2020-02-03 17:25 [p.851]
Madame la Présidente, je tiens d’abord à souligner que nous sommes ici aujourd’hui, comme tous les jours d’ailleurs, sur les terres ancestrales non cédées du peuple algonquin.
Nous débattons maintenant du nouvel ALENA. Pour les verts, il s’agit vraiment d’une amélioration par rapport à la première version de l’ALENA, dont le chapitre 11 est désormais éliminé. Ce chapitre a nui à nos lois et nos règlements, ici au Canada, tout en favorisant les grandes entreprises des États-Unis. Ce chapitre a également nui à nos dispositions réglementaires entourant la protection de notre environnement et de notre santé.
De plus, la section de l’ancien ALENA portant sur l’énergie sera annulée quand le nouvel accord entrera en vigueur. Il s’agit d’une bonne chose pour nous parce que le Canada est le seul pays de l’ALENA qui est encore obligé de respecter les anciens niveaux d’exportation, ce qui nuit dans les faits à notre propre sécurité énergétique.
Les changements apportés ont de quoi surprendre face aux accords commerciaux passés. J’ai toujours été contre les accords commerciaux qui font passer les profits des multinationales avant la durabilité et avant la santé, la prospérité et le bien-être des membres de la collectivité. Dans le cas du présent accord, l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, c’est la première fois, du moins dans les dernières décennies, qu’un accord va plus loin que son prédécesseur en matière de protection de l’environnement et qu’il bride les pouvoirs des multinationales qui n’ont fait que croître depuis l’avènement de l’ère du néolibéralisme.
D’ailleurs, c’est dans le cadre du premier ALENA que la notion de mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et l’État a gagné en importance. Mon collègue le député de Nanaimo—Ladysmith en a déjà parlé et a donné des précisions concernant les accords investisseur-État.
J’ajouterai une touche plus personnelle. Avant même de penser me lancer en politique, je travaillais dans le secteur de l’environnement — comme avocate, fonctionnaire ou membre de groupes écologistes. Lorsque j’étais directrice exécutive du Sierra Club du Canada, nous avons directement eu affaire à la première mise en application des dispositions du chapitre 11. Au moment des débats concernant l’adoption de l’ALENA au Canada, les effets antidémocratiques pernicieux du chapitre 11 étaient inconnus.
Nous avons débattu de nombreux aspects de l’ALENA au Canada, mais personne n’a parlé des dispositions sur le règlement des différends entre les investisseurs et l’État. Elles sont passées un peu inaperçues dans la première version de l’ALENA. Elles nous ont finalement sauté aux yeux lorsque j’ai participé à une campagne lancée par des citoyens dans le but d’interdire l’utilisation au Canada d’un additif toxique pour l’essence appelé MMT, qui est à base de manganèse.
J’ai travaillé avec des neurotoxicologues de Montréal, en particulier Mme Donna Mergler de l’Université du Québec à Montréal. J’ai travaillé avec les constructeurs automobiles parce que l’utilisation du MMT comme additif pour l’essence encrassait le système de diagnostic de bord de la voiture, ce qui pouvait annuler les garanties. C’était la première fois qu’une coalition de groupes environnementaux, de constructeurs automobiles et de scientifiques affirmait que cet additif toxique pour l’essence devait être retiré.
Sous la direction de la ministre de l’Environnement de l’époque, Sheila Copps, nous avons réussi à nous débarrasser de cet additif à l’essence toxique, mais la société Ethyl Corporation de Richmond, en Virginie, a intenté un procès au Canada. Nous avons été choqués par cette première contestation aux termes du chapitre 11. Dans un tribunal secret, elle a fait valoir que cette mesure allait lui coûter de l’argent.
Il est important que les députés comprennent à quel point il est nécessaire que nous nous débarrassions de ces dispositions dans tous les autres accords commerciaux. Inutile de dire que les mesures prises par l’ancienne ministre de l’Environnement Sheila Copps, au nom du Canada, ne visaient pas du tout à nuire au commerce. Il ne s’agissait pas de mesures protectionnistes déguisées, mais de mesures bel et bien justifiées. Entre autres, le MMT était néfaste pour la santé humaine et nuisible aux systèmes de diagnostic de bord pour s’assurer que la pollution était contrôlée par le moteur lui-même. Il n’y avait aucun doute à ce sujet. Cependant, le gouvernement de l’époque, l’ancien premier ministre Chrétien, a décidé de s’écraser devant Ethyl Corp, craignant le pire devant le tribunal secret.
Notre pays a dû payer des millions de dollars — prélevés sur le budget de services votés d’Environnement Canada — à Ethyl Corporation de Richmond, en Virginie. Nous avons dû abroger la loi que nous avions adoptée pour éviter que cette substance ne se retrouve dans l’environnement. Par-dessus le marché, nous avons rédigé une lettre d’excuses officielle à Ethyl Corporation, lettre dont l’entreprise a ensuite pu se servir pour faire la promotion de cette substance toxique dans d’autres pays.
Il y a bien d’autres cas comme celui-là. Il y a celui de S.D. Myers, de l’Ohio, qui a contesté la décision de mettre fin à l’exportation de déchets contaminés aux BPC.
Le pire est probablement celui de Bilcon, tout récemment, dans le cadre duquel une société américaine a porté des accusations contre le Canada pour avoir correctement appliqué sa loi d’évaluation environnementale — dans sa version originale, avant les changements dévastateurs qui ont été apportés au processus d’évaluation environnementale canadien en 2012 et qui n’ont toujours pas été annulés —, alléguant que le comité d’évaluation environnementale n’avait pas été juste envers elle. Cette société aurait menacé la survie de l’une des baleines les plus menacées d’extinction dans le monde, la baleine noire de l’Atlantique Nord.
Je pourrais continuer, mais je dois passer aux autres sections de l’accord. Les députés doivent absolument comprendre la différence entre deux chapitres distincts. J’ai en effet remarqué que, depuis le début du débat, certains députés confondent le chapitre 19, dont les dispositions sur la résolution des différends sont maintenues, à notre plus grand bonheur, et le chapitre 11, dont le mécanisme de règlement des différends est destiné à des parties qui ne devraient jamais pouvoir contester les décisions de l’autre. À l’heure où on se parle, à cause du chapitre 11 de l’ALENA actuel, les entreprises privées des États-Unis ont plus de pouvoir et de droits que les entreprises d’ici. C’est d’ailleurs toujours le cas dans les pays qui ont adhéré au Partenariat transpacifique, parce que celui-ci autorise les dispositions investisseur-État.
À mon grand désarroi, c’est aussi le cas du traité d’investissement entre le Canada et la Chine, que le Cabinet Harper a adopté en douce, sans jamais en saisir le Parlement. Ce traité autorise encore les entreprises appartenant à l’État chinois à poursuivre en secret le gouvernement du Canada si celui-ci fait quoi que ce soit qui pourrait nuire à leur rentabilité. Or, les conservateurs semblent ignorer qu’ils nous ont laissé ce cadeau empoisonné en héritage.
Les dispositions investisseur-État ont déjà causé beaucoup de dommages. Nous devons les éliminer toutes, sans exception. L’Accord Canada—États-Unis—Mexique constitue donc un grand pas en avant, car il ouvre la voie à leur disparition.
Je suis contente de voir que le chapitre sur la sécurité énergétique a disparu. C’était assez étrange. Il n’y avait pas de dispositions correspondantes pour le Mexique. Seul le Canada s’était engagé à ne pas limiter ses exportations énergétiques plus que la proportion qu’il vendait déjà aux États-Unis depuis un certain temps.
Si le Canada vendait 60 % de son gaz naturel aux États-Unis, il lui aurait fallu continuer de le faire aux termes des dispositions actuelles, qui sont éliminées avec l’Accord Canada—États-Unis—Mexique. Même si nous étions arrivés au bout de nos ressources en gaz naturel, nous aurions été tenus de continuer d’en exporter 60 % aux États-Unis. Ces dispositions étaient très étranges et nous sommes contents qu’elles aient été éliminées.
J’aimerais à présent parler de trois domaines dont on n’a pas beaucoup traité dans ce débat. D’abord, les améliorations apportées dans le chapitre sur l’environnement, qui ne sont pas aussi poussées que nous l’avaient promis les libéraux, mais sont certainement des améliorations. De plus, l’ALENA comprend pour la première fois des dispositions sur l’égalité des genres et les questions autochtones.
Dans le chapitre sur l’environnement, je suis ravie que le Canada ait su résister aux efforts de Donald Trump pour éliminer un organisme que bien des députés ne connaissent peut-être même pas, à savoir la Commission de coopération environnementale.
Cette commission est dirigée par les ministres de l’Environnement des États-Unis, du Mexique et du Canada. Ils travaillent ensemble à la protection de notre environnement dans tous les pays. Une disposition vraiment démocratique donne à chaque citoyen des États-Unis, du Canada ou du Mexique la possibilité de porter plainte contre une décision qui serait nuisible à l’environnement.
Un citoyen ou une ONG du Canada, des États-Unis ou du Mexique peut déposer une plainte auprès de la Commission de coopération environnementale pour dire que le gouvernement est en voie de réduire les protections environnementales parce qu’il souhaite promouvoir le commerce. Cette commission est maintenant protégée et mieux financée.
Même si l’accord ne répond pas à toutes nos attentes, je précise que je suis heureuse de constater que les produits artisanaux autochtones pourront dorénavant être libres de droits de douane. Je me réjouis que diverses dispositions de cet accord soulignent l’importance des peuples autochtones du Canada, des États-Unis et du Mexique. Je me réjouis également qu’au moins certaines dispositions prévoient que les objectifs de tous nos accords commerciaux et de coopération multilatérale doivent mettre de l’avant les droits des femmes et des filles.