Par Elizabeth May, députée de Saanich-Gulf Islands et chef du Parti vert du Canada
Des attaques soudaines sur des innocents ne sont pas chose nouvelle. Et on a souvent tendance à dire que cela change tout. C’est parfois vrai, comme lors des attaques du 11 septembre. Cela nous semble parfois vrai parce que nous avons la mémoire courte. Sa Majesté la reine Elizabeth II doit avoir une longue mémoire qui lui donne une perspective approfondie. Les meurtres d’innocents lors des « troubles » en Irlande du Nord, particulièrement le meurtre de Lord Mountbatten, doivent lui sembler récents. Une personne qui lance son véhicule sur des piétons ne semblera probablement pas être un événement qui va changer les choses.
C’est peut-être pourquoi le drapeau flottait tout en haut du mât sur le toit du palais de Buckingham, ce dimanche. Le voir ainsi, tout en haut, sans aucun signe de deuil, m’a étonnée. Cela m’a fait remarquer qu’aucun drapeau à Londres n’était en berne. Ce n’est qu’une des différences évidentes entre les réponses de nos sociétés et de nos parlements. Avant le mercredi 29 mars, cinq jours après ces meurtres, il n’y avait eu aucune minute de silence au Parlement britannique pour les personnes décédées. En fait, lorsque j’ai assisté aux débats de la Chambre des communes et de la Chambre des lords lundi, la journée s’est déroulée sans aucune référence aux événements de jeudi dernier. À la Chambre, l’on a débattu de projets de loi et le Président de la Chambre a même réprimandé un membre pour avoir été insolent. À la Chambre des lords, un débat s’est engagé sur l’état de préparation en cas de naufrage d’un bateau de croisière.
Est-ce cela que l’on appelle le flegme britannique? Moi qui croyais que le deuil de Diana avait mis fin à la grande réserve de ce peuple dans le partage de sa douleur.
Les réactions du public et des médias se rapprochaient davantage de ce que l’on voit au Canada. Les fleurs continuent de s’empiler à la porte de Westminster et tout au long du pont de Westminster. Chaque heure, les nouvelles continuent de mettre à jour l’information sur le meurtrier, sa famille, les personnes assassinées et leurs familles.
Les similitudes dans les événements eux-mêmes sont étonnantes. Bien des aspects de la journée du 22 octobre 2014 à Ottawa et de celle du 22 mars 2017 à Londres sont en parallèle.
Dans les deux cas, le parlement était rempli de députés et de personnel. Nous étions tous sous les verrous. J’en ai discuté avec ma collègue, la baronne Jones de Moulsecoomb, la seule paire du royaume qui soit membre du Parti vert. Malgré ce titre impressionnant, elle m’a jovialement dit « Appelez-moi Jenny » pendant qu’elle accueillait tout le monde. Puis, elle m’a accompagnée à l’entrée des pairs, m’a pointé du doigt les grands noms : Lord Michael Dobbs, qui a écrit la série House of Cards, puis plus tard, à l’heure du thé, Brian May, le musicien du groupe Queen (aucun lien avec la Reine). (Elizabeth May souhaite mettre fin à l’élimination des blaireaux.)
Jenny a aussi partagé sa photo d’une centaine de pairs, députés et membres du personnel dans le hall de Westminster, vieux de mille ans et construit par le fils de Guillaume le Conquérant. Le Parlement britannique s’est retrouvé sous les verrous pendant cinq heures. Jenny a sympathisé avec nous, qui nous étions retrouvés sous les verrous deux fois plus longtemps.
Dans les deux cas, une seule personne était mise en cause. Il ne semblait y avoir aucun complice ni aucun lien avec des cellules terroristes organisées. Dans les deux cas, c’était le siège du gouvernement qui était visé même si aucun de ces complots ne rivalise avec la Conspiration des poudres.
Dans les deux cas, un officier chargé de la protection du public, non armé et admirable, a été tué. Les deux hommes, le caporal Nathan Cirillo et le constable Keith Palmer, étaient plus habitués à poser pour des photos avec les touristes qu’à faire face à des assaillants armés. Beaucoup plus de personnes ont été tuées et blessées à Londres qu’à Ottawa parce qu’à Ottawa, le tueur n’avait pas eu les moyens de se louer un VUS. Ce n’est que le manque d’argent qui l’a empêché d’utiliser un véhicule. Dans les deux cas, l’horrible tragédie est reconnue comme une situation qui aurait pu se terminer de façon encore plus tragique. Dieu merci, aucun des deux hommes n’avait eu accès à une arme semi-automatique du type qu’utilisent les assassins de masse aux États-Unis.
À Londres, le meurtrier était équipé d’un VUS et d’un couteau. Il n’en fallait pas plus pour tuer quatre personnes et en blesser plusieurs autres. C’était un homme violent au passé criminel. Jusqu’au 22 mars, il n’était motivé ni par la politique ni par la religion. Il semble qu’il se soit radicalisé en prison. Il est clair que pour les deux tueurs, si les services carcéraux s’étaient concentrés sur ce risque, les tragédies auraient pu être évitées. Il est certain que dans le cas du tueur d’Ottawa, il avait tant besoin de services en santé mentale et en thérapie contre la toxicomanie qu’il s’était fait arrêter et avait supplié un juge de Vancouver de lui obtenir de l’aide.
Était-ce du terrorisme? Le meurtre de l’extraordinaire députée travailliste britannique Jo Cox était-il une attaque terroriste? Si l’un des meurtres est considéré comme du terrorisme, pourquoi l’autre ne l’est-il pas?
Le Président du Parlement britannique a annoncé la tenue de deux enquêtes distinctes, qui seront menées par des experts indépendants en sécurité et dont les résultats seront publics. Et c’est là que l’on remarque la plus grande différence entre les deux : la transparence.
Le Canada n’a pas tenu d’enquête publique. Et nous en avons encore besoin d’une. Les modifications visant à consolider les services de sécurité sous l’égide de la GRC ont été effectuées rapidement et ont escamoté à des siècles de respect pour le principe que le gouvernement ne devrait jamais contrôler la sécurité du parlement du pays. Notre gardien, l’ancien sergent d’armes Kevin Vickers, a été envoyé en Irlande pour ne pas qu’il élève la voix sur ce sujet.
Mais il n’est pas trop tard pour demander une enquête. La mémoire est une faculté qui oublie, et l’histoire a tendance à se répéter lorsque nous refusons d’examiner et d’apprendre de nos expériences.
Note de l’auteure : Je connais les noms de ceux qui ont commis les meurtres, mais par politique personnelle, je ne donne que les noms des personnes qui ont été assassinées.
Elizabeth May, O.C., députée de Saanich-Gulf Islands, et chef du Parti vert du Canada est au Royaume-Uni pour le Global Greens Congress, qui commençait le 30 mai à Liverpool et qui est présenté tous les quatre ans.