Mme Elizabeth May: Madame la Présidente, je remercie mon collègue de Winnipeg-Centre d’appuyer les amendements que je propose. Je suis également fière d’avoir appuyé les siens.
Au cours des dix prochaines minutes, je vais commencer par parler des amendements que nous proposons. Je vais ensuite aborder la question sous un angle plus général en énonçant les raisons pour lesquelles, personnellement, en tant que députée de Saanich—Gulf Islands , où il y a quelques producteurs de blé — de très petits producteurs pour le moment, mais des gens dans la circonscription de Saanich—Gulf Islands…
L’hon. Vic Toews: Combien d’entre eux sont assujettis à la Commission canadienne du blé?
Mme Elizabeth May: Je regrette de ne pouvoir répondre au député d’en face pendant que j’explique en quoi consistent les amendements que nous proposons.
Nous avons proposé des amendements aux articles du projet de loi C-18qui concernent précisément l’élection des membres du conseil d’administration.
Depuis la création de la Commission canadienne du blé, en 1935, l’élection de la majorité des membres du conseil d’administration par les agriculteurs a toujours été un principe de l’organisation. Le conseil d’administration compte 15 membres, dont dix sont élus par les agriculteurs. Ces derniers se trouvent ainsi à être représentés au sein d’un système de commercialisation à guichet unique, ce qui, bien entendu, est à leur avantage. C’est pour cette raison qu’ils élisaient leur conseil d’administration.
Les amendements que nous proposons au projet de loi C-18 à l’étape du rapport visent à redonner le contrôle du conseil d’administration à la Commission canadienne du blé, quelle que soit la forme qu’elle prendra après l’adoption du projet de loi, afin que les agriculteurs puissent y élire des représentants.
Le projet de loi, dans sa forme actuelle, éliminerait les membres du conseil élus par les agriculteurs pour créer un conseil de cinq membres tous nommés par le gouverneur en conseil, ce qui veut évidemment dire par le Cabinet. Il n’y aurait donc plus de membres du conseil d’administration démocratiquement élus, ce qui est très grave.
J’aimerais bien savoir aujourd’hui ce qu’en pense la Chambre. Ce n’est pas un aspect souvent débattu à la Chambre des communes où tout laisse croire que c’est la liberté ou l’oppression ou que la commission exerce une horrible oppression et que tous les agriculteurs souhaitent être libérés de leurs chaînes, ou d’un terrible joug.
Il est clair que les producteurs de blé et d’orge sont divisés entre partisans et détracteurs de l’existence de la Commission canadienne du blé en 2011. Il est évident qu’il faut penser à moderniser l’organisme. La commission a été créée avant 1935, qui est l’année de création que l’on indique habituellement parce que c’est cette année-là qu’une loi fédérale confirmait l’existence de l’organisme. Dans les années 1920, les agriculteurs avaient formé des coopératives. Ils avaient de bonnes raisons d’être préoccupés. Lorsque le député de Winnipeg-Centre a parlé des requins de l’industrie, il faisait référence à des individus du début du XXe siècle. Les agriculteurs avaient alors raison de se demander s’ils obtenaient un juste prix.
Que s’est-il passé lorsque les agriculteurs se sont retrouvés à la merci d’acheteurs de grandes entreprises? Les agriculteurs étaient alors en concurrence les uns avec les autres. Ils abaissaient tous leurs prix pour vendre aux grands conglomérats, car ils étaient dans un marché d’acheteurs et ces acheteurs pouvaient choisir leurs agriculteurs. Les agriculteurs risquaient la faillite s’ils continuaient à abaisser leurs prix pour pouvoir vendre leurs produits. C’est pourquoi des coopératives ont été créées. C’est pour cela que la Commission canadienne du blé a été créée en 1935, c’est-à-dire pour instituer un comptoir unique de commercialisation qui garantissait aux agriculteurs un prix décent pour le blé et l’orge qu’ils cultivaient.
Les agriculteurs canadiens n’ont pas la vie facile. Dieu sait que les agriculteurs moyens ne tirent pas de leur exploitation agricole un revenu suffisant pour vivre. Un nombre croissant d’entre eux doivent tirer la plus grande partie de leur revenu d’un emploi en dehors de la ferme. C’est vrai non seulement pour les producteurs de céréales, mais aussi pour les producteurs de fruits et de légumes et les éleveurs de bétail.
Être agriculteur au Canada est un métier difficile. Nous avons besoin d’une stratégie alimentaire. Nous devons soutenir nos agriculteurs. Nous devons soutenir les aliments produits dans nos régions. Dans ce contexte, l’idée d’abolir la Commission canadienne du blé soulève une forte controverse.
De nos jours, il existe de grands conglomérats, comme Viterra, que mon collègue a mentionné, et Cargill. Ils seront très bien placés si les agriculteurs se retrouvent dans la même situation qu’au début des années 1900, alors qu’ils concurrençaient les uns contre les autres pour faire affaire avec un gros acheteur. C’est ce qui inquiète les agriculteurs qui désirent maintenir la Commission canadienne du blé; ils craignent d’être soumis aux caprices d’un marché dans lequel chacun réduit ses prix pour faire concurrence aux autres.
L’essence même du mouvement coopératif était de permettre aux gens de se soutenir les uns les autres afin que, grâce à cette collaboration, les pêcheurs, les cultivateurs de céréales et les producteurs de lait et de produits laitiers puissent obtenir des revenus équitables et suffisants pour vivre dans un marché hautement concurrentiel. Cela soulève la controverse, bien sûr.
Quand la Commission du blé a tenu sont seul et unique vote, 62 p. 100 des agriculteurs ont indiqué qu’ils souhaitaient le maintien de la commission. C’est donc dire qu’un pourcentage assez important préféraient abolir la commission. En fait, si les chiffres sont exacts, la proportion d’agriculteurs qui souhaitent l’abolition de la Commission canadienne du blé est plus grande que celle des citoyens qui ont voté pour le parti au pouvoir aux dernières élections. Ce n’est pas négligeable. Les agriculteurs sont divisés sur cette question.
Il aurait été préférable que le projet de loi se concentre sur la façon de moderniser la Commission canadienne du blé plutôt que sur la façon de détruire le guichet unique, un sujet qui touche tant les agriculteurs inquiets de la situation que ceux qui y voient un changement favorable.
Personne ne peut prévoir ce qui arrivera.
Je tenais à exprimer mes réserves, car parmi les inconnues, il y a les coûts. Nous savons que la Commission canadienne du blé a décidé de faire appel à un vérificateur pour déterminer les coûts. Il paraît que le vérificateur qui a obtenu le contrat est payé entre un demi-million et un million de dollars pour calculer le coût des indemnités de licenciement du personnel, le coût des charges de retraite et les frais juridiques qui pourraient découler de la rupture de contrats à long terme.
L’analyse a été effectuée par la firme comptable réputée KPGM, qui a conclu que le coût de l’élimination de la Commission du blé serait de l’ordre de plusieurs centaines de millions de dollars. Ce sont les contribuables, bien entendu, qui paieront la note, mais à qui profite cette mesure exactement? Certains détracteurs ont fait remarquer que le paiement de centaines de millions de dollars doit être vu comme une subvention déguisée à des entreprises comme Cargill et Viterra parce que c’est à elles que ces changements profiteront.
Ce n’est manifestement pas une question facile. J’ai parlé à un grand nombre de députés ministériels qui m’ont dit que certains des agriculteurs de leur circonscription sont terrifiés à l’idée que la commission disparaisse. Le sentiment général est que les jeunes agriculteurs sont davantage disposés à innover et à apprendre à s’en passer.
Il ne fait aucun doute que la Commission canadienne du blé pourrait faire beaucoup plus pour aider les agriculteurs qui cultivent des céréales biologiques, et cela aurait dû être l’objectif. Se défaire du système de commercialisation à guichet unique constitue un changement radical par rapport à ce à quoi sont habitués les producteurs de blé et d’orge depuis des années. Les divergences d’opinions et le fait que la majorité des producteurs de blé qui se sont exprimés sur cette question souhaitent le maintien de la commission auraient dû inciter à la prudence quant à la suite à donner à cette mesure législative. C’est cette absence de prudence qui dérange autant les députés de l’opposition. Nous devons protéger les intérêts des producteurs canadiens de blé et d’orge.
Je sais que les députés ministériels croient sincèrement qu’ils agissent dans l’intérêt des électeurs de leur circonscription qui cultivent du blé et de l’orge. Dans l’opposition, les députés croient sincèrement qu’il y a des risques énormes à procéder à des changements aussi radicaux.
Il est intéressant que les députés conservateurs s’attribuent l’étiquette de « conservateurs ». Ils sont en fait très radicaux. Ils apportent des modifications radicales à notre système de justice criminelle, au secteur de l’agriculture dans les Prairies et dans tous les domaines, surtout en matière d’immigration. Je ne pense pas qu’ils aiment être qualifiés de parti radical, mais c’est essentiellement ce que dénotent les changements que nous voyons.
Par conséquent, en présentant ces amendements, nous faisons un appel à la prudence. Permettez l’adoption de ces amendements. Laissez les agriculteurs au Canada continuer d’élire les membres de la Commission canadienne du blé pour défendre leurs intérêts. Avec des membres du conseil d’administration élus démocratiquement par les agriculteurs, les voix de la communauté agricole pourront continuer de se faire entendre. Nous pourrions tenter de trouver des mécanismes pour protéger les agriculteurs, après l’adoption du projet de loi C-18, des pires aspects d’un marché concurrentiel féroce, dominé par une poignée de multinationales.
Nous devons trouver un moyen d’assurer aux agriculteurs des Prairies un salaire suffisant et veiller à ce qu’ils ne soient pas exposés aux genres de pratiques qui avaient mené initialement à la création de la Commission canadienne du blé.
J’invite les députés d’en face à étudier ces quelques amendements et à permettre leur adoption.