2020-01-27 13:20 [p.446]
Madame la Présidente, c’est un grand honneur de prendre la parole aujourd’hui pour la première fois de la nouvelle année et au début d’une nouvelle décennie.
J’aimerais partager mon temps de parole avec mon collègue l’honorable député de Nanaimo—Ladysmith. Je suis vraiment heureuse que tous les députés verts aient l’occasion de s’exprimer sur le discours du Trône de 2019, alors que c’est la dernière journée de débat à ce sujet. J’aimerais remercier les personnes responsables de la gestion du temps de parole au sein du Parti libéral, car ma collègue la députée de Fredericton partagera son temps de parole avec un député libéral.
Pour commencer — et ceci n’est pas une formalité —, il est vraiment important de souligner que nous nous trouvons sur le territoire non cédé du peuple algonquin.
Je tiens à souligner que nous nous trouvons actuellement sur un territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin, à qui je dis meegwetch.
C’est un honneur de prendre la parole au sujet du discours du Trône aujourd’hui. Ce discours contient nombre de promesses emballantes et de paroles inspirantes auxquelles on ne peut que souscrire. Par exemple, voici un extrait que j’aime particulièrement: « Des feux de forêt aux inondations, de la pollution des océans à l’érosion côtière, les Canadiens vivent les effets des changements climatiques tous les jours. »
Les données scientifiques sont sans équivoque, et ce, depuis des dizaines d’années. La vaste majorité des Canadiens ont voté pour que l’on prenne dès maintenant des mesures ambitieuses pour lutter contre les changements climatiques. Cela me porte à croire que je vais appuyer ce discours, mais je n’en ferai rien. Je ne le ferai pas, car, entre les beaux discours du gouvernement libéral et les gestes concrets des libéraux, il y a un fossé tellement profond qu’il donne le vertige.
Pour expliquer ma position actuelle, je vais citer le discours du Trône de 2015, que j’ai appuyé. Il contenait une promesse que j’aimais particulièrement et que je vais rappeler aux gens. Certains de ceux qui étaient aussi présents lors de la 42e législature se rappelleront que le gouvernement a promis de ne pas avoir « recours à des mécanismes tels que […] les projets de loi omnibus pour éviter les examens minutieux ».
Je pense que nous nous rappelons tous que l’introduction de l’accord de suspension des poursuites, un outil spécialement conçu pour SNC-Lavalin, a été camouflée dans un projet de loi omnibus d’exécution du budget. Comme mes collègues le savent, je lis chaque ligne des documents. J’avais donc vu ce nouvel outil qui se cachait dans la mesure législative. Il m’a semblé étrange qu’on n’utilise pas un projet de loi pénale distinct qui relèverait du ministère de la Justice, mais les notes explicatives et un examen approfondi m’ont menée à conclure qu’il n’y avait là rien de répréhensible. Toutefois, il s’agissait bel et bien d’un projet de loi omnibus et je regrette que la modification du Code criminel portant sur l’accord de suspension des poursuites n’ait jamais été renvoyée au ministère de la Justice et au comité chargé de l’étude des projets de loi en la matière, comme elle aurait dû l’être.
Passons à une autre promesse intéressante du discours du Trône de 2015: « le gouvernement rétablira la relation de nation à nation entre le Canada et les peuples autochtones, une relation fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat ».
Dans les mois qui ont suivi, j’ai vu avec une certaine stupéfaction le gouvernement libéral approuver le Site C, en mettant de côté les poursuites et les préoccupations des peuples autochtones ainsi que les répercussions environnementales.
Le projet de pipeline de Kinder Morgan a été approuvé même si, pendant la campagne électorale de 2015, le chef du Parti libéral de l’époque, le premier ministre actuel, avait affirmé qu’aucun projet ne pouvait être approuvé selon le processus bancal et inadéquat qui avait été utilisé, comme en témoignaient les poursuites et une objection claire et nette des Premières Nations Tsleil-Waututh, Musqueam, Squamish et WSANEC — j’ai d’ailleurs l’honneur d’habiter sur le territoire de cette dernière. Le projet de Muskrat Falls a fait fi des préoccupations des Innus.
Je vais citer encore une fois le discours du Trône de 2015 pour parler d’une promesse que beaucoup de gens n’ont pas oubliée. On peut y lire: « l’élection de 2015 aura été la dernière à être menée selon le système électoral majoritaire à un tour ». Cette promesse-là se passe de commentaires. À quel point pouvons-nous croire ce qui est promis dans le discours du Trône de 2019? J’aimerais pouvoir y croire, mais il faut bien faire face à la réalité. Le plus récent discours du Trône inclut un engagement bien précis.
Je vais citer le discours du Trône: « Le gouvernement se fixera l’objectif d’atteindre la cible de zéro émission nette d’ici 2050. »
Pourtant, la réalité, c’est que nous avons la même cible que celle choisie par le gouvernement de Stephen Harper, l’ancien gouvernement conservateur. Cette cible n’a pas changé d’une seule tonne.
Nous voici maintenant avec un gouvernement qui dit que nous pouvons atteindre la cible de zéro émission d’ici 2050, et il faut s’interroger. Comme plusieurs le savent, nous n’obligeons pas les députés du Parti vert à voter d’une certaine façon. Je suis très honorée d’être accompagnée par le député de Nanaimo—Ladysmith et la députée de Fredericton. Nous ne pouvons pas accorder notre confiance à un gouvernement qui n’a pas de cible en matière de changements climatiques étayée par des données scientifiques.
Le gouvernement dit qu’il est important de considérer la question climatique comme une urgence. D’ailleurs, c’est dans une motion des libéraux, adoptée à la Chambre le 17 juin 2019, que la Chambre a convenu de cette urgence. La motion disait ceci:
[…] la Chambre déclare que le Canada est en situation d’urgence climatique nationale, en réponse à laquelle le Canada doit s’engager à atteindre ses objectifs nationaux en matière d’émissions énoncés dans l’Accord de Paris et à procéder à des réductions plus importantes conformément à […] et de poursuivre les efforts pour demeurer sous la barre du 1,5 degré Celsius.
Pourtant, le terme « urgence climatique » est complètement exclu du discours du Trône.
C’est vrai, nous sommes en situation d’urgence climatique. Or le discours du Trône ne mentionne pas une seule fois les mots « urgence climatique ».
Le discours du Trône mentionne que nous devons lutter contre les changements climatiques. Alors que le gouvernement affirme que nous devons atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050, on nous dit également, quelques paragraphes plus loin, que le gouvernement doit prendre des mesures vigoureuses pour lutter contre les changements climatiques, et travailler avec la même ardeur pour acheminer les ressources canadiennes vers de nouveaux marchés.
Autrement dit, avec les mêmes efforts vigoureux qu’il compte déployer pour répondre à l’urgence climatique, le gouvernement va également utiliser des fonds publics de l’ordre de 10 à 13 milliards de dollars pour financer le projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain, qui constitue pourtant une menace directe aux mesures de lutte contre les changements climatiques. Le gouvernement envisage aussi d’approuver le projet minier Teck Frontier. Par son soutien, y compris financier, à des projets de gaz naturel liquéfié là où se trouve l’oléoduc, le gouvernement fait fi de l’urgence climatique et de ses obligations aux termes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. En ce moment même, la GRC se trouve sur le territoire des Wet’suwet’en, prête à faire appliquer une injonction qui ne devrait jamais l’être parce qu’elle viole les droits héréditaires et traditionnels du peuple Wet’suwet’en.
Voici la réalité, et elle est difficile. Je travaille sur ce dossier depuis 1986. J’ai été témoin de gouvernements successifs, des libéraux bien intentionnés, des néo-démocrates provinciaux bien intentionnés, des progressistes-conservateurs bien intentionnés, prendre des engagements en matière de climat pour ensuite les trouver trop difficiles. Il faut corriger la situation grâce à des moyens politiques avant de pouvoir faire le nécessaire pour garantir à nos enfants un monde viable.
Nous sommes face à un choix difficile et nous n’avons pas la marge de manœuvre nécessaire pour faire un peu de ceci et un peu de cela, un oléoduc par ici, une mine de sables bitumineux par là, tout en respectant nos engagements en matière de climat. Le dilemme est le suivant: avant les prochaines élections, nous devrons tous veiller à ce que les objectifs du Canada cadrent avec les recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Cela signifie que nous devons au moins doubler nos objectifs jusqu’en 2030.
L’humanité — le monde entier engagé dans un processus multilatéral — doit à présent soit transformer l’économie en profondeur en se débarrassant des combustibles fossiles pour faire en sorte que nos enfants — l’humain — puissent survivre dans une biosphère hospitalière, soit défendre l’industrie des combustibles fossiles. Nous ne pouvons pas faire les deux. Il nous faut faire un choix. Je choisis la lutte contre les changements climatiques et j’espère bien que le discours du Trône et le gouvernement vont nous donner des résultats.