Comment réédifier un pays?

« Vous ne reconnaîtrez pas le Canada à la fin de mon mandat » Stephen Harper en 2006, (Noah Richler, National Post, 5 mai 2012)

Comment réédifier un pays? Comment transformer des valeurs et une culture sans demander de permission?

La comparaison peut paraître étrange, mais ce que Stephen Harper fait au Canada me rappelle ce que l’empereur romain Constantin a fait au christianisme. Constantin aurait pu dire : « Vous ne reconnaîtrez pas le christianisme une fois que j’en aurais terminé avec », bien qu’il n’y soit pas arrivé. Il a fait d’une pratique religieuse illégale et clandestine la religion officielle de l’empire romain, ce qui est bien loin de ce que Harper est en train de faire. Gardez cela à l’esprit pour ce que je vais vous dire et que je trouve similaire à ce qui se passe au Canada sous le régime Harper.

Constantin avait mesuré l’importance des symboles. Les chrétiens persécutés célébraient le sabbat le samedi et évitaient les cérémoniaux païens d’adoration du soleil tels que l’allumage de cierges, l’encens, les processions, les longues robes et la hiérarchie ecclésiastique. Pour que les païens embrassent le christianisme, des changements étaient nécessaires. Le dimanche est devenu jour de culte (une concession faite aux adorateurs du soleil auxquels on a dit qu’ils pourraient en allant à l’église se prosterner devant leur dieu soleil sur les marches se trouvant devant la plupart des églises. Et tous ces cérémoniaux païens — allumage de cierges, encens, robes, etc., sont devenus des pratiques de l’Église romaine. Moi, qui suis chrétienne pratiquante, j’adore toutes ces pratiques liturgiques, mais il est vrai que j’ai grandi avec. Imaginez le choc qu’ont du ressentir ceux qui étaient auparavant jetés aux lions en apprenant que pour pouvoir pratiquer ouvertement leur religion il leur fallait accepter tous les symboles d’une autre foi.

Stephen Harper réédifie le Canada une brique à la fois. Le tissu législatif canadien est progressivement détruit par des projets de loi omnibus et des mesures législatives qui ne servent pas l’intérêt du public, mais celui d’un groupe particulier. Il fait de la fonction publique un organe de son CPM où se retrouvent des hommes et des femmes terrorisés et démoralisés qui espèrent être autorisés un jour à faire de nouveau leur travail. Il a offert aux Canadiens des jeux du cirque à la romaine pour nous faire oublier ce qui passe dans les coulisses du Colisée. En 2012, 28 millions de dollars ont gaspillés pour financer les célébrations du bicentenaire de la guerre de 1812. L’anniversaire de 60 ans de règne de Sa Majesté a coûté huit millions de dollars et les centenaires de la Coupe Grey et du Calgary Stampede ont coûté cinq millions de dollars chacun. Assurément, Stephen Harper aime nous plonger dans la ferveur des célébration d’anniversaires de moments historiques du Canada, mais seulement quelques-uns de ces moments, car le 30anniversaire de la Charte canadienne des droits et libertés n’ a pas été célébré.

Ce qui m’amène à parler du nouveau billet de 20 dollars qui est répugnant au toucher. C’est un nouveau billet en polymère brillant, finie la texture de lin. On prétend qu’ils sont censés déjouer les faux-monnayeurs. Les gens de BC Ferries m’ont dit que les billets sont un vrai casse-tête. Ils se collent entre eux et se déchirent facilement. On rapporte qu’ils fondent si on les approche d’une flamme. Des médias se sont plaints que la feuille d’érable qui apparaît sur les nouveaux billets est une espèce envahissante. La feuille d’érable à sucre canadien a disparu et a été remplacée par la feuille d’érable norvégien. Comme on dit « Lorsqu’on a vu un arbre, on les a tous vus ». Les porte-parole de la Banque du Canada défendent la nouvelle feuille en déclarant que c’est un ensemble stylisé de feuilles de divers érables canadiens. Les botanistes ne sont pas impressionnés.

L’absence d’un arbre indigène est une métaphore parfaite pour le reste du billet. Les changements sont aussi envahissants que la feuille d’érable norvégien. Nous avons perdu le symbole le plus emblématique et le plus édifiant de l’art monétaire canadien. Les chefs-d’œuvre de l’artiste haïda, Bill Reid apparaissaient sur les anciens billets. Le « Corbeau découvrant l’humanité dans une coquille de mye », un mythe de la création qui s’est produit sur la plage de Masset, la pirogue de « L’esprit de Haïda Gwaii » avec ses créatures spirituelles et mythiques, la face de la lune, l’épaulard, toutes ces créatures en surimpression au verso du billet de 20 dollars. En très petits caractères, la citation, en anglais et en français, de l’écrivaine québécoise Gabrielle Roy :

« Could we ever know each other in the slightest without the arts? »
« Nous connaîtrions-nous seulement un peu nous-mêmes, sans les arts? »

J’aimais beaucoup ce billet, d’autant plus que j’ai eu le grand privilège de connaître Bill Reid et de visiter son entrepôt de False Creek, à Vancouver, pendant que la pirogue de l’esprit était sculptée. Ses mains tremblant trop à cause la maladie de Parkinson, Bill Reid ne pouvait plus sculpter. Il se faisait donc aider par un apprenti, le brillant chef haïda, Guujaaw, aujourd’hui président du conseil de la nation haïda. Bill m’a expliqué le symbolisme de cette embarcation mythique. Le rusé corbeau tient la barre et la pirogue déborde d’une douzaines d’autres créatures spirituelles comme le grizzly, l’ourse, la femme chien de mer, l’aigle, la grenouille, le loup, un gardien haïda, etc. La plus grande des sculptures a été coulée dans le bronze et se trouve sur le devant de notre ambassade à Washington (D.C.). La pirogue de jade est exposée à l’aéroport de Vancouver, on la voit quand on se dirige vers la salle des départs internationaux ou, pour la plupart d’entre nous, vers la correspondance par l’autobus pour se rendre au traversier. Une copie en plâtre beaucoup plus petite occupe une place de choix au Musée canadien des civilisations à Ottawa-Gatineau qui porte aujourd’hui le nom de Musée canadien de l’histoire.

Quelles œuvres d’art ont remplacé les sculptures imposantes de Bill Reid? Le monument commémoratif des Canadiens tombés au champ d’honneur durant la Première guerre mondiale. Le monument à la Crête de Vimy en France commémore la première fois que quatre divisions de soldats canadiens ont combattu ensemble. Plus de 7 000 Canadiens sont blessés lors de l’assaut et plus de 3 500 ont été tués. La perte de vies et l’importance historique de cette bataille sont incontestables, mais pourquoi ce monument (dont l’architecture est particulièrement laide)?

Stephen Harper comprend les symboles. À l’instar de John Baird qui a refait sa carte d’affaires sans mentionner le nom de l’édifice qui abrite son ministère (Édifice Lester B. Pearson), Stephen Harper veut que nous faisions l’amalgame entre le patriotisme et les batailles, le sang et la gloire.

Qu’est-ce qui peut-être plus emblématique que le fait de rétablir nos valeurs en éliminant nos symboles mythologiques et spirituels pour les remplacer par un projet de loi proposant un monument de guerre et un érable qui n’est pas canadien?

Conservez vos anciens billets de vingt dollars. La véritable falsification, c’est la nouvelle version du Canada qui ne correspond pas à la réalité.