Discours : La Libye

Elizabeth May : Monsieur le Président, c’est pour moi un honneur de prendre la parole aujourd’hui à la Chambre pour parler de la responsabilité de protéger la vie des civils en Libye et du rôle du Canada à cet égard. La résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies nous a conféré ce mandat.

Je tiens à préciser que, si j’avais été à la Chambre quand elle a voté pour la première fois pour soutenir la mission, j’aurais voté avec tous les membres présents et j’aurais dit que le Canada a effectivement ce rôle à jouer.

Les représentants élus n’ont pas d’obligation ou de responsabilité morale plus importante que celle de décider s’ils doivent envoyer leurs concitoyens dans une zone de guerre au risque de leur vie et de la vie des autres pour défendre une cause pour laquelle il a été établi qu’une action militaire s’impose. En ce sens, le Parti vert reconnaît qu’une guerre peut être juste, même si notre parti, non seulement au Canada, mais dans le monde entier, souscrit au principe fondamental de la poursuite de la non-violence et de la paix.

Dans ce contexte, la responsabilité de protéger, qui est la norme internationale acceptée en matière de droits humains depuis 2005, représente un nouveau niveau de responsabilité morale. Tout comme nous aurions pu dire, il y a bien des années que, si quelqu’un bat ses enfants, cela ne nous regarde pas ou que si un homme bat sa femme, ce n’est pas de nos affaires et nous n’avons pas à nous en mêler, il existe maintenant une exception au principe de la souveraineté nationale qui nous permet d’intervenir. Nous pouvons maintenant aller chez les gens parce que nous reconnaissons qu’un tort est causé, que des vies innocentes sont en danger et que nous avons le droit d’intervenir au nom de la responsabilité de protéger.

Pourquoi alors ai-je bien peur de devoir voter contre cette motion? Nous avons assisté à un changement d’orientation de la mission, car l’objectif devient un changement de régime en Libye au lieu de la responsabilité de protéger.

Pour atteindre les objectifs de la résolution 1973 des Nations Unies, nous devrions principalement viser un cessez-le-feu, des solutions négociées et la diplomatie. Néanmoins, quand l’Union africaine a présenté une proposition par l’entremise du président Zuma, d’Afrique du Sud, son plan de paix a été rejeté. Il présentait peut-être d’autres défauts, mais la seule proposition de paix qui ait été acceptée par le gouvernement Kadhafi a été rejetée par les principaux partenaires de l’OTAN, parce que nous avons déclaré tout à coup que la destitution du colonel Kadhafi était la condition préalable à tout cessez-le-feu.

Je dois également bien préciser une chose. Je désire vivement la destitution du Colonel Kadhafi, mais pas par des moyens militaires dans ce qui semble être une guerre civile dans laquelle le Canada a pris parti. Nous avons effectivement besoin d’un cessez-le-feu immédiat. Il faut protéger la vie humaine.

Néanmoins, une bonne partie de ce que j’ai entendu les députés déclarer ici au cours de la journée pourrait également s’appliquer à d’autres gouvernements dans des pays où nous ne sommes pas intervenus. Nous ne pouvons pas dire: « Comme nous ne sommes pas intervenus en Syrie, nous ne devrions pas continuer de le faire en Libye ». Nous ne pouvons pas dire: « Nous avons rejeté les appels des Nations Unies pour l’envoi de casques bleus de façon à faire cesser le viol systématique des femmes dans la République démocratique du Congo, alors nous ne devons pas continuer en Libye ». Ce n’est pas ce que je dis.

Je dis que d’autres gouvernements ont tourné leurs armes contre leur propre peuple, que ce soit au Myanmar ou comme je préfère l’appeler, en Birmanie, ou encore en Syrie ou ailleurs dans le monde, y compris dans la République démocratique du Congo où nous ne sommes pas intervenus.

Par conséquent, lorsque nous décidons d’intervenir, nous ne devons pas perdre notre mission de vue. Cette mission consiste à protéger les civils.

À cet égard, mon expérience se limite à ce qu’a connu ma génération. Je ne peux parler que de la façon dont mon père m’a élevée. Ayant grandi à Londres sous le blitz, mon père nous a appris une chose que nous devrions tous, à mon avis, garder à l’esprit lorsque nous décidons de partir en guerre. Comme il aimait nous le dire pendant que les bombes pleuvaient sur le Nord-Vietnam, il n’y a pas de meilleur moyen de renforcer la détermination d’une population civile que de la soumettre à des bombardements aériens. Rien ne se compare à ces bombardements quand il s’agit d’enraciner la haine que les gens éprouvent contre ceux qui font tomber les bombes.

Nous devons nous rendre compte que les dommages collatéraux vont au-delà de la vie des innocents qui succombent inévitablement aux bombardements aériens. Les dommages collatéraux touchent profondément nos propres âmes et compromettent notre légitimité. Même s’ils sont inévitables en temps de guerre, les dommages collatéraux doivent être évités par tous les moyens lorsque notre mission est de protéger les vies innocentes et que nous ne sommes pas nous-mêmes en guerre.

Pour ces raisons et pour bien d’autres, je dois me désolidariser des bons et nobles objectifs qui, je m’en rends bien compte, animent les députés de tous les bords. Je reconnais que les partis de l’opposition ont proposé des amendements qui reviennent essentiellement à consentir à la motion du gouvernement, tout en émettant certaines réserves.

Dans mon cas, au nom du Parti vert et de mes électeurs de Saanich—Gulf Islands, je dois dire non, mais je crois que nous avons un rôle à jouer à titre de gardiens de la paix. Je souhaite ardemment que notre pays reprenne son rôle de maintien de la paix, rôle qui l’a fait connaître favorablement partout dans le monde. Au sein de l’OTAN, nous devons être le pays qui s’oppose aux bombardements aériens et préfère les remplacer par des diplomates. Travaillons de concert avec des collègues qui ont des chances d’influencer le gouvernement illégitime de M. Kadhafi. Collaborons avec nos partenaires de l’Union africaine, de la Ligue arabe et des Nations Unies. Soyons le pays qui s’oppose au maintien d’une mission sans stratégie de sortie.

Cela étant dit et avec un profond respect pour tous les députés de ce côté-ci de la Chambre, je veux remercier tous mes collègues pour les bonnes intentions et les nobles motifs qui les amènent à appuyer la poursuite de la mission en Libye. Ils devront cependant se passer de mon vote.