les électeurs à de faux bureaux de poste était le Parti conservateur.

Les deux juges ont établi le système de gestion de l’information sur les circonscriptions (SGIC) du Parti conservateur comme source des numéros utilisés dans la machination. En fait, dans l’affaire Michael Sona, il était admis que les numéros provenaient de la base de données du SGIC. Il était également admis que Michael Sona n’avait pas accès à ce système.

Dans l’affaire du Conseil des Canadiens. Le juge Mosley a constaté « qu’une ou des personnes ayant accès à la base de données du SGIC avaient consenti des efforts concertés pour supprimer des votes lors de la campagne électorale de 2011 » (insistance ajoutée par la députée).

Dans le présent numéro…