Trains, pipelines et désastres

Chaque fois que je pense à ce qui est arrivé à Lac-Mégantic, j’ai beaucoup de difficulté à me dire qu’au-delà de ce deuil terrible, une si jolie petite ville ait pu être victime d’une catastrophe d’une telle ampleur. La seule comparaison qui me vient à l’esprit est celle d’une petite ville soudainement bombardée en temps de paix.

Je vis dans une jolie petite communauté paisible qui ressemble à Lac-Mégantic. Sidney-by-the Sea est un oasis de paix de 10 000 personnes dans la partie sud de l’Ile de Vancouver. Ici, comme partout au Canada, nous avons ce sentiment qu’un des nôtres est décédé. Kenny Podmore,  l’un de mes amis du club Rotary, qui est conseiller municipal à Sidney-by-the Sea, m’a envoyé un courriel hier en me demandant de l’aider à organiser, lors de la fête du Travail, une collecte de fonds pour Lac-Mégantic. Je suis tellement heureuse de pouvoir aider de façon positive et utile cette communauté profondément blessée.

Les médias en sont maintenant à analyser ce que la classe politique devrait ou ne devrait pas dire pour l’occasion. J’ai beaucoup de misère à jeter le blâme sur Thomas Mulcair pour avoir tenu des propos évidents. Laisser ce train sans surveillance, moteur en marche, avec 74 wagons remplis de pétrole brut  dans une pente  – avec la possibilité que les freins soient défectueux et que le convoi dévale la pente à toute vitesse jusqu’à la communauté la plus proche – avait été expressément approuvé par Transport Canada.  Il est beaucoup trop tôt pour espérer avoir toutes les réponses, mais la logique nous pousse à penser que certains faits sont évidents. L’incapacité du gouvernement fédéral dirigé par Stephen Harper à assurer une surveillance appropriée est l’un de ces constats.

De nombreux autres éléments sans rapport les uns avec les autres me viennent à l’esprit et je veux exposer ceux qui, selon moi, sont d’une évidence foudroyante.

  • Les promoteurs de projets pipeliniers ont rapidement tenté de tirer avantage du débat. Leur opportunisme a été non seulement de mauvais goût, mais faux. Selon ma connaissance du dossier, personne ne propose un pipeline reliant le Dakota du Nord au Nouveau-Brunswick. S’opposer aux projets Keystone ou Enbridge n’a donc aucun effet sur d’éventuels accidents sur ce tracé.
  • De façon générale, les trains sont un moyen de transport de produits sécuritaire – aussi longtemps que ce moyen est réglementé de façon adéquate. Statistiquement parlant, les pipelines ont beaucoup plus d’accidents (fuites) que les trains. Il est vrai que les fuites de bitume et de diluant (bitume dilué) ou celles de pétrole brut ou raffiné ne pourraient entraîner un accident si meurtrier en un si court laps de temps. Ce n’est cependant pas un argument en faveur des pipelines. Ce raisonnement est plutôt un argument pour une réglementation des pipelines et des trains afin de réduire le risque d’accident.
  • Les administrations municipales ont le droit de savoir ce qui transite dans leur ville. Les convois de produits dangereux ne devraient jamais être laissés sans surveillance et devraient (dans la mesure du possible) circuler loin des centres-villes.
  • Il me semble bizarre, lorsqu’il y a débat sur la menace terroriste, que les scénarios envisagés le soient sur la base de l’application de la loi et de l’argent des contribuables pour éviter des risques somme toute minuscules.  Dans notre vie de tous les jours, des risques plus probables et bien plus importants sont ignorés en raison de l’idée maîtresse de profits.
  • L’hystérie collective à propos de la réglementation – l’appel en faveur de la rationalisation, de l’accélération des processus et de l’autoréglementation des industries (dans de nombreux domaines et pas seulement dans celui du transport ferroviaire)  – doit être remplacé par un engagement envers la sécurité du public et la protection environnementale.
  • Les fuites de pipeline constituent à leurs façons des désastres en matière de perte de vies et d’habitat. Les pipelines ne sont pas des bombes ambulantes comme peuvent l’être les trains. Ils peuvent cependant détruire une rivière ou un terrain avec des fuites de contaminants nuisibles, ce qui n’est pas plus acceptable.

L’enquête prendra du temps.  On devra déterminer la responsabilité civile, la négligence et la négligence criminelle des uns et des autres dans cette affaire. Puisque l’enquête est qualifiée d’enquête criminelle, il pourrait y avoir des accusations criminelles portées contre des personnes et même du temps d’incarcération. Une enquête de cette ampleur doit suivre son cours sans être perturbée. Personne ne devrait sauter aux conclusions. Il n’en demeure pas moins que certaines conclusions sautent au yeux. Ignorer ces évidences, c’est se limiter à un discours « politiquement correct » complètement illogique.