Les fausses nouvelles, la propagande et la motion 103

Les fausses nouvelles, la propagande et la motion 103
Elizabeth May
Mars 2, 2017

Nous sommes maintenant à l’ère de la post-vérité. Le président Trump traite les journalistes « d’ennemis du peuple », et toute vérité qui dérange, de « fausses nouvelles ».

Les « fausses nouvelles » existent. J’y ai été exposée pour la première fois en 2009 en plein milieu du désastreux Sommet sur les changements climatiques à Copenhague. J’ai su immédiatement que c’était un canular et j’ai trouvé que c’était génial. L’attaque avait été conçue de façon méticuleuse pour mettre en évidence l’obstructionnisme de Harper dans le dossier climatique. Le coup a été monté en plusieurs étapes : un premier communiqué de presse imitant parfaitement ceux d’Environnement Canada a annoncé que le Canada s’engageait à changer totalement de cap et à réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre (GES), une deuxième annonce a relayé la réaction des autres délégations à la « nouvelle » canadienne; puis, un lien vers ce qui semblait être le site Web d’Environnement Canada a fourni d’autres précisions et, finalement, un lien avec une copie parfaite de la page d’accueil du Wall Street Journal a confirmé la nouvelle.

Au cours des heures qui ont suivi, les Yes Men, qui se décrivent eux-mêmes comme deux militants du « brouillage culturel », ont déclaré être à l’origine du canular. Je dois dire que leurs tactiques m’ont ravie alors qu’elles auraient dû m’inquiéter sérieusement : et si ces méthodes étaient utilisées, non pour diffuser des mystifications destinées à être dévoilées par ceux qui recherchent la vérité, mais par des gens qui cherchent à ensevelir la vérité sous d’épaisses couches de mensonges?

Dans le contexte actuel, « une fausse nouvelle » se transmet comme un virus. Ressemblant à une vraie nouvelle, elle présente comme des faits des affirmations outrageantes, ineptes et mensongères. Pendant la campagne électorale américaine, plusieurs allégations ont été diffusées sur Internet : le président Obama avait interdit l’allégeance au drapeau dans les écoles; Hillary Clinton avait l’intention de limiter le droit des chrétiens de pratiquer leur religion; le pape François soutenait la candidature de Donald Trump à la présidence. Même si ces allégations avaient l’apparence de vraies nouvelles, il n’y avait pas une once de vérité dans celles-ci. L’utilisation des titres de vrais médias avait servi à inspirer la crédibilité. Qui peut dire à quel point ces manipulations ont pu influencer le résultat des élections?

à présent qu’il est au pouvoir, Trump profite de l’existence des « fausses nouvelles ». Il s’en sert de manière abusive pour cibler des articles qui portent sur les liens que son administration entretient avec la Russie. Les affirmations contenues dans ces articles sont-elles inexactes? Trump peut les contester, mais ce qu’il fait est plus dangereux puisqu’il qualifie le contenu de ces articles de « fausses nouvelles ». Par définition, les articles de journaux rédigés par des journalistes qui travaillent pour de telles publications ne sont pas de « fausses nouvelles ». Qu’ils contiennent des erreurs ou qu’ils manquent d’objectivité, c’est possible, mais ces articles contiennent « de l’information » qui n’est pas « fausse ».

Les journalistes peuvent se tromper. En général, leurs erreurs sont rectifiées, et les faits, rétablis. Lorsqu’il y a place pour le débat, les deux côtés de la médaille sont présentés. Le journalisme a pour fonction d’informer une population intéressée et engagée. Une saine démocratie ne peut s’en passer.

La tendance qui se manifeste aux États-Unis est dangereuse, mais nous assistons au même phénomène ici.

Des sites Web, toujours plus nombreux, ne sont pas classés dans la catégorie des sites de « fausses nouvelles » parce qu’ils ne prétendent pas être des pages d’accueil de vrais journaux. En revanche, ces sites se décrivent comme des sources d’actualité. Ils servent de caisse de résonnance à ceux qui s’intéressent à un sujet donné et croient que les médias classiques ne leur disent pas « la vérité ». Plusieurs électeurs de ma circonscription m’ont envoyé des articles de sites Web créés aux États-Unis et dont j’ignorais l’existence, tels que « The American Thinker » ou le « Gatestone Institute » et dont le contenu était inquiétant. Ces articles visaient surtout à semer la peur, la méfiance et la haine des « autres », en particulier les musulmans. Au Canada, Ezra Lavant et son prétendu « Rebel Media » font le même travail, et, pour faire peur et créer la division, ils se sont jetés sur une motion parfaitement inoffensive et ne prêtant nullement à controverse soumise au Parlement.

La députée libérale Iqra Khalid a présenté la motion 103 en décembre 2016. Une motion n’est pas un projet de loi, ne crée pas de loi et n’a pas force exécutoire auprès des gouvernements. La motion de la députée Khalid prend acte de la menace croissante d’islamophobie et appelle le gouvernement à reconnaître qu’il faut « endiguer le climat de haine et de peur qui s’installe dans la population. »

Une chose est claire : qu’elle soit causée par l’arrivée de Trump ou simplement attribuable à l’opportunisme de gens qui se sentent désormais autorisés à exprimer la haine et le racisme, la montée parallèle de l’antisémitisme s’accompagne même d’attaques directes contre des synagogues. Cependant, si quiconque avait besoin de la preuve qu’une menace croissante pèse contre les musulmans, le meurtre de six hommes en prière à leur mosquée locale est une raison largement suffisante pour que nous tendions la main aux musulmans et que nous les assurions qu’ils ont une place dans notre cœur et dans la société canadienne. Participer à la veille organisée à Québec, parmi les amis et la famille de ceux qui ont été tués, et de ceux, encore plus nombreux, qui sont toujours hospitalisés, a été pour moi une expérience bouleversante.

Des voix raisonnables parmi les conservateurs, comme celles du candidat au leadership Michael Chong ou du chroniqueur de premier plan Andrey Coyne (qui a noté que « l’argument de certains selon lequel la motion revient à réserver des “privilèges spéciaux” à “une seule” religion est spécieux » [TRADUCTION]) sont étouffées par les voix bruyantes de ceux qui prétendent que la motion 103 débouchera sur la charia ou qu’elle placera l’islam « au-dessus » de toutes les autres religions.

Certains, dont le programme consiste à exploiter toutes les possibilités qui se présentent pour porter atteinte à la décence, ont vu la motion 103 comme leur étant donnée en cadeau. Ezra Lavant — qui se nomme lui-même « chef des rebelles » — a organisé un rassemblement à Toronto et s’est appuyé sur les candidats conservateurs disposés à l’aider à pelleter son genre de saletés.

Je voterai pour la motion 103, qui, malheureusement, en raison de l’ordre de priorités appliqué aux motions émanant des députés, ne sera pas soumise au vote avant plusieurs mois. J’ai également voté pour une motion analogue des conservateurs qui dénonce en termes plus généraux la montée de l’extrémisme et de la discrimination parce qu’elle est parfaitement sensée et ne contredit en rien la motion 103, et l’ensemble du caucus du NDP s’est prononcé de la même manière.

Si vous constatez qu’un ami ou un voisin est totalement entraîné par la propagande de ceux qui cherchent à répandre la peur, je vous en prie : donnez-lui une réponse utile. Dirigez cet ami ou ce voisin vers des sources d’information fiable et des porte-parole des conservateurs qui agissent avec intégrité. Pas de dénonciation : cela ne fait qu’alimenter l’idée que la liberté d’expression est menacée, mais ne laissez pas passer les mensonges sous silence. Je repends à mon compte la formule de Kai Nagata sur cette question (dans le National Observer) : « La haine prospère lorsque l’amour et l’honneur s’endorment. »