Le rejet de Kyoto : il doit y avoir un prix politique à payer

Je viens à peine de rentrer de la Conférence de Durban (CdP 17). Tout comme Peter Kent d’ailleurs. À la différence que lui, il est revenu en annonçant que le Canada frapperait un coup dur à l’accord fragile issu de la Conférence. Je suis certaine que vous avez entendu que le Canada avait déjà entrepris les démarches légales pour se retirer de Kyoto.

Jamais dans toute l’histoire du Canada notre pays s’était retiré d’un traité qu’il avait ratifié – sur aucune question. Jamais.

Je ne vois pas comment les autres délégations qui ont négocié avec la position obstructionniste du Canada à Durban, où nous avons négocié à titre de signataires du Protocole de Kyoto, pourraient croire que nous avons négocié de bonne foi.

À partir du moment où CTV a révélé que le cabinet de Stephen Harper avait décidé de se retirer légalement du Protocole de Kyoto – sans débat et sans vote en Chambre –, j’étais convaincue que cette rumeur était vraie, tout en espérant de tout cœur que le gouvernement abandonnerait l’idée.

Mais c’est maintenant chose faite et c’est une catastrophe. Cette fois, c’est encore pire que toutes les autres mesures régressives prises par le gouvernement Harper pour bloquer toute action concrète dans la lutte contre la crise climatique.

Kent a annoncé le retrait légal du Canada du Protocole de Kyoto avec une série d’affirmations bizarres et alarmistes. Comme si le Protocole de Kyoto allait réellement punir des hors-la-loi comme le Canada. Comme si Kyoto prévoyait des minimums obligatoires draconiens comme le Projet de loi omnibus sur la justice criminelle. Kyoto n’a aucun mécanisme d’application efficace. En fait, les sanctions s’appliqueraient uniquement à un pays qui choisirait de s’engager pour une seconde période aux termes de Kyoto (PAS le Canada). Et même si c’était le cas, cela signifierait simplement que le Canada devrait bonifier la cible négociée (en supposant que le Canada négocie) de 0,3 tonne pour chaque tonne à laquelle nous nous engageons. Ainsi, dans les négociations, nous pourrions tenir compte du montant de la pénalité et fixer une cible suffisamment basse pour absorber la pénalité. Chaque pays négocie ce qu’il est disposé à accepter. C’est pourquoi en 1997, la cible de l’Australie était de 8 % au dessus des niveaux de 1990, alors que tous les autres pays s’engageaient à réduire leurs émissions en dessous des niveaux de 1990 (le Canada de 6 %, les États‑Unis de 7 % et l’Union européenne de 8 %). Il est vrai que la majorité des nations européennes n’ont pas seulement atteint leur cible de 8 % – elles ont réduit leurs émissions de 20 % et même au‑delà. Dans l’ensemble, l’Europe largement atteint les cibles qu’elle s’était données aux termes de Kyoto.

Kent affirme que Kyoto coûterait 14 milliards de dollars au Canada. Foutaise.

Sur quoi base-t-il cette affirmation? Les répercussions économiques auxquelles on s’exposerait en essayant de réduire nos émissions sans avoir de véritable plan pour le faire, un an seulement avant l’échéance prévue pour l’atteinte de notre cible de 6 % et en supposant que l’on compense cet échec avec l’achat de crédits en nombre suffisant pour atteindre notre cible, pourraient en effet se chiffrer à 14 milliards de dollars. Je n’ai pas vérifié leurs calculs, simplement parce que tout cela sonne tellement faux. Rien dans Kyoto ne nous oblige à dépenser un seul dollar. Rien dans Kyoto ne peut induire ou obliger un pays à acheter des crédits.

Et maintenant, malgré la volonté de Harper de donner la mort à Kyoto et l’affirmation de Kent selon laquelle « Kyoto est chose du passé pour le Canada », regardons ce qui a été approuvé à Durban : une seconde période d’engagement aux termes de Kyoto. Le nombre de pays ayant accepté de s’engager pour des cibles fermes est encore trop peu élevé, mais tous ont l’intention de le faire. On peut difficilement affirmer que Kyoto est « chose du passé. »

Qu’est-ce qui est « chose du passé? » La réputation du Canada comme pays ayant de l’intégrité. La réputation du Canada comme pays sachant faire preuve de leadership en matière d’environnement.

Ce qui ne doit pas devenir chose du passé cependant est notre seule et unique chance d’éviter des changements climatiques cataclysmiques.

Nous sommes à court de temps (lire à ce sujet le dernier rapport de l’Agence internationale d’énergie). Les accords de Durban sont faibles et le Canada vient de leur donner un bon coup de pied là où ça fait mal.

Alors bien que, comme moi, vous pourriez avoir envie de vous jeter par terre et de pleurer de rage pour cette trahison envers notre avenir, pour la perte de la ratification de Kyoto par le Canada, évitez de gaspiller ainsi votre énergie. Relevez-vous. Ne vous laissez pas faire.

Relevez-vous et prenez une décision ferme : il ne faut pas laisser Stephen Harper s’en tirer aussi facilement. Il doit en payer le prix politique.

Écrivez des lettres à tous les journaux pour dénoncer le fait que la volonté de la majorité des Canadiennes et des Canadiens qui appuient Kyoto a été ignorée. Passez du temps dans les médias sociaux. Faites part de vos commentaires. Votez le pouce en l’air et le pouce en bas. Si vous avez un député conservateur, inondez la boîte vocale de votre circonscription de messages dénonçant la situation. Exigez une rencontre. Organisez des manifestations. Signez des pétitions en ligne. Faites un don au Sierra Club, à la Fondation David Suzuki et au Fonds mondial pour la nature et demandez-leur d’organiser des campagnes exigeant au Canada de demeurer au sein du Protocole de Kyoto. Notre retrait légal entrera en vigueur l’an prochain seulement; il nous reste encore un peu de temps pour faire marche arrière.

Demandez pourquoi le Parlement a eu le droit de voter pour la ratification de Kyoto (17 décembre 2002), mais pas de débattre et encore moins de voter pour son rejet en 2011. Demandez pourquoi ils mentent aux Canadiennes et aux Canadiens en affirmant que demeurer au sein de Kyoto nous coûterait 14 milliards de dollars.

Je sais que c’est presque Noël, mais comment pouvons-nous nous réjouir avec nos enfants et nos petits-enfants alors que l’artère de leur avenir vient d’être sectionnée par un gouvernement irresponsable?

Ce n’est pas une question partisane. Mulroney a fait preuve de leadership mondial sur le climat. Chrétien a ratifié Kyoto, mais jamais présenté de plan. Paul Martin (avec Dion comme ministre de l’Environnement) a produit un plan raisonnable. Stephen Harper a tué ce plan à peine quelques semaines après être devenu premier ministre. De toute évidence, le premier ministre n’a aucune idée pourquoi il est si important de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais il a une bonne idée des coûts politiques. Il doit payer cette trahison au prix fort.

Même si c’est pratiquement Noël, Hanoukka et les Fêtes de fin d’année, laissez tomber le magasinage de dernière minute. Peu importe ce que vous aviez l’intention d’acheter, vos enfants ont encore plus besoin d’un monde vivable.