Ce fut une bonne semaine pour la machine à communications de Stephen Harper. Peter Kent est un porte-parole vraiment très efficace. La manipulation qu’il fait des nouvelles et des médias ne cesse de m’étonner. J’apprécie Peter Kent en tant que personne. Sur bien des plans, il est extrêmement aimable. Cela dit, son travail au cabinet n’a plus rien à voir avec le travail qu’il occupait si bien à titre de journaliste à la télé. Son rôle consistait alors à lire les nouvelles; son rôle actuel semble plutôt consister à désinformer la population.
Que ce soit aux émissions The Current et The House de la CBC ou à Question Period de CTV, il accumule les faussetés à propos de Kyoto.
Voici une petite liste de celles qu’il répète le plus souvent. La beauté de l’affaire, c’est qu’il vous est possible d’aller corriger cette désinformation sur les pages de commentaires des sites web de ces médias.
Fausseté no 1 : La plupart des pays n’ont pas ratifié l’accord de Kyoto.
La vérité : Le Protocole de Kyoto a en fait été ratifié par 191 pays. Les États-Unis sont le seul pays à ne pas l’avoir fait.
Le seul élément de vérité dans cette manœuvre de désinformation, c’est que pendant la première période couverte par le Protocole de Kyoto (de 2008 à 2012), les pays industrialisés devaient atteindre des objectifs en matière d’émissions et respecter des échéanciers spécifiques. Cette façon de faire avait été inspirée par le succès obtenu par le Protocole de Montréal de 1987 qui visait à protéger la couche d’ozone. Dans le cadre de ce Protocole, les pays industrialisés s’engageaient à respecter des objectifs en termes d’émission lors de la première phase d’application, alors que les pays en développement pouvaient augmenter leurs émissions. Les accords subséquents obtenus dans le cadre du Protocole de Montréal faisaient en sorte que tous les pays devaient diminuer l’émission des produits destructeurs de la couche d’ozone.
Sous Kyoto, les pays développés s’engageaient à réduire leurs émissions sur un plan plus général. À ce chapitre, le Brésil a fait bien davantage que le Canada, sans même avoir d’objectifs spécifiques à atteindre. Même chose pour l’Inde et la Chine.
Fausseté no 2 : Kyoto a été un échec
La vérité : La plupart des pays du monde industrialisé ont atteint ou surpassé les objectifs établis aux termes du Protocole de Kyoto. Dans son ensemble, l’Union européenne a même surpassé ses objectifs. Même s’il n’a pas atteint ses objectifs, le Japon a réduit ses émissions sous les niveaux de 1990. Le Canada est le seul pays du Protocole de Kyoto à avoir renié ses obligations juridiquement contraignantes en matière d’émissions.
Mais cette rebuffade du Canada aura bien d’autres effets nuisibles lorsque l’on sait que le Protocole de Kyoto ne se contente pas d’établir des objectifs en matière d’émissions pour 2012, mais qu’il comporte une série d’accords très détaillés sur la surveillance, la création de rapports, l’établissement de crédits, l’adaptation des pays signataires aux effets des changements climatiques et d’autres mécanismes qui ont demandé des années de négociation.
Fausseté no 3 : L’accord de Copenhague est un substitut à Kyoto. Kent a présenté cet accord comme une « percée décisive. »
La vérité : L’accord de Copenhague n’est pas le résultat de négociations entreprises dans le cadre de discussions sur les changements climatiques tenues par l’ONU lors de la Conférence de Copenhague. La vérité, c’est que lors de la CdP15 de Copenhague, le président Obama est parvenu à présenter à un petit nombre de pays rencontrés en privé un document de deux pages décrit comme « politiquement contraignant. » Ce document préconisait de réduire les émissions sous un niveau permettant une augmentation de la température moyenne de la planète ne dépassant pas 2 °C. (Après avoir évalué les divers engagements non contraignants pris par les pays signataires de l’accord de Copenhague, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a conclu que les niveaux d’émissions sur lesquels ces pays s’étaient entendus étaient dangereusement élevés et qu’ils entraîneraient un réchauffement de la planète bien supérieur aux 2 °C annoncés).
Cet accord promet des milliards aux pays en voie de développement pour financer leurs programmes d’adaptation aux changements climatiques. Lorsqu’ils sont revenus à la table de négociations le vendredi soir, dernière journée de la conférence, les représentants des pays des basses terres insulaires déclarèrent que cet accord compromettait sérieusement l’avenir de leurs pays. Le délégué en chef de la délégation des Tuvalu affirma à cette occasion : « En termes bibliques, on nous offre trente pièces d’argent en échange de l’avenir de nos enfants. L’avenir de nos enfants n’est pas à vendre. » (traduction)
Tout au long de ce vendredi soir et de la matinée du samedi, des pressions furent exercées sur les représentants des pays participants pour qu’ils acceptent le document de Copenhague. Le compromis obtenu à la toute fin de la CdP15 consista à inscrire dans le document final que la CdP « prenait acte » de l’accord de Copenhague. Bref, l’accord de Copenhague n’est pas un véritable accord. Il s’agit tout au plus d’un exemple de déformation politique et d’un exercice de relations publiques.
Fausseté no 4 : La position du Canada est « raisonnable. »
La vérité : Le Canada constitue le seul pays à avoir ignoré délibérément les objectifs de l’accord de Kyoto auxquels il était légalement lié. Le Canada aura été le premier pays à imaginer un nouvel objectif en matière d’émissions basé sur l’année 2006 alors que tous les autres pays prenaient comme référence l’année 1990. Le Canada aura ainsi ouvert la voie aux États-Unis, qui décidèrent d’adopter 2005 comme année de référence, laquelle fût par la suite adoptée par le Canada puisqu’elle permettait de revoir à la baisse l’objectif à atteindre en matière de diminution des GES.
De tous les pays industrialisés, le Canada fut le premier pays à refuser de participer aux négociations menant à l’établissement d’une deuxième période d’engagement dans le cadre de Kyoto. Lors de la CdP16 tenue à Caucún, l’établissement d’une deuxième période d’engagement sous Kyoto était toujours possible. Hélas, les efforts du Canada ont réussi à tout bloquer. L’attitude du Canada aura autorisé le Japon et la Russie à refuser une deuxième période d’engagement.
Fausseté no 5 : Il est possible de contrôler l’émission des gaz à effets de serre autrement que par l’approche préconisée par Kyoto et d’y impliquer les gros émetteurs de GES des pays en voie de développement tels que la Chine, l’Inde et le Brésil.
La vérité : L’ensemble des pays en voie de développement menace de quitter le bateau si les pays industrialisés décident de ne pas respecter l’échéancier de Kyoto. Les négociations visant le contrôle des GES risquent de se terminer, au moment où le temps pour obtenir des engagements en matière de réduction commence à manquer.
La situation sera bientôt désespérée. Déjà hier soir, CTV rapportait que le gouvernement Harper envisageait de se retirer de Kyoto, mais qu’il attendait le 23 décembre pour en faire l’annonce. Si cela se confirme, nous aurons atteint de nouveaux sommets en matière de cynisme et d’hypocrisie.
Ce que veulent les Canadiennes et les Canadiens, ce sont de véritables mesures pour protéger l’avenir de leurs enfants. Le premier ministre sachant très bien que la très grande majorité des habitants de ce pays n’appuiera pas un désengagement officiel de Kyoto et l’effet dévastateur que pourrait avoir cette décision sur les pourparlers qui s’ouvriront demain à Durban, la stratégie consiste à ne dévoiler cette mauvaise nouvelle qu’après la fin des travaux à la Chambre des communes, au moment où les Canadiennes et les Canadiens n’auront en tête que les cadeaux à offrir aux enfants et la dinde à faire cuire.
Au nom de nos enfants, il est de notre devoir de nous mobiliser. Nous avons l’obligation d’obliger ce gouvernement, aussi majoritaire qu’il puisse être, à revenir sur sa décision et à accepter que nous avons une obligation morale à négocier de bonne foi. Nous devons appuyer l’établissement d’une deuxième phase à Kyoto et exiger une réduction des émissions.