Elizabeth May répond au discours du Trône de 2021

Elizabeth May (Saanich—Gulf Islands)
2022-02-01 12:24

Monsieur le Président, c’est un honneur de prendre la parole dans le cadre du débat sur le discours du Trône tant de mois après son prononcé.

Je partagerai mon temps de parole avec le député de Kitchener-Centre. Quel plaisir de travailler avec lui à la Chambre! J’aurais aimé pouvoir être là en personne. Je le ferai bientôt, je l’espère.

J’étais à la Chambre le jour où le discours du Trône a été prononcé, le 23 novembre. C’était merveilleux que notre gouverneure générale prononce, pour la première fois, un discours du Trône non seulement dans nos deux langues officielles, mais aussi en inuktitut. J’ai eu le grand honneur de connaître Son Excellence dans plusieurs de ses rôles antérieurs, notamment lorsque nous avons siégé ensemble au conseil d’administration de l’Institut international du développement durable. Elle fera un travail formidable à titre de gouverneure générale, et j’étais ravie d’être ici à Ottawa pour entendre le discours du Trône qu’elle a prononcé.

Comme la gouverneure générale l’a fait remarquer à l’époque, le 23 novembre, nous subissions encore les contrecoups des événements dévastateurs qui ont frappé la Colombie-Britannique. Le député d’Abbotsford vient de parler de la dévastation causée par les inondations et les glissements de terrain dans la vallée du Fraser. Cette catastrophe a touché ma propre circonscription, Saanich—Gulf Islands, mais les répercussions les plus dévastatrices et les plus catastrophiques sont certainement celles qui ont frappé Abbotsford et la vallée du Fraser. Toutes les routes terrestres permettant d’atteindre la vallée du bas Fraser ont été coupées par ces catastrophes météorologiques extrêmes.

Lorsque le discours du Trône a été prononcé, nous n’étions qu’à dix jours de la fin de la COP26, les négociations mondiales sur le climat qui, sans avoir été un échec lamentable, n’ont certainement pas été une réussite. La COP26 n’a pas permis de faire ce qui s’imposait face à cette urgence.

Lorsque je relis le discours du Trône maintenant, deux mois plus tard, je suis frappée par la beauté du texte, mais les mesures promises ne correspondent pas à l’esprit de ce discours. J’aborderai plusieurs éléments, et mon autre collègue du Parti vert, le député de Kitchener-Centre, se penchera sur d’autres questions essentielles qui nous préoccupent beaucoup.

Je veux parler du thème de la réconciliation dans le discours du Trône, des questions de vaccination et, bien sûr, de la crise climatique. Dans aucun domaine, les mesures promises n’ont été à la hauteur des paroles percutantes qui décrivent les nombreuses crises auxquelles nous sommes confrontés.

Commençons par le défi de la réconciliation. De nombreux députés ont mentionné à très juste titre que nous sommes encore dans la tourmente de la découverte des enfants disparus. Sur une période de plus de 150 ans, ces enfants ont été arrachés à leur foyer et à leur famille et ils ont été contraints à vivre des situations absolument horribles. Beaucoup d’entre eux ne sont jamais rentrés chez eux. Nous devons affronter cette réalité. Nous devons continuer de soutenir les communautés des Premières Nations grâce à un programme national, comme la Commission de vérité et réconciliation l’a exigé il y a plusieurs années, pour découvrir ce qui est arrivé à chaque enfant autochtone arraché à son foyer qui n’est jamais rentré chez lui. Il faut découvrir ce qui s’est passé, comment ils sont morts et où ils se trouvent. Chaque famille doit obtenir un rapport, et cela demeure une priorité.

Après l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, on nous a très clairement indiqué que de nombreuses mesures devaient être adoptées pour protéger les femmes autochtones, qui sont plus susceptibles de se faire tuer. Nous n’avons pas adopté ces mesures. L’une d’elles est intimement liée à la crise climatique et à de nombreux autres aspects d’un secteur où notre pays moderne et industrialisé fait plutôt mauvaise figure, soit le transport terrestre. Selon l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, les gens sont plus vulnérables lorsqu’ils ont un revenu faible et qu’il n’y a pas de transport en commun où ils vivent. Le choix qui s’offre à eux est essentiellement de faire de l’autostop, ce qui n’est pas un choix. Nous devons rétablir les services de VIA Rail et d’autobus partout au Canada.

Nous devons aussi assurer que le règlement annoncé en janvier entre la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, d’une part, et la merveilleuse et héroïque Cindy Blackstock, d’autre part, est réel, qu’il devienne réalité, et nous devons rester vigilants dans ce dossier. Nous nous réjouissons des 40 milliards de dollars réservés à cette fin, mais comme Cindy Blackstock l’a dit, ces fonds doivent être surveillés étroitement pour donner des résultats concrets.

En ce qui concerne la vaccination internationale, je veux souligner, comme je l’ai déjà fait à la Chambre, que nous comprenons maintenant qu’il sera impossible de mettre fin à la pandémie. Nous savons ce qui suit omicron. Quelqu’un nous l’a déjà dit. C’est pi, la lettre suivante de l’alphabet grec. C’est aussi le nom du prochain variant qui nous guette. Il faut vacciner tous les habitants de la planète, faire de celle-ci le domicile de la grande famille humaine et cesser de servir de boîte de Petri vivante pour savoir combien de nouveaux variants nous attendent. Il faudrait qu’on vaccine les gens dans le monde entier, mais le Canada a esquivé cette question: soutiendrons-nous l’Afrique du Sud et l’Inde en réclamant une exemption de la protection des brevets à l’Organisation mondiale du commerce? Dans le cadre de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, il est possible d’obtenir une exemption pour élargir l’accès aux vaccins dans le monde entier.

Du point de vue climatique, on pourrait croire qu’un membre du Parti vert ne pourrait pas être mécontent que le discours du Trône dise: « Notre planète est en danger » et « C’est le moment de mener une action climatique audacieuse ». Voilà de belles paroles, mais dans la section qui traite de la crise climatique, on ne parle pas de nos engagements pris à Paris ni du fait que nous devrions garder la hausse de la température mondiale moyenne le plus possible sous 2 degrés Celsius en visant 1,5 degré Celsius.

Je pense que ces chiffres suscitent souvent l’indifférence chez les gens: 1,5 degré Celsius semble un chiffre bien petit, une cible irréelle. Je tiens à rappeler aux députés que, selon les données scientifiques, un dôme de chaleur a entraîné la mort de près de 600 Britanno‑Colombiens en 4 jours l’an dernier. Ma propre belle-fille a frôlé la mort, même si elle est dans la jeune trentaine. Elle a failli perdre la vie parce que la température a atteint 50 degrés Celsius à Ashcroft. On parle de phénomènes météorologiques extrêmes qui sont meurtriers.

Comme je l’ai dit, 600 personnes sont mortes en 4 jours en Colombie‑Britannique. C’était un phénomène extrême. Le jour où la température ne cessait pas d’augmenter, le centre de Lytton a pratiquement été rasé par les flammes en quelques minutes. Le camion d’incendie n’est même pas sorti de la caserne. En passant, cette municipalité attend toujours de recevoir de l’aide pour lancer les travaux de reconstruction. Nous savons que les feux de forêt ont ravagé des centaines de milliers d’hectares en Colombie‑Britannique. Puis, comme tous s’en souviennent, en novembre, des rivières atmosphériques ont détruit une bonne partie de nos infrastructures, ce qui a encore une fois entraîné la mort de gens et de centaines de milliers d’animaux, que l’on pense à la faune ou au bétail. On estime que le dôme de chaleur à la fin de juin et au début de juillet a tué 1 milliard d’animaux marins le long des côtes.

Tous ces événements se sont produits avec une température moyenne mondiale supérieure de 1,1 degré Celsius à ce qu’elle était avant la révolution industrielle. Par conséquent, 1,5 degré Celsius ne représente pas une valeur sûre que seuls les rêveurs espèrent que nous respections: c’est la cible à atteindre pour espérer que l’humanité survive. Depuis la COP26, nous sommes beaucoup plus près d’atteindre une hausse de 3 degrés Celsius que de 1,5 degré Celsius. L’objectif du Canada demeure le moins ambitieux des pays industrialisés, et nous semblons avoir troqué l’objectif à atteindre pour que nos enfants aient un monde vivable où habiter, soit une hausse moyenne de 1,5 degré Celsius, contre un objectif de carboneutralité d’ici 2050. Cela crée la fausse impression que le fait d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050 permet de respecter la hausse de 1,5 degré Celsius. C’est faux. Cela ne permettra de respecter la hausse de 1,5 degré Celsius que si le chemin pour y parvenir passe par une réduction marquée des émissions d’ici 2030. Les émissions doivent baisser. L’objectif de réduction de 40 % à 45 % du Canada est totalement inadéquat face aux demandes mondiales nous incitant à faire notre juste part de réduction des émissions afin de conserver une planète viable.

De plus, dans le discours du Trône, on ne parle pas d’interdire l’exportation du charbon thermique. On ne mentionne pas la loi sur la transition équitable. Il n’est nullement question du droit à un environnement sain, ni du rétablissement des modifications à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement proposées dans le projet de loi C‑28, qui est mort au Feuilleton lors du déclenchement des élections inutiles.

Durant les 30 secondes qui me restent, je dirais à tous les députés que je ne peux pas voter en faveur du discours du Trône, malgré tous les beaux mots qu’il contient, si l’avenir de mes petits‑enfants n’est pas protégé. Nous devons le dire bien haut. Nous devons parler honnêtement et clairement. Nous devrions peut‑être demander à tout le monde de s’ouvrir les yeux parce qu’il ne nous reste plus beaucoup de temps. Nous devons voir à ce que le gouvernement actuel prenne des mesures héroïques pour sauver la planète et l’humanité entière.