2021-04-26 15:55 [p.6184]
Madame la Présidente, je m’adresse aujourd’hui à mes collègues depuis le territoire ancestral de la nation W_SÁNEC. Je suis profondément honorée de représenter un tel endroit au Parlement. Hych’ka Siem.
J’aimerais commencer par une réflexion au sujet de la nature historique de ce budget ainsi que par une pensée qui nous vient de la regrettée Jane Jacobs, qui compte parmi les plus grands penseurs que le Canada ait connus et qui était également une excellente urbaniste. Dans son dernier ouvrage, Retour à l’âge des ténèbres, elle a mentionné que notre société semble souffrir d’amnésie collective.
Ce que je vais dire provoquera probablement du chahut. Je m’en excuse. Je veux dire, je suis désolée si je provoque du chahut et non d’avoir moi-même chahuté, puisque je ne chahute jamais.
Alors que nous étudions le budget, qui contient, enfin, un engagement historique en matière de garde d’enfants, j’estime important d’examiner la dernière occasion qui nous a été donnée de faire des progrès en matière de garde d’enfants, de faire des progrès en vue de respecter nos objectifs de Kyoto et de faire des progrès vers la réconciliation.
Je parle des réalisations de 2005 qui n’ont jamais vu le jour. Je ne mentionnerai pas les partis politiques ni les chefs de l’époque, mais je dirai que nous avons été dérobés de ces occasions par notre système électoral uninominal majoritaire à un tour. D’abord, je précise que, à l’époque, je ne faisais partie d’aucun parti politique.
J’étais directrice générale du Sierra Club du Canada. Quand je pense au 28 novembre 2005, j’ai envie de pleurer. J’ai effectivement pleuré.
Nous avions un très bon plan pour atteindre les objectifs de Kyoto. Lorsque je parle d’amnésie collective, j’inclus les libéraux, à qui nous devions le plan, mais qui semblent avoir complètement oublié cette réalité historique. Le ministre des Finances d’alors, Ralph Goodale, avait présenté un budget très détaillé. Le ministre de l’Environnement était Stéphane Dion. Il a été déterminé que ce plan nous aurait permis d’atteindre une réduction de près de 6 % par rapport aux niveaux de 1990. Selon les dernières données sur nos émissions, nous en sommes maintenant à une hausse de 21 % par rapport aux niveaux de 1990.
Ken Dryden a établi, alors qu’il était ministre, le plan pour la garde d’enfants, lequel était phénoménal. Il avait quelque chose que nous n’avons pas en ce moment: des ententes signées avec les 10 provinces. Le plan comptait vraiment. Les députés peuvent le demander à Martha Friendly. Il était important, et du financement lui avait été octroyé.
De plus, cinq grandes organisations autochtones du pays, représentant les Premières Nations, les Métis, les Inuits, les femmes autochtones et d’autres groupes, travaillaient sur une entente très solide. Il s’agissait de l’Accord de Kelowna, une entente de 5 milliards de dollars sur cinq ans. C’était loin d’être suffisant, mais c’était un bon départ. Toutes ces avancées ont été perdues à cause du système majoritaire uninominal à un tour et des inquiétudes sur ce qui se passerait si le gouvernement minoritaire de l’époque devait survivre encore une fois.
Plus tôt aujourd’hui, on a assisté à la Chambre à un petit échange entre la députée de London—Fanshawe et le député de Kingston et les Îles à propos du budget de cette année-là. Soyons clairs: le budget de cette année-là a été adopté. Le gouvernement de Paul Martin n’a pas été renversé en raison de ce budget. Comme certains d’entre nous s’en souviendront, ce budget avait brillamment été révisé par Jack Layton. Il comprenait près de 5 milliards de dollars de dépenses sociales
supplémentaires, des fonds pour le logement abordable, et d’autres fonds pour mettre fin à la pauvreté mondiale. Cela aurait mis le Canada sur la voie de l’objectif de 0,7 % du PIB, aussi appelé l’objectif Pearson. Comme je l’ai dit, c’est à pleurer.
Le budget a été adopté, mais les conservateurs de Stephen Harper ont orchestré la chute du gouvernement en présentant leur propre motion de défiance, avec l’appui des deux autres partis à la Chambre aujourd’hui: le Bloc et le NPD. Cela a fait tomber le gouvernement en raison du système uninominal majoritaire à un tour. Cela s’explique: si un parti d’opposition fait des prévisions, il ne souhaite pas que les libéraux soient trop populaires, et ils seraient populaires s’ils respectaient le Protocole de Kyoto, s’ils respectaient l’Accord de Kelowna, et s’ils organisaient des services de garde d’enfants.
N’eût été le vote fatidique du 28 novembre 2005, le niveau d’émissions serait aujourd’hui mesuré en fonction du niveau de 1990, et non de 2005. Le niveau d’émissions ne serait pas 21 % supérieur au niveau de 1990. Il serait inférieur. Les services de garde seraient une réalité pour les mères canadiennes qui travaillent — je devrais dire « parents », car les pères assument des responsabilités également, mais, comme on le sait, ce sont surtout les mamans. Les services de garde auraient été une réalité ces 15 dernières années, et non dans cinq ans, comme l’a promis la nouvelle ministre des Finances. Je crois qu’elle a pleinement l’intention d’honorer son engagement en matière de services de garde, mais, comme il s’agit d’un domaine de compétence provinciale, l’argent ne suffira pas s’il n’est pas assorti d’une entente. Il faut espérer qu’une entente soit conclue à cet égard, mais nous l’aurions eu il y a longtemps.
Nous voilà donc avec le présent budget. Quels en sont les éléments qui nous plaisent? Encore une fois, je dois dire que si le budget est un retour vers le futur, nous ne retrouverons jamais les années perdues. Tous les partis à l’époque — le Bloc, le NPD et les conservateurs — ont fait le calcul politique qu’il valait la peine de faire tomber le gouvernement de Paul Martin et de remplacer celui-ci par Stephen Harper parce qu’ils s’en porteraient mieux par la suite.
Nous n’allons toutefois jamais récupérer les années perdues. Où en sommes-nous donc maintenant?
Je suis convaincue que les autres membres du caucus du Parti vert sont aussi ravis que moi de voir que les services de garde d’enfants seront financés. Nous souhaitons que cette mesure réussisse et nous adorerions pouvoir l’appuyer. Malheureusement, le budget ne propose pas de régime universel d’assurance-médicaments. Pourquoi ce dossier n’avance-t-il pas? Le rapport Hoskins accumule plutôt la poussière sur les tablettes.
Qu’est-il advenu du revenu minimum garanti? Lors de leurs congrès respectifs, les libéraux et les néo-démocrates ont tous deux appuyé la création d’un revenu de base, c’est-à-dire un revenu minimum garanti. Pourtant, le budget est muet à ce sujet.
Qu’est-il arrivé aux réponses à la crise des opioïdes qui fauchent des vies partout au pays? Où sont les mesures de décriminalisation? Où se trouvent les plans vraiment importants pour mettre fin à la crise des opioïdes? Qu’en est-il des gens qu’on abandonne réellement dans ce cas-ci? Les jeunes, les étudiants au niveau postsecondaire, les personnes ayant un handicap sont laissés pour compte. Il n’y a rien pour les gens à faible revenu qui paient un loyer. Le budget comporte tellement de lacunes.
Qu’en est-il de l’aide au développement à l’étranger et de cette petite promesse faite en 2005? Depuis, personne du côté du gouvernement n’a parlé de ce seuil de 0,7 % du PIB pour l’aide extérieure du Canada. Ce budget ne fait pas grand-chose pour l’aide au développement à l’étranger, une somme étonnamment minuscule. Les organisations non gouvernementales et les organismes dans le secteur du développement demandent à ce qu’au minimum 1 % de l’argent dépensé par les pays industrialisés pour combattre la COVID-19 soit investi dans l’aide au développement à l’étranger. On est très loin du compte. Le budget prévoit moins de 0,5 % échelonné sur plusieurs années. Nous savons que les pays en développement seront affectés par une crise alimentaire en raison de la COVID-19. Plus que jamais, les pays en développement auront besoin d’aide et, malgré que ce soit une augmentation, les sommes consenties sont loin d’être suffisantes.
Par ailleurs, il y a des fonds pour l’Agence canadienne de l’eau, qui joue un rôle extrêmement important. Toutefois, il y a longtemps, en 1986, quand j’étais fonctionnaire, nous avions la Direction générale des eaux intérieures. Elle comptait plus de 1 250 employés et, si ma mémoire est bonne, disposait d’un budget de 16 millions de dollars, mais elle a fini par disparaître en raison des compressions budgétaires au fil des années. Or, l’Agence canadienne de l’eau a pour ainsi dire été créée pour la remplacer. Le budget ne prévoit que des miettes pour financer cette nouvelle entité; elle a besoin de bien plus de 8,5 millions de dollars par année pendant deux ans. C’est tout simplement insuffisant.
En ce qui concerne le climat, le budget lui-même indique que nous pourrons réduire les émissions de 36 % par rapport aux niveaux de 2005. C’est discutable. Le budget comporte de nombreuses dépenses qui sont très louables. J’aime l’idée des obligations vertes. C’est une excellente idée. Je trouve que c’est très positif de voir que 4,4 milliards de dollars sont consacrés à ce qu’on appelle des « rénovations résidentielles profondes » afin de favoriser l’utilisation d’énergie renouvelable, mais il y a beaucoup d’éléments qui se font passer pour des « technologies propres », alors qu’il s’agit de technologies polluantes, comme les petits et moyens réacteurs nucléaires. Si nous produisons de l’hydrogène, c’est formidable, mais nous devons nous assurer qu’il est produit entièrement à partir de sources d’énergies renouvelables et non de combustibles fossiles.
Le problème dont personne n’ose parler, c’est que le gouvernement nous a présenté un budget qui prétend s’attaquer à la crise des changements climatiques, tandis qu’il maintient des subventions pétrolières de plusieurs milliards de dollars par année pour produire des combustibles fossiles, tout en promouvant et en construisant, par l’entremise d’une société d’État canadienne, un oléoduc pour acheminer un produit pour lequel il n’y a pas de marché, qui n’est pas rentable et qui risque de détruire les écosystèmes qui se trouvent le long de son tracé.
La construction de cet oléoduc a déjà été interrompue, pas plus tard que la semaine dernière, lorsqu’on s’est rendu compte qu’en coupant les arbres, on menaçait l’habitat de certains oiseaux migratoires. En effet, on détruisait l’habitat de certains oiseaux migratoires. Une société d’État canadienne, financée par les deniers publics, fait construire un oléoduc, Trans Mountain, qui ne devait jamais exister et qui présente une menace directe à l’environnement. Le directeur parlementaire du budget a dit que si le projet était soumis à d’autres contraintes liées à la protection de l’environnement, il perdrait des milliards de dollars, et c’était avant la présentation de ce budget, qui comporte en effet de nouvelles limites de ce genre.
Ce budget contient beaucoup de bons éléments, des éléments qu’on aimerait appuyer, mais comment y arriver, si nous voulons vraiment laisser un monde vivable à nos enfants, en sachant qu’il faudrait réduire beaucoup plus rapidement les émissions de gaz à effet de serre? Il faudrait adopter une cible encore plus ambitieuse que la nouvelle cible, qui consiste à réduire les émissions de 40 à 45 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030, que le premier ministre a annoncée au sommet sur le climat organisé par le président Biden la semaine dernière. Pour faire notre juste part, il faudrait que cette cible vise à réduire les émissions d’au moins 60 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030. Le budget, autant qu’il contienne de bonnes mesures, et je n’en ai mentionnées que quelques-unes à propos du climat, en comprend d’autres qui sont…
2021-04-26 16:05 [p.6185]
Madame la Présidente, je remercie la députée de son dévouement indéfectible pour résoudre la crise climatique à laquelle nous sommes actuellement confrontés et de son intérêt pour les mesures budgétaires concernant cette question.
Une électrice de ma circonscription, Mary Jane Philp, a acheté un exemplaire du livre A Good War de Seth Klein puis elle en a envoyé des copies à chaque député. Je viens de commencer à lire cet ouvrage, et une chose que je trouve très intéressante, c’est que l’auteur commence en comparant la crise climatique à la Seconde Guerre mondiale, et il parle de la manière donc le Canada s’est mobilisé en réaction à la situation.
Un point me laisse perplexe. L’une des raisons pour lesquelles nous ne sommes pas en mesure de nous mobiliser aussi rapidement que nous le voudrions aujourd’hui, c’est que nous avons du mal à convaincre tout le monde que c’est nécessaire, alors que pendant la Seconde Guerre mondiale, les Canadiens se sont mobilisés pour une cause commune beaucoup plus rapidement.
La députée peut-elle expliquer pourquoi nous avons du mal à nous entendre sur cette question?
2021-04-26 16:06 [p.6185]
Madame la Présidente, je félicite la résidante de la circonscription de mon collègue d’avoir envoyé l’excellent livre de Seth Klein à tous les députés.
Pour avancer il faut notamment du leadership, et celui-ci doit venir d’abord d’en haut. Les députés se rappelleront que les États-Unis ont beaucoup tardé à se rendre compte qu’ils devaient intervenir pour lutter contre la menace du régime fasciste nazi. Le leadership fait effectivement une différence, et si on dit que quelque chose doit être fait et qu’on s’y emploiera, alors on cessera de se demander ce qui est possible et on commencera à faire ce qui est nécessaire.
2021-04-26 16:07 [p.6186]
Madame la Présidente, je félicite ma collègue de Saanich—Gulf Islands pour son discours.
J’ai bien aimé entendre les verts parler d’environnement. C’est un peu plus proche de leur nature première, même s’ils n’ont pas toujours été vraiment très cinglants concernant les pipelines. Or c’est une autre histoire.
Je voudrais plutôt parler de la question des compétences du Québec et des provinces. On parlait tout à l’heure du système de garderies pancanadien qui, je n’en doute pas, va s’inspirer très largement de celui qui est en place au Québec depuis plus de 25 ans et qui fonctionne très bien.
Il y a aussi la question des compensations sans condition. On sait que le premier ministre a été quand même assez vague sur ses intentions à ce sujet. Y aura-t-il ou non des conditions attachées aux compensations financières pour le retrait du Québec dans ce dossier?
J’ai aussi cette inquiétude pour le moment où viendra le temps d’instaurer une assurance-médicaments à la grandeur du Canada.
Que pense ma collègue de ce manque de précision et de clarté quant à l’intention du gouvernement de compenser sans condition le Québec dans le cas des garderies?
2021-04-26 16:08 [p.6186]
Madame la Présidente, je remercie la cheffe du Parti vert de son service. J’ai eu l’honneur de travailler avec elle à la conception de son projet de loi sur la maladie de Lyme, et ses qualités de rassembleuse m’ont toujours impressionné.
J’ai eu une discussion au téléphone avec Maurice, un résidant de ma circonscription. Il voulait savoir comment ce budget allait toucher les aînés. Il a parlé d’un projet de loi que le Bloc québécois, le NPD et le Parti conservateur ont appuyé, il y a environ un mois. Ce projet de loi visait à augmenter les prestations de la Sécurité de la vieillesse de 110 $ par mois. Malheureusement, au lieu d’être rassembleur comme la cheffe du Parti vert, ce budget semble presque conçu pour semer la division. Les libéraux traitent les aînés de plus de 75 ans différemment des aînés de moins de 75 ans.
Je me demande si la députée aurait des observations à faire à ce sujet. Y a-t-il un moyen de corriger cela?
2021-04-26 16:09 [p.6186]
Madame la Présidente, je tiens à remercier mon collègue d’Oshawa de ses paroles extrêmement aimables. Je tiens cependant à y apporter une petite correction: je suis l’ancienne cheffe du Parti vert du Canada. Annamie Paul est maintenant à la tête du parti.
Toute augmentation des prestations de la Sécurité de la vieillesse est certainement la bienvenue. Comme le secrétaire parlementaire l’a mentionné il y a un instant, cette augmentation était effectivement une promesse électorale des libéraux. J’aurais préféré que le gouvernement ne trace pas de ligne de démarcation entre les personnes de 75 ans et plus et celles de 75 ans et moins. Nous pourrions peut-être apporter des améliorations au budget avant de le mettre aux voix, mais je doute que nous aurons le temps de voir les libéraux modifier grandement leur budget…