Submission: Environmental Assessment of Trans-Pacific Partnership Free Trade Agreement Negotiations

Évaluation environnementale des négociations du Partenariat transpacifique en vue de conclure un accord de libre-échange
Secrétariat des ententes et de l’ALENA
Affaires étrangères et Commerce international Canada
Édifice Lester B. Pearson, 125, promenade Sussex
Ottawa (Ontario)  K1A 0G2

Le 29 janvier 2013

Madame,
Monsieur,

Les commentaires qui suivent sont présentés dans le cadre de l’évaluation environnementale des négociations du Partenariat transpacifique en vue de conclure un accord de libre-échange. Les ministres Moore et Fast ont annoncé, le 9 octobre 2012, que le Canada s’était joint officiellement à ces négociations.

Étant donné que ces négociations sont entourées de secret, il est difficile de déterminer exactement l’ampleur des impacts qu’elles pourraient avoir sur l’environnement. Nous savons toutefois que des accords semblables à celui envisagé dans le cas présent ont eu et continuent d’avoir des effets négatifs sur l’environnement, au Canada et à l’étranger. Nous pouvons tirer certaines conclusions.

Nous pouvons dire avec certitude que, dans sa version finale, l’accord de libre-échange du Partenariat transpacifique comprendra des dispositions sur les relations investisseurs‑États. Pourtant, l’Australie s’est vivement opposée à l’ajout de mesures du genre dans l’accord; dans un énoncé de politique commerciale, le gouvernement de Julia Gillard a d’ailleurs indiqué qu’il ne souscrira plus à de telles mesures.

En tant que telles, les dispositions sur les relations investisseurs‑États qui sont intégrées aux traités commerciaux, comme le Partenariat transpacifique ou le chapitre 11 de l’Accord de libre‑échange nord‑américain (ALENA), ne concernent pas directement le commerce. Cependant, de nombreuses preuves ont déjà montré que ces dispositions minent fondamentalement la capacité des gouvernements d’adopter des lois, des règlements et des politiques qui protègent l’environnement et la santé de la population. Il faudrait, notamment, effectuer une analyse plus approfondie des cas d’arbitrage entendus dans le cadre du chapitre 11 de l’ALENA.

La première affaire du genre remonte à 1997. Ethyl Corporation, une entreprise de Richmond, en Virginie, a alors contesté une loi canadienne que le Parlement avait adoptée démocratiquement afin de protéger les Canadiens contre le MMT. Le MMT (méthylcyclopentadiényl manganèse tricarbonyl) est un additif neurotoxique de l’essence qui était néfaste pour la santé et l’environnement. Il était aussi problématique pour les convertisseurs catalytiques des voitures canadiennes, et les constructeurs automobiles redoutaient l’annulation des garanties. De plus, la substance risquait d’aggraver la pollution atmosphérique; on craignait qu’elle ait des effets neurotoxiques sur les populations particulièrement vulnérables – les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées. La même entreprise a déjà fabriqué de l’essence au plomb, et je crois qu’elle en produit et en vend toujours à des pays en développement. Comme l’ont démontré clairement les effets de l’essence au plomb sur la santé publique, un bon moyen de faciliter l’absorption d’un métal lourd toxique par le cerveau consiste à l’ajouter à l’essence. L’utilisation créative, par Ethyl Corporation, du terme « mesure équivalant à l’expropriation », employé dans le chapitre 11, a causé la surprise dans le milieu du commerce et de l’investissement. Ce que certains défendent bec et ongles en alléguant qu’il s’agit d’une disposition typique des Accords sur la promotion et la protection de l’investissement étranger (APIE) ne faisait pas partie des intentions des négociateurs de l’ALENA. J’ai parlé avec quelques‑uns d’entre eux, et ils m’ont dit que, à leur avis, les termes utilisés dans le chapitre 11 ne servaient qu’à codifier ce que la loi internationale exprime clairement : lorsqu’un État‑nation nationalise et exproprie les actifs d’une société étrangère, celle‑ci a droit à une indemnisation.

Lorsque la contestation d’Ethyl Corporation a été rendue publique, une tentative a été faite, par le biais de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de mettre en œuvre une version internationale du chapitre 11, intitulée « Accord multilatéral sur l’investissement » (AMI). L’OCDE a choisi de consulter la société civile internationale. J’étais alors directrice exécutive du Sierra Club du Canada, et j’ai assisté à une rencontre avec des négociateurs de l’OCDE, au siège social de l’organisation, à Paris. La séance s’est tenue conformément à la « règle de Chatham House », c’est‑à‑dire que je peux parler de ce qui s’y est discuté, mais que je ne peux pas dire qui a dit quoi. À cette occasion, les négociateurs de l’OCDE qui étaient chargés du dossier de l’AMI sont clairement apparus consternés du fait qu’une société américaine puisse invoquer la « mesure équivalant à l’expropriation », au chapitre 11, pour réclamer des dommages‑intérêts au Canada, qui avait décidé de retirer un produit toxique du commerce. L’échec des négociations sur l’AMI a été lié de près aux préoccupations de la France concernant la protection de sa culture, et à une mobilisation massive de citoyens du monde entier, mais la plainte d’Ethyl sur le MMT a montré comment la langue pouvait être utilisée de manière à miner la prise de décisions démocratiques. Barry Appleton, avocat canadien d’Ethyl Corporation, a dit à l’époque, qu’« on pourrait ajouter du plutonium liquide aux céréales des enfants, et si le gouvernement l’interdisait, les fabricants de ce produit pourraient nous poursuivre en disant que cette mesure leur fait perdre des profits ». (Cette citation est une version paraphrasée de son intervention.)

Après la décision de l’ex‑premier ministre Jean Chrétien d’exercer des pressions pour accélérer le règlement du dossier du MMT avant que les arbitres ne rendent leur décision à ce sujet, une deuxième poursuite en vertu du chapitre 11 a été intentée par S.D. Myers de l’Ohio, qui se plaignait des conséquences de l’interdiction décrétée à l’égard de l’exportation de déchets contaminés aux BPC en provenance du Canada. S.D. Myers était propriétaire d’incinérateurs de déchets dangereux aux États‑Unis. Il n’en avait pas au Canada, de sorte que le terme « investisseur » était une exagération. Cette affaire est allée en arbitrage et le Canada a perdu.

La décision rendue dans l’affaire S.D. Myers est remarquable pour plusieurs raisons :

  1. Elle met en cause une loi d’application générale visant à interdire les exportations de BPC. Cette loi n’était en aucune façon discriminatoire à l’égard des États‑Unis en général, ni à l’endroit de S.D. Myers en particulier.
  2. La décision d’adopter cette loi était conforme aux obligations du Canada en vertu de la Convention de Bâle sur les matières dangereuses et toxiques. En outre, la Convention de Bâle est expressément mentionnée dans l’ALENA comme une obligation multilatérale préexistante du Canada, qui n’est pas assujettie aux exigences de l’ALENA.
  3. Pendant toute la période où le Canada interdisait l’exportation de déchets contaminés aux BPC, il aurait contrevenu à la loi américaine concernant l’importation aux États‑Unis de déchets contenant des BPC.

L’affaire S.D. Myers doit être une mise en garde claire pour quiconque jette un coup d’œil sur l’Accord entre la Chine et le Canada en matière d’investissement, que l’arbitrage international peut aboutir à des résultats bizarres. La proportion de contestations en vertu du chapitre 11 de l’ALENA qui mettent en cause le droit environnemental est supérieure à celle des différends portant sur d’autres secteurs de la politique gouvernementale. Le Mexique a perdu sa cause dans l’affaire Metalclad, une entreprise américaine spécialisée dans l’élimination des déchets dangereux, qui souhaitait établir un vaste centre d’élimination de déchets toxiques à San Luis Potosi. Le gouvernement de l’État a rejeté la demande et le gouvernement fédéral du Mexique a perdu sa cause.

Il convient de souligner que la nature de l’ensemble des répercussions environnementales du chapitre 11 de l’ALENA n’a jamais été établie. Je suis d’avis que les affaires Ethyl Corporation et S.D. Myers ont vivement refroidi les ardeurs du Canada. Je sais, par exemple, qu’Alan Rock a reçu une lettre, du temps où il était ministre de la Santé, l’avertissant que toute décision visant à retirer l’homologation des pesticides utilisés sur les pelouses à des fins cosmétiques pourrait donner lieu à une poursuite en vertu du chapitre 11. À l’époque, cela a suffi pour convaincre le gouvernement de reculer. Nous ne sommes pas en mesure d’évaluer dans quelle mesure les poursuites engagées en vertu du chapitre 11 et les revers essuyés par le Canada ont eu un effet paralysant. À mon avis, il existe des arguments convaincants qui permettent d’affirmer que les affaires Ethyl Corporation et S.D. Myers sont directement à l’origine de l’impuissance du gouvernement canadien à intervenir pour réglementer ou interdire des substances toxiques qui l’auraient normalement été à l’époque où le chapitre 11 n’était pas en vigueur. L’examen approfondi du processus réglementaire effectué par le commissaire à l’environnement et au développement durable, au sein du Bureau du vérificateur général, pour déterminer pourquoi certains pesticides et certaines substances toxiques n’ont pas été interdits, pourrait fournir une preuve empirique de cet effet paralysant. À mon avis, la plus grande menace environnementale posée par ce traité se trouve précisément dans cet effet paralysant. Je crois que les gouvernements municipal, provincial, territorial et fédéral se retrouveront dans une position où ils remettront en question le processus d’élaboration des politiques et des lois touchant la qualité de l’environnement, la santé et la sécurité en fonction de la réaction que risquent d’avoir, selon eux, les investisseurs à qui le Partenariat transpacifique confère certains pouvoirs.

Des exemples plus récents de cas où les dispositions sur les relations investisseur‑État ont été utilisées pour contester des mesures relatives à la durabilité et à la protection de l’environnement, que ce soit au Canada ou à l’étranger, par des entreprises canadiennes, sont également troublants. En novembre dernier, la société énergétique américaine Lone Pine Resources a invoqué le chapitre 11 dans le cadre d’une poursuite intentée contre le gouvernement du Québec. L’entreprise exigeait des dommages‑intérêts de 250 millions de dollars parce que le Québec avait imposé un moratoire provincial à la fracturation hydraulique et que, par conséquent, il avait suspendu les droits d’exploration dans le golfe du Saint‑Laurent en attendant les résultats d’un examen approfondi des impacts environnementaux de cette pratique. Il est clair que les affaires du genre nuisent à la protection et à la réglementation environnementales au Canada. Comme l’a indiqué le porte‑parole de l’entreprise, Shane Abel, « nous croyons que l’expropriation est arbitraire et non fondée […] Selon nous, c’est une violation flagrante de l’ALENA ». [traduction]

En pratique, l’affirmation voulant qu’une décision en matière de réglementation soit « arbitraire » est elle‑même arbitraire, parce que de nombreuses décisions des gouvernements, comme celles qui découlent du changement démocratique de gouvernement, peuvent être considérées « arbitraires » du point de vue des investisseurs. Cela peut suffire à justifier des demandes d’arbitrage dans n’importe quel secteur d’intervention. Et même si les garanties contre les expropriations arbitraires et non indemnisées aident à maintenir un climat propice à l’investissement, dans la réalité, les tribunaux nationaux de tous les pays qui prennent part aux négociations sur le Partenariat transpacifique seraient aptes à protéger convenablement les investisseurs contre ces risques.

Si l’accord de libre-échange du Partenariat transpacifique devait contenir des dispositions sur l’arbitrage entre les États et les investisseurs, j’exigerais à tout le moins que des exceptions claires y soient ajoutées afin d’empêcher que des allégations d’expropriation soient lancées contre toute loi et tout règlement qu’un gouvernement envisagerait d’adopter en matière d’environnement, de services sociaux ou de travail. Même si elles n’éliminent pas le risque inacceptable qui pèse sur le droit démocratique et souverain des Canadiens de se gouverner eux‑mêmes, notamment en ce qui concerne la protection de l’environnement, de telles exceptions valent mieux que rien.

Comme l’a expliqué l’expert en droit des investissements, Gus Van Harten, « Le hic, c’est que ces exceptions ont toujours une portée incertaine et, en bout de ligne, ce sont les arbitres qui en décident. Or, les arbitres décident souvent qu’une mesure n’est pas « nécessaire », par exemple, lorsqu’une solution moins restrictive s’offre à un gouvernement. » [traduction] Les répercussions environnementales possibles de ce degré de latitude laissé à une entité non élue qui n’a pas à rendre de compte sont directes, au sens où un tribunal d’arbitrage peut accorder des dommages‑intérêts lorsque, à son seul avis, des lois ou des règlements environnementaux ne sont pas strictement « nécessaires », d’où une pression en faveur de l’annulation de ces lois et règlements. Les effets environnementaux possibles peuvent aussi être indirects, au sens où la menace implicite d’une telle poursuite judiciaire est suffisante pour dissuader un gouvernement d’adopter une loi ou un règlement environnemental qui risque d’être contesté en vertu du mécanisme de règlement des différends que renfermera probablement l’accord de libre-échange du Partenariat transpacifique.

Comme il a déjà été indiqué, le gouvernement de l’Australie a demandé, pour les motifs exposés ici, qu’une étude nationale d’envergure soit effectuée pour évaluer les répercussions du processus de règlement des différends entre investisseurs‑États sur l’économie et l’environnement de l’Australie. Publié en novembre 2010, le rapport de 400 pages, intitulé Bilateral and Regional Trade Agreements Productivity Research Report tient lieu de pierre angulaire à l’énoncé de politique commerciale du gouvernement Gillard, rendu public en avril 2011. L’énoncé de politique arrive à certaines conclusions qui sont particulièrement importantes dans le contexte d’un examen de l’impact environnemental du Partenariat transpacifique.

À propos des effets néfastes des mécanismes investisseurs‑États sur la capacité d’un gouvernement élu de mettre en œuvre des lois et des règlements dans l’intérêt public, voici ce que dit l’énoncé de politique :

Certains pays ont cherché à inclure des dispositions relatives au règlement des différends entre investisseurs‑États dans leurs accords commerciaux. Habituellement, ces dispositions habilitent les entreprises d’un pays à intenter une action en justice internationale contre le gouvernement d’un autre pays pour toute violation présumée des dispositions de l’Accord, par exemple des politiques prétendument discriminatoires à l’égard de ces entreprises et favorables aux entreprises nationales du pays visé par la poursuite.

Le gouvernement Gillard souscrit au principe du traitement national – à savoir que les entreprises étrangères et nationales sont égales devant la loi. Toutefois, il n’adhère pas aux dispositions qui auraient pour effet de conférer plus de droits aux entreprises étrangères qu’aux entreprises nationales. Pas plus qu’il n’appuie les dispositions ayant pour effet de limiter la capacité des gouvernements australiens de légiférer en matière sociale, environnementale
et économique, dans la mesure où les lois en question ne font pas de distinction entre les entreprises nationales et étrangères. Le gouvernement n’accepte pas et n’acceptera pas les dispositions ayant pour effet de limiter sa capacité d’apposer des mises en garde sur les produits du tabac ou d’exiger que leur emballage soit banalisé, ou sa capacité de maintenir en place son régime de prestations pharmaceutiques.

L’Australie a, sans aucun doute, mis le doigt sur le lien existant entre les dispositions investisseurs‑États et la perte graduelle du contrôle démocratique des lois régissant les affaires sociales, environnementales et économiques. C’est ce qui explique que le gouvernement de l’Australie « n’appuiera pas les dispositions [investisseurs-États] des accords commerciaux qui restreignent notre capacité de réglementer en toute légitimité nos questions sociales et environnementales ainsi que tout autre enjeu public d’importance ». [traduction] S’il ne veut pas perdre sa capacité d’adopter des lois et des règlements en matière d’environnement, le Canada aurait intérêt à suivre l’exemple de l’Australie lors des négociations.

Je demande vivement au Secrétariat des ententes et de l’ALENA de rendre public le contenu de l’accord qui est actuellement négocié en notre nom.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

 

Elizabeth May, O.C., députée
de Saanich―Gulf Islands
Chef du Parti vert du Canada