Le scandale des appels frauduleux

Comme vous pouvez le constater avec le communiqué de presse de lundi, la lettre que j’ai adressée à Élections Canada le 19 mai 2011 et ma motion réclamant la tenue d’un débat d’urgence en Chambre, je prends très au sérieux le droit des Canadiennes et des Canadiens à des élections libres et justes. Cela n’a rien d’une « campagne de salissage » orchestrée par les libéraux, comme l’alléguait sans vergogne le premier ministre en Chambre aujourd’hui.

Quiconque a à cœur la démocratie ne peut faire autrement qu’être outré des faits révélés par les médias. Je suis profondément perturbée par la réaction du premier ministre devant les faits que nous connaissons tous aujourd’hui. Il doit déclencher une enquête.

L’une des raisons pour lesquelles je réclame une enquête est parce que je doute fort qu’Élections Canada ait les ressources nécessaires pour entreprendre le genre d’enquête exhaustive dictée par les circonstances. Quant à la GRC, son bilan n’est pas très reluisant lorsqu’il s’agit d’enquêter sur des allégations de fraude électorale.

En 2008, une vague d’appels automatisés dans Saanich—Gulf Islands a peut-être fait pencher la balance du côté du conservateur Gary Lunn au terme d’une course serrée contre sa rivale libérale, l’ancienne verte Briony Penn. Les faits sont d’ailleurs bien connus. Le candidat néodémocrate s’était d’ailleurs retiré de la course vers la fin de la campagne et n’avait pas pu être remplacé. Ainsi, son nom apparaissait sur le bulletin de vote, bien qu’il ne fût plus dans la course. Toutefois, des appels automatisés faits la veille à des milliers de partisans du NPD les invitaient à se rendre aux urnes et à voter pour le candidat inexistant. La GRC et Élections Canada ont abandonné leur enquête sans parvenir à identifier les coupables.

Maintenant que vous connaissez les faits, je vous invite à lire le billet suivant rédigé le 28 mars 2009 par Will Horter de Conservation Voters of BC, une initiative bénévole non partisane œuvrant pour la protection de l’environnement.

Sa dernière phrase est certainement très prophétique : « Si une personne investie du pouvoir d’assignation n’intervient pas immédiatement pour faire progresser l’enquête, je prédis que nous assisterons à d’autres stratagèmes de l’ombre à-la-Karl‑Rove lors de la tenue des élections futures. »

[traduction]

KARL ROVE ARRIVE AU CANADA?

Vendredi 28 mars 2009
par Will Horter

Les Canadiennes et les Canadiens ont observé le chaos et les coups bas, qui semblent être devenus la norme aux élections présidentielles américaines, avec un sentiment de supériorité – en remerciant le ciel que cela « ne pourrait pas se produire ici, au Canada. » N’en soyez pas si sûrs.

La décision d’Élections Canada de laisser tomber son enquête sur les appels automatisés frauduleux qui ont marqué la veille des élections fédérales du mois d’octobre dans Saanich—Gulf Islands (SGI) augure mal pour l’avenir de la démocratie canadienne.

Attendez-vous à voir ces stratagèmes se multiplier lors de la tenue d’élections futures.

Les élections de 2008 dans SGI ont été truffées de manœuvres douteuses. On a vu des organisations nébuleuses, toutes créées par le codirecteur de la campagne de Lunn, Bruce Hallsor, acheter de la publicité pour Lunn; la veille des élections, des électeurs ont reçu des appels automatisés présumément de l’association de circonscription du NPD les incitant à voter pour le candidat néodémocrate Julian West, bien qu’il ait retiré sa candidature. L’identification de l’appelant lié aux appels frauduleux affichait le numéro de télécopieur de Bill Graham, le président de l’association de circonscription néodémocrate, qui nie avoir participé au stratagème.

Lorsqu’Élections Canada décida d’abandonner son enquête menée sans grande conviction, un responsable déclara qu’ils n’avaient « trouvé personne dont le vote ait été influencé par les appels allégués. »

Mais Élections Canada et la GRC semblent avoir ignoré le fait que d’autres lois avaient peut-être été violées. En effet, d’après le Code criminel, quiconque transmet par téléphone des renseignements qu’il sait être faux « est coupable d’un acte criminel » (article 372) et « commet une infraction quiconque, frauduleusement, se fait passer pour une autre personne » (article 403).

Si la population avait su que le fait de pouvoir identifier les électeurs « dont le vote avait été influencé » était un critère d’enquête pour Élections Canada, je suis convaincu que les gens auraient été nombreux à vouloir les aider à localiser les électrices et les électeurs qui s’étaient sentis floués par ces appels.

Bien qu’Élections Canada affirme n’avoir jamais pu trouver quiconque dont le vote ait été influencé par ces appels, les chiffres disent le contraire. Un sondage réalisé quelques jours à peine avant les élections révélait que les appuis au NPD étaient à moins de 1 %, mais le jour du scrutin, le NPD a récolté 3 667 voix (5,69 % des suffrages). Ces appuis inattendus pour le NPD dépassaient la marge de 2 621 votes avec laquelle Gary Lunn a battu la candidate libérale Briony Penn et pourraient lui avoir valu la victoire.

Mais retrouver des électeurs « dont le vote avait été influencé » ne devrait pas être un critère de base pour Élections Canada, parce que cela ouvre la porte à des transgressions par les partis (ou par des partisans pouvant invoquer le démenti plausible ou encore par le personnel de campagne peu expérimenté), et nous oblige ensuite à prouver, après le fait, que l’électorat a été influencé – un obstacle considérable.

Le fait qu’Élections Canada ait envoyé une lettre à Paul McKivett, le président de l’association de circonscription libérale, dans laquelle l’organisme affirme être « incapable d’identifier la provenance des appels » est également très troublant.

Quel genre d’enquête Élections Canada a-t-il mené?

Comment se fait-il qu’une petite zone géographique ait pu être inondée de milliers d’appels en provenance d’un centre d’appels aux États-Unis sans qu’il soit possible pour Élections Canada d’identifier les auteurs et de découvrir qui a payé pour ces appels et qui a fourni la liste d’électeurs?

Les représentants d’Élections Canada veulent-ils vraiment nous faire croire qu’ils sont incapables de documenter ces faits? Manqueraient-ils de ressources, n’auraient-ils pas les pouvoirs nécessaires pour franchir la frontière et exiger des réponses et des documents, ou est-ce simplement une question de volonté politique?

L’enquête bâclée d’Élections Canada dans SGI soulève de nombreuses inquiétudes quant aux futures élections au Canada. Le signal envoyé est qu’Élections Canada n’est pas un enquêteur très déterminé.

Le signal envoyé aux partis politiques, plus particulièrement au Parti conservateur du Canada – qui a déjà prouvé qu’il était capable de jouer aux limites de la loi, voire au‑delà –, est qu’ils peuvent s’associer quelqu’un, quelqu’un pouvant facilement disparaître derrière l’écran du démenti plausible, pour embaucher les services d’un centre d’appels aux États-Unis et inonder les lignes téléphoniques d’une circonscription d’appels automatisés trompeurs ou frauduleux et qu’Élections Canada est peu apte à aller au fond des choses.

Comme l’affirmait récemment Duff Conacher de Démocratie en surveillance, l’échec d’Élections Canada à réaliser une enquête approfondie sur le stratagème de SGI aura des incidences sur les élections futures : « S’ils ont pu le faire en toute impunité [dans SGI], que se passerait-il si le candidat était toujours là? N’importe qui pourrait inonder les lignes au nom de la candidate ou du candidat le mieux placé pour diviser le vote de son candidat favori. »

Étant donné la nature individuelle des appels automatisés, il est difficile pour une tierce partie sans pouvoir d’assignation d’obtenir les relevés téléphoniques qui lui permettraient d’identifier la provenance ou l’étendue des appels frauduleux. Seuls Élections Canada et la police peuvent aller au fond des choses et découvrir les responsables de ce stratagème.

Si une personne investie du pouvoir d’assignation n’intervient pas immédiatement pour faire progresser l’enquête, je prédis que nous assisterons à d’autres opérations de l’ombre à-la-Karl‑Rove lors de la tenue des élections futures.