Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule

Elizabeth May : Monsieur le Président, j’ai proposé des amendements qui supprimeraient certains articles de ce projet de loi, notamment celui qui vise l’élimination et la destruction des données du registre dès l’adoption du projet de loi. Je cherche aussi à faire supprimer des dispositions qui transformeraient en un délit le fait de se déplacer dans un véhicule à bord duquel se trouvent des armes d’épaule. Je pense que ces mesures amélioreraient la sécurité du public une fois le projet de loi adopté.

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Je me souviens d’où vient ce projet de loi. Nous nous souvenons tous de la tuerie à l’École Polytechnique. Des Canadiens de partout au pays réclamaient que nous prenions des mesures plus énergiques pour faire obstacle à l’utilisation des armes lors des crimes violents.

Nathalie Provost, qui a témoigné devant le comité en novembre dernier, est l’une des personnes qui ont été atteintes par balle à l’École Polytechnique. J’aimerais citer une partie de son témoignage:

J’ai été blessée le 6 décembre 1989 à la Polytechnique par le tir d’une arme semi-automatique, alors que mes consoeurs blessées plus gravement mouraient à mes côtés. Les armes d’épaule sont dangereuses. Je ne le sais que trop bien.

Si nous adoptons ce projet de loi, nous ferons abstraction non seulement d’une grande partie du travail effectué par de nombreux Canadiens qui étaient des amis et des parents des victimes, mais également de l’opinion de nos concitoyens à l’échelle du pays qui ont reconnu le risque et qui ont compris que le Parlement devait intervenir.

Je ne dis pas que le registre des armes d’épaule était parfait et que son application a suscité la confiance des Canadiens dans le système. Néanmoins, s’il y avait eu une occasion de compromis, je crois qu’il aurait été possible pour ceux qui avaient des préoccupations légitimes de faire apporter des modifications à ce projet de loi.

Pour les députés du Parti conservateur et pour deux députés du Nouveau Parti démocratique qui, pour des raisons de conscience, ont choisi de voter dans le même sens que les conservateurs à l’égard de ce projet de loi, certains aspects de la création du registre des armes d’épaule suscitent des préoccupations. En ce qui concerne le Parti Vert, j’ai entendu bien des gens des régions rurales affirmer qu’ils aimeraient que cette mesure législative soit modifiée. Toutefois, les circonstances ont fait que nous avons été forcés de prendre position en faveur on contre le projet de loi, sans possibilité de compromis. Nous n’avons pas pu voir comment il serait possible de conserver un registre pour retracer les armes semi-automatiques et pour savoir quels fusils ont été utilisés par des tireurs fous, s’il s’agissait de fusils de chasse à canon scié. Nous aurions aimé conserver ce registre pour qu’il soit possible de retrouver ces armes et d’enregistrer les armes qui sont légales au Canada.

Je crains que, dans sa hâte de supprimer le registre des armes d’épaule, cause qui lui a vraiment servi de cri de ralliement, le Parti conservateur a procédé trop vite. Ce n’est pas la première fois que les conservateurs agissent à la hâte. Ils ont agi tellement vite qu’ils ont fait fi des répercussions que la GRC nous a confirmées, soit qu’en supprimant le registre des armes d’épaule, on recule encore plus loin qu’avant l’entrée en vigueur du registre. On recule à plus de 30 ans en arrière. Par exemple, il n’est plus obligatoire que l’acheteur d’une arme s’assure au point de vente que l’arme est enregistrée pour que la police en connaisse le propriétaire. Le gouvernement a carrément aboli l’enregistrement pour une catégorie entière d’armes, entre autres le genre d’arme qui a été utilisée lors de la tuerie survenue à l’École Polytechnique et au cégep du Collège Macdonald.

Aller ainsi trop vite, sans prendre le temps d’examiner à fond les questions parce que les objectifs sont davantage définis par des doreurs d’image que par des analystes du droit pénal, conduit à l’adoption d’une mauvaise mesure législative. Je crois que nous devrions demander maintenant, à l’étape du rapport, que la question soit réétudiée. Ce ne sera pas long: il s’agit de se pencher sur dix amendements qui ont été proposés par des députés de l’opposition officielle, du Parti vert et du Bloc, appuyés par des députés de tous les partis de l’opposition. Ces députés estiment qu’il faudrait profiter de l’occasion pour voir si nous pouvons, en supprimant les articles qui créent des situations inacceptables, atténuer l’incidence négative de ce projet de loi.

J’aurais aimé que nous puissions recommencer tout cela en gardant à l’esprit les préoccupations de tant de témoins qui ont comparu devant le comité de la Chambre. Je me rappelle très bien l’importance du témoignage des représentants de l’Association canadienne des chefs de police. Ceux-ci ont clairement fait ressortir que le registre des armes d’épaule représente une valeur certaine tant sur le plan de l’application de la loi que pour les collectivités qu’ils servent parce qu’il est utile à la prévention et aux enquêtes. Ils ont fait remarquer qu’on avait effectivement trop dépensé. Nous savons évidemment qu’on a investi plus que nécessaire dans la mise sur pied du registre des armes d’épaule. Le budget a certainement été dépassé, mais ces coûts sont irrécupérables. D’après une enquête de la Gendarmerie royale du Canada et d’après l’Association canadienne des chefs de police, la gestion annuelle du registre des armes d’épaule est maintenant économique.

Nous avons actuellement un registre qui fonctionne bien et que les forces de l’ordre ont des raisons d’utiliser. Le plus récent rapport de la GRC, celui de 2010, qui a été publié après l’ajournement de la période des Fêtes, confirme que ce registre est utilisé par les forces de l’ordre. Il l’est plus que jamais. Et il est jugé économique.

C’est le temps ou jamais, pour les députés du Parti conservateur qui s’inquiètent de la criminalité dans nos rues, de prendre un instant pour réfléchir. Comme ma collègue du Bloc Québécois l’a souligné, lorsque le registre fonctionne et qu’une arme d’épaule y est enregistrée, il réduit la probabilité que cette arme soit volée, puisqu’elle est traçable. Le registre diminue le risque que les propriétaires légitimes d’arme à feu soient victimes d’un crime.

Nous savons aussi que le registre constitue, pour la police, un outil lui permettant de savoir qu’il y a une arme d’épaule dans la maison et d’éviter un conflit lorsqu’elle intervient dans un cas de violence familiale. Le chef de la police de Gatineau, Mario Harel, a déclaré, dans son témoignage, que le registre actuel « assure un équilibre raisonnable entre l’exercice d’un privilège individuel et le droit général de la société à la sécurité ».

Depuis l’ajournement de la pause de Noël, il s’est accumulé beaucoup d’information indiquant que ce projet de loi a été étudié trop rapidement et que nous sommes en train de perdre une occasion de protéger les Canadiens. À la mi-décembre, la vénérable mairesse de Mississauga, Hazel McCallion, nous a appelés à reconsidérer l’abolition du registre des armes d’épaule, puisqu’il est désormais assez clair qu’un nombre accru d’armes à feu ne seraient pas du tout traçables. En effet, on ne rétablirait pas la procédure d’enregistrement qui existait auparavant et qui a été remplacée par la procédure rattachée à l’entrée en vigueur du registre des armes d’épaule.

La précipitation des gens qui souhaitent abolir le registre est issue d’une haine viscérale provoquée par sa création plutôt que d’une réflexion posée sur les politiques publiques. Il y a un juste milieu. Mus par leur idéologie et pressés de se venger du gouvernement libéral précédent, qui a créé le registre des armes d’épaule, mes collègues et amis du Parti conservateur vont trop vite, je le crains.

Il est temps de faire le maximum à l’étape du rapport et d’adopter tous les amendements. J’invite les députés du Parti conservateur à adopter les motions nos 1 à 10. Ce serait une amélioration considérable du projet de loi. J’espère que, quel que soit leur parti politique, mes collègues qui comptent parmi leurs électeurs des habitants des régions rurales, des chasseurs, des agriculteurs et des personnes craignant pour la sécurité des femmes oseront voter pour ces amendements, car nous savons qu’adopter le projet de loi tel quel exposerait des femmes à un danger pour leur vie.