Elizabeth May, O.C., députée
Le 2 février 2017
Dans la culture autochtone nord-américaine, il y a une vieille parabole qui, selon mes sources les plus fiables, viendrait des Cherokees. Pour ma part, c’est un aîné Mi’kmaq qui me l’a racontée.
C’est l’histoire d’un grand-père expliquant à son petit-fils qu’à l’intérieur de lui, une guerre fait rage.
« Il y a deux loups, dit-il. Les deux sont en lutte à l’intérieur de moi, et à l’intérieur de toi aussi.
L’un des loups est vil. Il est plein de ressentiment, de cupidité, de jalousie et de violence. L’autre est la bonté même. Il se nourrit d’espoir et d’amour, de guérison et de générosité. »
Les yeux du petit garçon deviennent tout ronds. « Lequel des deux loups gagnera, grand-père? »
« Ah, cela dépend du loup que tu nourriras », répond le grand-père.
Cette parabole est à l’image de la société d’aujourd’hui, qui est au cœur d’une cruelle bataille. Les démocraties du monde entier sont menacées, comme si deux loups y avaient planté leurs crocs dans l’espoir d’obtenir le plus gros morceau. Les idées et idéaux politiques s’arrachent l’attention. Parfois, on sent de l’inquiétude. Est-ce une odeur de fascisme qu’il y a dans l’air? Un simple dérapage? De l’oxygène alimente des courants que l’on croyait disparus : la suprématie blanche, le racisme, la misogynie, la haine.
Des deux loups, le vil se nourrit de crainte, de division, de cynisme et de préjugés éhontés. L’autre est pur. Il a besoin d’espoir, de confiance mutuelle, de coopération. Il a la foi, il se nourrit d’amour.
Lorsque notre jeune premier ministre s’est présenté à nous, il avait l’image du bon loup. Il inspirait l’espoir. Il incarnait la compassion et le souci de l’autre, la générosité et le partage. Il a dit aux jeunes (et à nous, les plus vieux) : « Je suis ici pour provoquer de vrais changements. »
J’ai été ravie de voir les libéraux arriver au pouvoir sans avoir à payer une seule publicité mensongère. (En cette époque de cynisme politique, cela mérite des points. Un beau recul pour les politiciens qui ont le don de tordre leur message.)
J’ai été ravie, aussi, que le pouvoir exécutif soit redistribué aux ministres du Cabinet plutôt que d’être concentré chez le tout-puissant Bureau du premier ministre. Les lettres de mandat de 2015 ont établi de façon transparente quelles étaient les promesses. J’ai cru fermement que chaque promesse de campagne serait respectée, car chacune d’elle figurait dans le Discours du Trône.
Je dois admettre que les promesses des libéraux en matière de changements climatiques n’étaient pas particulièrement difficiles à tenir. Elles étaient vagues et sans grande portée – mieux quand même que celles de Harper – et ne représentaient aucun défi. J’en ai conclu que, si les promesses étaient peu nombreuses, c’était pour garantir leur respect intégral.
Puis, au cours des huit derniers mois, les nouvelles sont tombées, coup sur coup. Le projet Woodfibre a été approuvé. Le projet de barrage hydroélectrique du site C, sur la rivière de la Paix, a été autorisé. Même chose pour le projet de Petronas, à l’île Lelu. Le nouveau gouvernement s’est approprié les pauvres cibles en matière de changements climatiques de Harper. Le projet de Kinder Morgan a aussi obtenu le feu vert. Un triste projet s’il en est un, qui suppose le transport risqué, par pétroliers, de bitume dilué, une substance impossible à nettoyer.
Mais je me suis dit que ces décisions, aussi scandaleuses soient-elles – parce qu’elles font fi des engagements à l’égard des Premières Nations et qu’elles ne sont en rien fondées sur des preuves scientifiques – ne faisaient pas expressément partie du programme du gouvernement. Ces décisions ont créé d’énormes failles dans les promesses des libéraux : toutefois, il se peut que ces derniers connaissent mal les répercussions du bitume dilué et qu’ils en sachent peu sur l’habitat de Flora Bank et la zostère du saumon de la Skeena. Les libéraux sont mal conseillés. Les ministres sont nouveaux, ont peu d’expérience et ne voient pas à quel point ils font fausse route.
Oui, j’ai présenté des excuses. Mais pourquoi vouloir à ce point accorder le bénéfice du doute? La raison est que je sais à quel point il est essentiel de garder l’espoir vivant. Je ne veux pas nourrir le vil. La participation citoyenne et la confiance dans le système sont des ingrédients essentiels à notre survie. Et je ne parle pas de notre survie au sens figuré : je parle de notre véritable survie. Il faut procéder à une décarbonisation rapide pour que la civilisation humaine puisse survivre. Nous ne pouvons pas nous permettre de nourrir le cynisme.
La promesse de donner à chaque vote une véritable importance pour que le scrutin de 2015 soit le dernier scrutin uninominal majoritaire à un tour était une promesse claire. Il n’y avait pas matière à interprétation. Le premier ministre et sa plus jeune et nouvelle ministre – qui remplace l’ancienne plus jeune ministre du gouvernement, soit la ministre des Institutions démocratiques – ont affirmé aujourd’hui qu’ils avaient « toujours » dit qu’ils n’apporteraient aucun changement au mode de scrutin à moins d’avoir l’indication claire que c’est ce que souhaite la majorité des Canadiens. Cette affirmation est un festin de viande crue pour le loup vil.
Il n’a jamais été question d’obliger des consultations avant d’agir politiquement dans ce dossier. On se rappellera qu’aux élections de 2015, 63 % des personnes qui ont voté ont appuyé des candidats (qu’ils soient du Parti libéral, du NPD ou Parti vert) qui voulaient mettre fin à notre mode de scrutin malade.
Notre premier ministre doit faire une prise de conscience. Il est urgent qu’il corrige le tir. Il ne faut pas nourrir le vil : l’enjeu est trop important.