Honorables Sénateurs, Députés de la Chambre des Communes, Mesdames et Messieurs,
Un discours du Trône – dans notre système parlementaire britannique – devrait être fidèle à toutes nos traditions. Le Canada est une monarchie constitutionnelle. Le Canada est une démocratie parlementaire britannique. C’est pourquoi, à titre de Gouverneur général, je prononce ce discours en remplissant le rôle de monarque remplaçant. Le discours du Trône, préparé par ceux qui forment la majorité à la Chambre des Communes, représente, selon ce qui peut sembler un rituel un peu vieillot, les principes fondamentaux d’une gouvernance légitime, si l’on se reporte à l’année 1215 et à la Magna Carta. Un gouvernement n’est légitime qu’avec le consentement des gouvernés.
Nous nous réunissons dans la salle du Sénat – version canadienne de la Chambre des lords et de l’autorité de la monarchie – pour suivre la marche en solitaire de l’huissier du bâton noir du Sénat qui entre dans la Chambre des communes. Les coups frappés à la porte des Communes juste devant le représentant de la Reine sont un anachronisme assez particulier. C’est en fait la reconnaissance renouvelée du principe fondamental de la suprématie du Parlement, et en particulier, des Communes sur la monarchie. Nos traditions, considérées la plupart du temps comme des rituels bizarres en perte de vitesse, sont en fait importantes.
Elles expriment le fait que notre démocratie, encore bien vivante, s’abreuve à la même source qui coulait en bordure du pré de Runnymede en 1215 lorsque le roi ne put qu’accepter le fait que même un roi ne peut faire fi du peuple qu’il gouverne. La Magna Carta a surgi de cet engagement – un roi doit consulter le peuple. Voilà pourquoi se dresse le peuple – les représentants légitimes de la population du Canada – en file derrière la petite barrière aux portes de la Chambre des Communes. Comme la première ministre m’a demandé de le mentionner, je note qu’elle n’est pas assise à ma droite, comme les anciens premiers ministres l’ont été, mais est avec les autres députés. Il est un peu étrange que cette tradition, qui a cours en Grande-Bretagne, n’ait pas survécu au Canada. Les députés, qui viennent du peuple – égaux en théorie – représentent la population du Canada.
Il est important que les rôles soient respectés. La démocratie, en ce 21e siècle, se trouve en position de vulnérabilité – entre les règles du secteur privé et une manipulation totalitaire et hyper partisane. Si un premier ministre se retrouve à la même table que la royauté lors de cérémonies, le jour n’est pas loin où les conventions ne seront plus respectées. Les décisions précipitées d’un ancien premier ministre de fermer la Chambre des communes et de proroger le Parlement en 2008 et en 2009 étaient essentiellement inconstitutionnelles. Si nous voulons préserver une démocratie véritable, nous devons nous rappeler que nos coutumes, parfois colorées, sont le symbole qui nous rappelle les principes fondamentaux de notre démocratie :
Pour être légitime, un gouvernement doit exister grâce au consentement des gouvernés;
Le Parlement est l’autorité suprême;
Le premier ministre rend des comptes au Parlement, et pas l’inverse.
Ceci étant dit, je présente la direction que compte prendre mon gouvernement. Je représente, ici, Sa Majesté la Reine, et je représente aussi bien un gouvernement qui comprend les membres d’un parti politique majoritaire au Parlement, que les membres de l’opposition officielle de sa Majesté. Il est entendu que cette « loyauté » n’est pas envers le premier ministre, mais bien envers le Canada. Tous les députés sont égaux puisque tous sont les représentants de la population des communautés de leur circonscription électorale. Même le premier ministre est, en théorie, « le premier des égaux », c’est-à-dire un homme du peuple et non le Roi.
Pendant trop longtemps, nous avons fonctionné comme si le « gouvernement » pouvait être associé aux compétences de n’importe lequel parti, ou pire encore, de n’importe quel premier ministre. Le gouvernement de Sa Majesté veut dire le gouvernement du Canada, du peuple.
Restaurer notre démocratie
En 2017, nous célébrerons le 150e anniversaire de la Confédération. Pour bien marquer l’événement, nous nous donnons l’objectif de restaurer la démocratie canadienne. Nous avons en tête d’autres idées pour cette réforme de tous les Canadiens d’un bout à l’autre du pays. Les faits montrent que le taux de vote augmentera une fois que notre système électoral sera remis sur les rails, mais mon gouvernement veut surtout trouver des façons d’attirer les jeunes Canadiens au cœur de la vie de notre nation et des décisions sur notre avenir.
Ce Parlement aura comme priorité plusieurs étapes pour protéger l’essence de notre démocratie. Il s’agit d’un Programme pour les citoyens d’abord.
Le Parlement devra résoudre les dysfonctionnements de notre système électoral. Nous tiendrons des audiences partout au Canada pour savoir ce que les Canadiens pensent du système du « gagnant qui empoche tout », c’est-à-dire du système uninominal majoritaire à un tour. Il y a toute une série d’options pour réformer le système électoral. La plupart des démocraties modernes ont recours à certaines formes de représentation proportionnelle. Nous devons analyser lequel de ces systèmes fonctionnerait le mieux au Canada.
Nous avons l’intention de mettre en place l’un de ces systèmes avant les prochaines élections. Cependant, nous voulons nous assurer que les Canadiens participent à cette réforme et l’appuient. À n’en pas douter, peu d’entre nous prétendront qu’un système électoral qui donne le pouvoir à un parti qui reçoit une minorité de votes n’est pas sain. Même si un parti savoure le pouvoir d’un gouvernement majoritaire avec un pourcentage minoritaire de voix, ses militants ne seront pas heureux lorsque le vent tournera et qu’un autre parti remportera ce même genre de « fausse majorité ».
Notre gouvernement proposera aussi des changements attendus depuis longtemps à la Loi électorale. Nous abrogerons les modifications apportées par le gouvernement précédent qui, selon ce qui a été montré, désavantagent les électeurs qui n’ont pas de permis de conduire ou d’adresse fixe. Les catégories de la population désavantagées comprennent les Premières Nations, les étudiants, les sans-abri et les personnes âgées qui ne conduisent plus. Nous devons recenser plus tôt les votants admissibles, et nous devons réduire à zéro le risque pour les citoyens qui ont le droit de voter de se voir refuser l’accès aux urnes en raison de points techniques.
La Loi électorale doit aussi être modifiée pour imposer des limites publicitaires aux partis politiques lorsqu’ils ne sont pas en campagne électorale. Notre gouvernement proposera aussi des changements pour interdire l’utilisation des ondes pour des annonces politiques payées, comme cela est le cas en Grande-Bretagne, en Belgique, au Brésil et dans un certain nombre de démocraties modernes. À la place, les réseaux de télévision et de radio devront diffuser des annonces d’intérêt public qui mettront l’accent sur une compréhension détaillée des positions des différents partis politiques sur nombre d’enjeux, et non pas des annonces d’attaques personnelles sur les autres chefs de parti, façonnées par des professionnels de la publicité.
L’exigence de la signature du chef sur les avis de mise en candidature des candidats sera remplacée par les signatures de direction locale, là où il y a une association de circonscription électorale; s’il n’y a pas d’association du genre, les signatures de membres locaux suffiront. Nous introduirons aussi de nouvelles dispositions à la Loi électorale pour permettre aux membres d’un caucus élu de n’importe lequel parti d’entamer un réexamen de leur chef. Ces changements visent à rééquilibrer le pouvoir des chefs de partis politiques au Canada avec le système dont se servent tous les autres pays du Commonwealth. Au cours des années, les chefs de partis politiques canadiens ont cumulé des pouvoirs, plus proches de ceux que possède un candidat à la présidence aux États-Unis – mais sans aucune des mesures de vérification et d’équilibre qui existent dans le système très différent que l’on trouve au sud de la frontière.
Nous couperons aussi de moitié le budget des activités du Bureau du premier ministre et nous nous assurerons qu’il fera l’objet d’une vérification au fil du temps en tant que part fixe du PIB.
Il est plus que temps de restaurer la confiance des Canadiens dans des élections complètes, transparentes et justes. Pour ce faire, nous mettrons sur pied une commission royale d’enquête pour faire la lumière sur les irrégularités observées lors des élections de 2011 (le scandale des appels trompeurs) et nous demanderons à la commission royale d’enquêter sur les actions du Commissaire de la GRC lors des élections en 2005 et 2006 pour voir si des gestes inappropriés ou illégaux ont été posés.
La réforme du Sénat est aussi un enjeu extrêmement important pour de nombreux Canadiens, mais nécessite d’ouvrir la Constitution pour y apporter des modifications en détail. Aucun des changements proposés dans ce programme ne nécessite de changements constitutionnels. Nous proposons que tous les anciens premiers ministres soient convoqués pour former un petit groupe de travail pour donner des conseils sur la façon dont le Sénat pourrait être réformé. Ce groupe sera, par définition, multipartite puisque tous ont nommé des sénateurs et que tous connaissent les raisons pour lesquelles les Canadiens n’ont plus confiance dans cette institution.
De la justice pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis
Une de nos priorités centrales est de revoir les recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996 et de travailler ensemble, une nation à la fois, sur l’adoption de ces recommandations. L’éducation, le logement et l’approvisionnement en eau potable salubre demeurent des priorités essentielles. Les droits et responsabilités liés au respect des processus décisionnels des peuples autochtones concernant leurs territoires traditionnels requièrent un examen en bonne et due forme. Une consultation réelle et significative s’impose.
La lutte contre la crise climatique
Bien avant de célébrer notre 150e anniversaire, nous devons nous attaquer à la plus importante menace à notre avenir collectif – la crise climatique. Le Cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies confirme ce que nous savons depuis des dizaines d’années : l’activité humaine est en train de changer le climat de la planète de façons de plus en plus dangereuses.
Nous savons qu’il est encore temps d’agir, mais qu’il nous reste très peu de temps. Il est encore tout juste possible de réduire de façon raisonnable notre dépendance aux combustibles fossiles. Nous allons amorcer un processus de discussions aux niveaux fédéral, provincial et territorial en vue d’élaborer un plan complet qui couvrira tous les secteurs de l’économie. Nous mettrons fin à la pratique malpropre et dangereuse des subventions des combustibles fossiles, et nous mettrons un prix sur le carbone. Ce gouvernement mettra en place un programme climatique coordonné et dynamique visant à diversifier l’économie canadienne, en renforçant les chaînes de valeur et la valeur ajoutée en lien avec toutes les exportations de ressources naturelles. Nous établirons des objectifs communs en matière de sécurité énergétique, d’emploi et de transition vers une économie à faible bilan de carbone. Nous accélérerons les mesures liées aux centrales électriques alimentées au charbon, en vue de les fermer complètement d’ici 2020.
Une autre priorité sera l’élaboration d’un plan d’adaptation, qui mènera à un programme complet de modernisation des infrastructures essentielles. Nous nous engageons à travailler de façon créative avec nos partenaires dans les gouvernements municipaux afin d’alléger le fardeau injuste auquel ils font face. Le changement climatique exigera d’importantes améliorations dans les infrastructures liées aux transports, aux réseaux d’aqueducs et à d’autres services clés. Les mesures préventives que nous prenons aujourd’hui sauveront des vies dans le futur.
Le rétablissement des lois environnementales
Nous savons que les économies les plus solides sont celles qui possèdent les meilleures lois environnementales. Dans cette optique, nous rétablirons la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale à ce qu’elle était avant 2012, et nous réparerons les dommages causés par les modifications de 2012 à la Loi sur les pêches et à la Loi sur la protection des eaux navigables. La Loi sur la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie sera déposée en première lecture avec un changement qui placera le ministre des Finances à la tête des efforts visant à intégrer des politiques environnementales saines à tous les niveaux des processus décisionnels gouvernementaux.
Le droit à l’information
Pour être efficaces, les citoyens ont besoin d’information juste. Cela signifie qu’ils ont le droit de savoir ce que contient leur nourriture. Des renseignements complets doivent contenir l’endroit où les aliments ont été produits et la façon dont ils ont été produits. L’étiquetage des organismes génétiquement modifiés (OGM) permettra aux personnes qui souhaitent manger de tels aliments de les repérer sur les tablettes de leur supermarché et à ceux qui ne souhaitent pas en manger de les éviter.
Les citoyens ont le droit d’avoir accès aux résultats de toute étude scientifique réalisée par des scientifiques gouvernementaux indépendants. Ce genre de recherche relève du domaine public.
Les députés ont eux aussi besoin de meilleurs renseignements. Nous devons rétablir des processus décisionnels basés sur des données probantes. Cela comprend les décisions fiscales, pour lesquelles les députés ont eu accès à bien peu d’information ces dernières années. Nous proposerons des lois faisant du Bureau du directeur parlementaire du budget une entité adéquatement financée et séparée de la Bibliothèque du Parlement. Le directeur parlementaire du budget sera un agent du Parlement. Toutes les opérations gouvernementales doivent être transparentes. Cela comprend toutes les dépenses des députés et des sénateurs.
Qui dit meilleurs renseignements dit également un retour à la tradition d’une fonction publique indépendante, professionnelle et non partisane. Aucun fonctionnaire ne devrait craindre de devoir assembler des « faits » à l’appui d’un plan d’action déjà établi. Au cours des dernières années, nous avons constaté l’émergence de la « prise de décisions fondée sur des données probantes ». Nous devons mettre fin à cette tendance avant qu’elle ne corrompe l’essence même de la gouvernance responsable.
Création d’une économie saine
Au cours des quelques prochaines années, il est essentiel de veiller à la santé de l’économie canadienne. Nous avons manqué des occasions cruciales dans le secteur des technologies propres et dans la réduction du gaspillage de l’énergie. Nous avons l’occasion de faire avancer différents secteurs de notre économie dans différentes régions du Canada, tout en maintenant une activité liée aux ressources naturelles en Alberta.
Le Canada est un jeu à somme nulle. Toutes les régions du Canada bénéficient de politiques qui encouragent l’esprit d’entreprise et la commercialisation de nouvelles technologies. Le soutien des petites et moyennes entreprises (PME) est au cœur de la stratégie économique de notre gouvernement. Nous évaluerons l’impact de tous les projets de loi gouvernementaux sur les PME.
Nous devons faire un effort important pour réduire le chômage persistant parmi les jeunes Canadiens. Nous annulerons également les changements punitifs apportés à l’assurance-emploi qui compliquent la vie des personnes qui travaillent dans des industries saisonnières.
Commerce et investissement
Notre gouvernement clarifiera le secteur nébuleux de l’investissement étranger direct. Nous inclurons une définition de la « sécurité nationale » dans la Loi sur Investissement Canada. Et nous effectuerons une étude complète – ainsi qu’une analyse exhaustive des coûts et des avantages – des Accords sur la promotion et la protection des investissements étrangers (APIE). Nous ne ratifierons et ne négocierons aucun accord sur l’investissement avant d’en avoir évalué les répercussions. Notre gouvernement travaillera respectueusement avec la République populaire de Chine, avec laquelle le Canada a signé un APIE en septembre 2012. Cet accord doit absolument faire l’objet d’une évaluation complète de ses impacts avant d’être ratifié. Nous travaillerons à communiquer clairement les intérêts du Canada sans pour autant fermer la porte aux investissements qui répondent aux besoins du pays. Tout comme d’autres pays l’ont fait avant nous, nous serons ouverts au commerce sans sacrifier notre souveraineté par le biais d’APIE dommageables.
Une société plus équitable
Face à l’échec des peines minimales obligatoires en tant que stratégie de justice pénale, nous réviserons toutes les lois, en particulier celles du Code criminel, afin d’éliminer les peines minimales obligatoires. Nous renflouerons les ressources d’application de la loi et réduirons les dépenses de temps et d’argent en légalisant, réglementant et taxant le cannabis. Nous rétablirons la Commission de réforme du droit du Canada et demanderons une révision des récents changements apportés au droit pénal et aux lois sur l’immigration et le statut de réfugié afin de nous assurer de leur conformité avec la Charte.
Nous travaillerons avec l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels en vue d’améliorer le soutien offert aux victimes d’actes criminels violents. Nous renforcerons en outre la rigueur des lois visant à protéger les investisseurs contre la criminalité en col blanc. Notre gouvernement ciblera en particulier ceux qui trompent les personnes âgées pour les dérober de leurs économies.
Nous lancerons une enquête nationale sur les femmes autochtones manquantes et assassinées au Canada. En attendant les résultats de cette enquête, nous créerons de meilleurs outils d’exécution de la loi, par exemple une banque de données nationale sur l’ADN pour les victimes du crime, qui sera reliée aux banques de données sur les personnes manquantes.
Protection de système de santé du Canada
Le programme de santé du Canada a lui aussi besoin d’attention. Nous amorcerons des négociations avec les gouvernements provinciaux et territoriaux sur la prochaine étape de l’Accord sur la santé. Notre but est de trouver des façons de réduire les coûts grimpants, en particulier par le contrôle du prix des médicaments pharmaceutiques. La création d’un programme national d’assurance-médicaments et d’une unité fédérale qui dispensera des conseils – à la façon de la Therapeutics Initiative de la Colombie-Britannique – sera une priorité centrale pour le ministre de la Santé.
Rétablissement de notre réputation internationale
Mon gouvernement est également déterminé à rétablir la réputation ternie du Canada sur la scène internationale. Nous devons retourner au multilatéralisme, nous devons travailler avec le reste du monde au lieu de l’éviter. Notre nouvelle détermination à aborder le changement climatique aidera en ce sens, mais nous devons également réinvestir dans la diplomatie, le maintien de la paix et les droits de la personne partout dans le monde. Il est essentiel d’éliminer la pauvreté. Nous viserons l’objectif établi par Lester Pearson, c’est-à-dire 0,7 % du PIB sera affecté à l’aide publique au développement d’ici 2020.
Les citoyens en premier
Un programme qui met les citoyens en premier : cela signifie que nous prenons très au sérieux nos obligations gouvernementales envers la relation continue avec les personnes qui élisent nos représentants. Dans les faits, les députés travaillent pour leurs électeurs et non pour leurs partis politiques. Nous devons réduire la partisanerie et la concurrence dans le discours politique et trouver des façons de travailler ensemble pour le mieux-être de tous.
Il s’agit là d’un programme ambitieux, et il y a beaucoup plus à faire encore. Mais si nous travaillons tous ensemble, rien n’est impossible.