Elizabeth May: C’est possible que je ne puisse pas voter pour le projet de loi C-12. Voici pourquoi.

Elizabeth May (Saanich—Gulf Islands)
2021-04-27 13:39 [p.6234]

Madame la Présidente, je suis contente de pouvoir enfin parler du projet de loi C-12, la loi sur la responsabilité climatique pour atteindre la carboneutralité. Il a été présenté en novembre et nous nous retrouvons avec une attribution de temps. Ce texte doit vraiment être débattu à la Chambre.

Je sais que le secrétaire parlementaire et le ministre, lorsqu’ils déclarent que tous les partis à la Chambre sont prêts à appuyer le projet de loi, font bien attention de ne pas mentionner le Parti vert du Canada, le parti connu plus que tout autre, et les Canadiens le savent, pour mettre le climat au centre de ce que nous faisons pour garantir la viabilité et faire en sorte que les générations futures connaissent un climat hospitalier propice à la survie de la civilisation humaine.

Nous sommes donc heureux d’entendre les mots « loi sur la responsabilité climatique » et « carboneutralité d’ici 2050 ». Je sais que beaucoup seront étonnés que moi qui travaille sur le dossier du climat depuis si longtemps, depuis 1986, avec les premières étapes de la négociation de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, moi qui ai participé au Sommet de la Terre de Rio et à tellement d’autres conférences, tellement que je n’en ferai pas le compte, je ne sais pas comment je vais voter par rapport à ce projet de loi. Pourquoi irais-je penser qu’il peut se révéler dangereux?

Je vais vous expliquer pourquoi et je présenterai mes observations en deux parties. La première portera sur la science, car les données scientifiques sont essentielles. Nous devons faire les choses comme il faut. Il existe des budgets carbone, mais il n’en est pas question dans le projet de loi. Nous savons que les libéraux parlent de carboneutralité d’ici 2050.

Permettez-moi de parler un instant de Greta Thunberg. Nous savons tous que c’est une militante écologiste très engagée. Or, d’après elle, la carboneutralité d’ici 2050 est une sorte de renonciation, car elle donne aux politiciens l’illusion que nous avons le temps, que nous avons une vingtaine d’années pour trouver le moyen de remédier à la situation. Ce n’est plus le cas.
Permettez-moi de citer quelqu’un dont les libéraux auront entendu parler. Dans son livre intitulé Value(s): Building a Better World for All, Mark Carney explique ce qu’est le budget carbone probablement mieux que personne d’autre, à ma connaissance. À la page 273, il écrit: « Le budget carbone pour maintenir la hausse des températures en dessous de niveaux catastrophiques est rapidement épuisé. Si nous avions commencé en 2000, nous aurions pu atteindre l’objectif de 1,5 degré Celsius en réduisant de moitié les émissions tous les 30 ans. À présent, nous devons les réduire de moitié tous les 10 ans. Si nous attendons encore quatre ans, il faudra les réduire de moitié tous les ans. Si nous attendons encore huit ans, notre budget carbone des 1,5 degré Celsius sera épuisé. »

Comment pouvons-nous avoir une loi sur la responsabilité climatique qui a 2030 pour première année charnière? De toute évidence, il est trop tard.

J’aimerais maintenant lire une citation du président de la France, Emmanuel Macron. La citation est tirée du discours qu’il a prononcé au sommet organisé par le président américain Joe Biden, qui a eu lieu la semaine passée, lors du Jour de la Terre.

La citation est la suivante: « Il faut relever massivement les ambitions de chacun pour pouvoir tenir l’objectif de 1,5 degré. […] 2030 est le nouveau 2050. »

Ils ne peuvent pas l’avoir dit plus clairement: l’année 2030 remplace 2050 comme année jalon. Nous avons ici une mesure législative qui affirme que tout ira bien, que nous passerons notre premier jalon en 2030. Le gouvernement actuel a raté l’occasion d’assumer cette responsabilité, et le prochain gouvernement fera probablement de même. Il faut absolument que nous rendions ce projet de loi efficace.

Je pense qu’on peut le corriger, mais je suis très inquiète, parce que le ministre de l’Environnement et du Changement climatique m’a demandé en décembre dernier, à moi et au Parti vert, de proposer des amendements. Nous avons proposé l’élément clé, et sans consulter le Parlement, sans attendre que nous en arrivions à l’étape de la deuxième lecture et à l’étape de l’étude en comité, il a rejeté l’un des éléments clés à corriger dans ce projet de loi.

Passons maintenant de la science à la politique. À l’heure actuelle, 12 pays ont mis en vigueur des lois sur la responsabilité climatique. La norme de référence est la loi adoptée par le Royaume-Uni en 2008. Ce pays a créé un groupe indépendant d’experts, un institut de la responsabilité climatique, qui conseille le gouvernement dans son ensemble et non uniquement le ministre. Il ne s’est pas contenté de créer un groupe réunissant divers intervenants, mais un groupe d’experts entièrement indépendant.

C’était l’une des principales recommandations que j’ai faites au ministre pour que le groupe qui le conseille soit un groupe d’experts scientifiques. Sans attendre que mon amendement soit renvoyé au comité pour y être éventuellement adopté, il a créé un groupe réunissant divers intervenants qui ne jouit d’aucune indépendance par rapport au gouvernement, qui conseille le ministre, mais qui ne fait que retarder les négociations et les progrès.

Pour atteindre un jalon en 2025, nous devons accomplir une chose, en supposant que l’esprit du ministre y soit ouvert. Cependant, il a déjà dit aux médias qu’il n’est pas ouvert à notre suggestion. Nous devons intégrer l’objectif de 2025 dans ce projet de loi avant sa troisième lecture. Maintenant que le gouvernement dit qu’il vise 45 %, ce qui est beaucoup trop faible, d’après les données scientifiques — et j’y reviendrai si j’ai assez de temps —, nous devons au moins promettre que d’ici à 2025, nous aurons une réduction de 25 %, ou même de 15 %.

Cela doit être intégré au projet de loi afin d’établir une certaine reddition de comptes. Ce projet de loi donne à penser que le premier rapport serait déposé deux ans avant le premier jalon. Cela serait tout à fait conforme à l’Accord de Paris et à l’exigence de présenter un bilan mondial en 2023. Pour y parvenir, nous avons vraiment besoin de viser 2025 comme année jalon.

Je le répète, toutes les lois sur la responsabilité climatique des autres pays prévoient une première année jalon d’ici à cinq ans. Comme je l’ai mentionné, le Royaume-Uni a adopté sa première loi en 2008. Il en a adopté une nouvelle en 2019 prévoyant un premier jalon en 2025. La Nouvelle-Zélande a présenté sa loi, et cinq ans après son adoption, elle prévoyait que 2025 serait sa première année jalon.

Il est regrettable d’entendre les libéraux nous répéter les uns après les autres des réponses toutes faites qui induisent la Chambre en erreur. Je ne les blâme pas personnellement. Je pense que les mauvais conseils viennent d’Environnement Canada. Je ne comprends pas que le ministère ne soit pas au courant de ce que nous avons négocié à Paris.

Cependant, je peux dire très clairement que 2030 n’est pas la seule année ciblée dans l’Accord de Paris. L’année 2023 est celle du premier bilan mondial, et en vertu des accords négociés à Paris, plus précisément du paragraphe 24 du document de décision de la 21e Conférence des Parties, le Canada devait améliorer sa contribution déterminée au niveau national en 2020. Nous n’avons pas tenu compte de cette exigence.

Nous constatons maintenant une amélioration de la position du Canada par suite des annonces faites par le premier ministre la semaine dernière au Sommet sur le climat du président Biden, mais nos cibles demeurent nettement insuffisantes. Le minimum que le Canada devrait faire est une réduction de 60 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030.

Pouvons-nous corriger le projet de loi C-12? Je pense que oui, mais la réalité, et c’est un dur constat, c’est que les amendements que nous avons proposés jusqu’à maintenant ont déjà été rejetés par le gouvernement libéral. Nous avons maintenant une motion de clôture qui limite la durée du débat à cinq heures. Je crains fort de ne pas pouvoir voter en faveur du projet de loi C-12 dans sa forme actuelle, non pas parce que je ne veux pas de mesures de lutte contre les changements climatiques, mais parce que, comme le dit Greta Thunberg, sans un objectif à court terme significatif, l’objectif de carboneutralité d’ici 2050 équivaut à une capitulation.