Motion d`adjournement – Les relations canado-américaines

Elizabeth May : Monsieur le Président, je profite de la motion d’ajournement pour revenir sur une question que j’ai soulevée lors de la période des questions le 3 mars. Même si l’heure est tardive, et que c’est l’aube du 29 mai, cette intervention tombe à point parce que le Comité des finances mènera aujourd’hui une étude article par article sur l’objet de ma question. Ma question porte sur une mesure législative très importante et dangereuse qui est enfouie dans le projet de loi omnibus C-31 dont nous sommes saisis actuellement.

La question que j’ai posée suscite une certaine émotion parce que lorsque je l’ai relue, j’ai constaté que c’était la dernière fois, lors de la période des questions, que j’avais posé une question à l’ancien ministre des Finances, Jim Flaherty, notre cher et regretté collègue. Même si j’aimais bien Jim, en lisant sa réponse, j’ai constaté qu’il n’avait pas répondu à ma question et que c’est pour cette raison que j’avais noté que je devais revenir sur ce sujet lors de la motion d’ajournement.

Comme je l’ai dit, il est émouvant et un peu triste de parler, dans le cadre de la motion d’ajournement, à 0 h 15, de la constitutionnalité d’une mesure dont de nombreux Canadiens n’ont probablement jamais entendu parler, à savoir la Foreign Account Tax Compliance Act, ou FACTA, qui est enfouie dans le projet de loi C-31, le projet de loi omnibus d’exécution du budget dont nous sommes actuellement saisis.

Voici l’objectif de la Foreign Account Tax Compliance Act des États-Unis, également surnommés « Oncle Sam ». Dans ce cas-ci, l’Oncle Sam a presque réussi à mettre le Canada à genoux. Quel coup de maître. En fait, les États-Unis ont adopté une loi nationale et ont exigé que les autres pays s’inclinent et acceptent de l’appliquer sur leur territoire.

En tant qu’ancienne citoyenne américaine, je trouve cela paradoxal, car à l’époque où ma famille a déménagé au Canada et a pris la citoyenneté canadienne, le gouvernement américain avait réagi comme suit: « D’accord. Vous êtes Canadiens maintenant. Vous ne pourrez donc plus revenir ici et prétendre que vous êtes Américains. Vous ne pouvez pas faire marche arrière. » Les lois étaient très claires: nous n’étions plus citoyens américains. Cela ne me dérangeait pas, car j’étais Canadienne et c’est la seule citoyenneté qui m’importait.

Maintenant que les États-Unis semblent à court d’argent, on dirait des gens qui cherchent sous les coussins du sofa pour trouver de la monnaie là où ils n’ont pas regardé encore. Une image qui décrit de façon plus visuelle la situation serait peut-être celle de quelqu’un qui saisit par les chevilles les personnes ayant un lien quelconque avec les États-Unis et qui les secoue, alors qu’elles ont la tête en bas, pour voir si des pièces de monnaie tombent de leurs poches.

En fait, en vertu de la Foreign Account Tax Compliance Act, nous accédons à la demande des États-Unis comme si nous avions signé avec eux un traité exécutoire, ce qu’on appelle un « accord intergouvernemental ». En fait, le Congrès américain n’a toujours pas ratifié ce traité, alors il ne devrait être aucunement exécutoire pour le Canada. De surcroît, nous savons qu’au moins un spécialiste en constitutionnalité, Peter Hogg, a adressé au Canada une lettre, dont j’ai obtenu copie par l’entremise d’une demande d’accès à l’information, dans laquelle il dit que les dispositions proposées dans cette loi « […] sont discriminatoires au point qu’elles ne passeraient pas l’épreuve de la Charte. »

Autrement dit, on nous impose un projet de loi omnibus et, à moins que mes amendements ne soient acceptés demain dans le cadre de l’étude article par article au comité, nous adopterons une fois de plus une mesure discriminatoire qui traite les Canadiens de manière distincte selon leur catégorie, ce qui enfreint l’article 15 de la Charte. Et nous aurons fait cela pour accéder à une demande en vertu d’une loi que les États-Unis n’ont même pas acceptée comme traité, puisqu’ils ne l’ont pas ratifiée.

Il existe une solution, et cette solution a été proposée par de nombreux juristes: il faut retirer cette disposition du projet de loi C-31.

Gerald Keddy : Monsieur le Président, je remercie la députée de Saanich—Gulf Islands de son intervention. Je la remercie aussi d’être restée ce soir pour poser sa question, parce qu’il commence à se faire tard.

Je suis évidemment en désaccord avec son interprétation de la Foreign Account Tax Compliance Act. En réalité — et la députée est bien placée pour le savoir puisqu’elle a de la parenté et des proches aux États-Unis —, le régime fiscal américain a toujours été fondé sur la citoyenneté. Il n’y là a rien de nouveau. Les citoyens américains qui vivent à l’extérieur des États-Unis doivent payer des impôts aux États-Unis. C’est la loi dans ce pays-là et il en a toujours été ainsi. Beaucoup de personnes de ma parenté ont la citoyenneté américaine, alors je sais de quoi je parle. C’est tout simplement faux de dire que les règles ont changé à cause de cette loi.

Malheureusement, il y aura toujours des gens qui, par défaut ou à cause de leur lieu de naissance, auront aussi la citoyenneté américaine, y compris des Canadiens qui sont nés en territoire étatsunien. Ces gens doivent faire corriger leur citoyenneté. Quoi qu’il en soit, les personnes qui ont deux citoyennetés ont toujours eu des obligations fiscales en conséquence. Les citoyens américains qui vivent au Canada et qui ont le statut de résident permanent ici ont toujours eu des obligations fiscales envers leur pays d’origine. Rien n’a changé.

Une des principales préoccupations tenait au fait que les obligations en matière de rapports concernant les comptes au Canada auraient contraint les institutions financières canadiennes à communiquer directement à l’IRS des renseignements sur les titulaires de compte qui étaient de nouveaux résidants et des citoyens américains, y compris les citoyens américains qui étaient résidants et citoyens du Canada, risquant ainsi de violer les lois canadiennes en matière de protection des renseignements personnels. C’était là une préoccupation majeure. Si aucun accord n’était conclu, l’obligation de respecter la FATCA aurait été unilatéralement et automatiquement imposée aux institutions financières canadiennes et à leurs clients à compter du 1er juillet 2014. Comme je l’ai dit plus tôt, cette mesure reposerait sur le fait qu’il y avait des citoyens américains vivant à l’extérieur des États-Unis.

Pour répondre à cette préoccupation et remédier à d’autres problèmes, le gouvernement a signé un accord intergouvernemental avec les États-Unis au début de février dernier. En vertu de cet accord, les institutions financières canadiennes ne fourniront aucun renseignement directement à l’IRS. Les renseignements pertinents sur les comptes détenus par des citoyens et des résidants américains seront plutôt communiqués à l’Agence du revenu du Canada.

La députée a parlé de citoyens canadiens. Les citoyens canadiens ne sont pas visés par cette mesure. Les citoyens qui ont la double nationalité devront payer de l’impôt aux États-Unis ou, pour bien dire les choses, pour la gouverne de la députée, ils devront produire des déclarations de revenus. Il se peut qu’ils n’aient aucun arriéré à payer, qu’ils n’aient pas à payer d’impôts aux États-Unis, mais ils devront produire des déclarations de revenus, ce qu’ils ont toujours dû faire. L’ARC transmettra ensuite l’information à l’IRS conformément aux dispositions et aux garanties du traité conclu entre le Canada et les États-Unis et à nos lois sur la protection des renseignements personnels.

J’aimerais également faire remarquer qu’en vertu de l’accord intergouvernemental, l’IRS fournira à l’ARC de l’information sur certains comptes de résidents canadiens détenus dans des institutions financières américaines. Il y aura donc réciprocité.

C’est un accord intergouvernemental, et un traité, extrêmement complexe. Il couvre une foule de points. Toutefois, une chose est claire: personne n’aura à payer plus d’impôt qu’il n’en paie déjà.

Elizabeth May : Monsieur le Président, je ne suis pas d’accord avec le député. Il y a de nombreux experts en droit fiscal, notamment le professeur Allison Christians, qui dirige la chaire Stikeman en droit fiscal à l’Université McGill. Cette mesure s’applique aux individus qualifiés de « personnes des États-Unis ». Elle ratisse très large et elle pourrait fort bien s’appliquer à des citoyens canadiens qui n’ont pas la double citoyenneté. Elle pourrait s’appliquer aux enfants d’anciens citoyens américains. La mesure ratisse large et elle transmet les renseignements personnels sur des Canadiens, à leur insu, à l’IRS. De plus, elle n’est pas suffisamment réciproque.

Les conclusions de nombreux experts juridiques qui ont comparu devant le Comité des finances établissent clairement que ce document n’est pas réciproque, qu’il n’est pas dans l’intérêt du Canada et qu’il n’est pas nécessaire aux termes du droit international parce que les États-Unis n’ont même pas ratifié l’accord intergouvernemental. Le professeur Peter Hogg, le plus grand constitutionnaliste canadien, nous a aussi appris qu’il contreviendrait à la Charte s’il devait être soumis à la Cour suprême du Canada. Il faut retirer ce document du projet de loi.

Gerald Keddy : Monsieur le Président, je le répète, c’est un sujet qui passionne la députée et je respecte cela. Il ne faut toutefois pas confondre passion et faits.

Le fait est que tout citoyen américain vivant à l’étranger doit s’acquitter de son obligation fiscale envers l’IRS. Cette obligation a toujours existé, car les États-Unis sont l’un des deux pays au monde où l’imposition est fondée sur la citoyenneté. On a beau débattre du bien-fondé de cette politique, le fait est que c’est la loi fiscale américaine, que c’est la politique américaine et que ça l’a toujours été.

Nous devions trouver une solution sans que les États-Unis ne s’ingèrent dans les lois et le régime fiscal canadiens. À l’instar de plusieurs autres pays membres du G7 et de 36 autres pays dans le monde, nous avons trouvé une solution.

Peu importe que nous soyons ou non d’accord avec cette politique. Le fait est que nous devons trouver le moyen de nous y conformer sans trop empiéter sur la citoyenneté canadienne.