Le programme d’innovation du Canada — Les grands projets ambitieux peuvent-ils fonctionner?
Le 7 février 2017
Elizabeth May, O.C., députée
La productivité n’est pas tout, mais à long terme, c’est presque tout.
Paul Krugman, The Age of Diminishing Expectations (1994)
Il ne vaut pas la peine de répéter que le Canada accuse un retard en matière d’accroissement de la productivité. Nous pouvons citer des statistiques sur notre recul par rapport à ce que l’on observe dans d’autres pays, sur notre recherche et notre développement qui ne donnent pas de résultats, et sur la tendance des plus importantes entreprises à cacher leur argent plutôt qu’à le réinvestir. La pile d’« argent mort », ainsi baptisée par l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, témoigne de la réticence des grandes sociétés à réinvestir dans leur entreprise et à financer l’innovation.
Les analyses économiques décrivent, de nombreuses façons, que l’innovation est un indicateur de la productivité, ainsi que les raisons pour lesquelles les divers concepts sont si intimement intégrés, mais l’innovation est sans aucun doute un facteur de l’équation de la productivité.
De toute évidence, le gouvernement Trudeau veut être perçu comme une administration qui s’attaque à ce problème crucial. Si nous n’innovons pas, nous saboterons notre avenir économique.
Ma circonscription de Saanich—Gulf Islands compte une foule extraordinairement variée de chefs de file et d’innovateurs en matière de technologie. Quester Tangent vend son système de diagnostic informatique de bord « commande intégrale des trains » à des chemins de fer en Chine, en Europe et aux États-Unis, mais pas encore au Canada. (Si ce système s’était trouvé à bord du train de carburant à Lac-Mégantic, la tragédie aurait pu être évitée.) Pendant ce temps, dans un immeuble sans prétention de Saanichton se trouve un innovateur de haute technologie de dépistage diagnostique. Redlen Technologies cultive des cristaux qu’il découpe en tranches très minces pour ensuite les appliquer au dépistage de toutes sortes d’éléments, de tumeurs allant jusqu’à des bombes. Pour utiliser une terminologie technique, Redlen fabrique des modules de détection de rayonnement et des capteurs de radiation à semi-conducteurs de tellurure de cadmium-zinc à haute résolution. L’année dernière, l’entreprise a conclu une entente avec le service médical d’Hitachi. Ce qu’elle réalise est génial. Cependant, pour cela, elle a besoin de capital.
Le plus récent lauréat du prix de l’éco-entreprise de l’année, Empire Hydrogen, a perfectionné une technologie visant à réduire les émissions polluantes des moteurs diesel, au moyen d’une application simple et élégante : une petite boîte métallique, située sur le côté du camion et utilisant uniquement de l’eau distillée et l’action même du moteur, génère de l’hydrogène afin de réduire de manière spectaculaire la consommation de carburant et les particules nocives. Je suggère qu’on installe sur chaque camion au Canada cette application, qui s’autofinance en à peine quelques mois.
À l’instar de la plupart des innovateurs, son propriétaire-inventeur, Sven Tjelta, a dû financer le développement de l’entreprise à même ses économies personnelles et au moyen de prêts hypothécaires. Voici la question qui se pose maintenant : comment les gouvernements peuvent-ils aider les entreprises? Pouvons-nous mettre en place des mesures pour inciter nos banques à agir, elles qui sont si frileuses à l’égard du risque? Pouvons-nous financer de grands volets de capital-risque?
Technologies du développement durable Canada est reconnu pour posséder un bilan remarquable en matière de mise au point des technologies propres et écologiques. Cependant, elle en est encore aux premiers stades pour ce qui est de faire la preuve qu’une nouvelle technologie peut fonctionner. Pour commercialiser son innovation technologique, il lui faut encore combler des lacunes et surmonter des obstacles.
La nouvelle expression à la mode, « grands projets ambitieux », est-elle donc la voie à suivre? Ce sera précisément ce qu’il faut si cela permet d’accorder aux produits de pointe du Canada une place à l’avant de la vitrine. Si on peut assurer un arrimage entre les investissements canadiens et les entreprises de pointe qui existent déjà et sont prêtes à vendre au monde entier, mais l’élan est arrêté par l’absence de capital de croissance, cela pourrait répondre tout à fait à leurs besoins. Nous devrions aussi tenir compte des avertissements de Jim Balsillie, et nous assurer que nos mesures concernant la propriété intellectuelle sont suffisantes pour protéger nos grandes entreprises sur un marché mondial de plus en plus prédateur.
Le programme d’innovation est stimulant. Ma principale recommandation au ministre Bains est de décrocher le récepteur du téléphone et de parler aux entreprises qui accomplissent le travail. Demandez-leur ce qui pourrait les aider le plus, puis faites-le.