Elizabeth May (Saanich—Gulf Islands)
2020-07-08 16:16 [p.2574]
Madame la présidente, je tiens d’abord à mentionner que nous nous trouvons sur le territoire des Algonquins, et je veux encore une fois les remercier sincèrement de leur patience et de leur générosité. Meegwetch.
Aujourd’hui, pour la première fois de l’histoire du Canada, nous examinons un portrait économique dressé et présenté par le ministre des Finances. Avant, on nous présentait des budgets complets, suivis d’énoncés économiques. Toutefois, je ne critiquerai pas la décision de nous présenter uniquement un portrait économique parce qu’il est difficile de savoir ce que l’on aurait pu faire de plus. C’est toujours plus utile d’avoir un maximum d’informations sur la situation économique, et de faire preuve d’un maximum de transparence.
Il ne fait aucun doute que le ministre des Finances s’est mis très fréquemment à la disposition de tous les partis à la Chambre en cette période où nous naviguons en mer inconnue.
Il n’y a rien eu de parfait. Il aurait beaucoup mieux valu agir plus rapidement, mais personne n’a jamais eu à surmonter une épreuve comme celle-ci, aucun gouvernement et aucune génération avant nous ne l’a fait. Certes, il y a eu la peste noire, mais il n’y avait pas de réunions sur Zoom à l’époque, et il était absolument impossible de se fixer un cap. Je dirais donc que, dans l’ensemble, nous nous tirons aussi bien d’affaire, et même mieux, que tout autre gouvernement ou pays dans le monde. Ce n’est quand même pas peu dire, mais le portrait économique qu’on nous présente est manifestement très morose.
Nous avons maintenant une dette de plus d’un billion de dollars et le déficit cette année s’élève à 343 milliards de dollars. Sortir de cette crise ne sera pas facile. Cela dit, il est évident que notre santé économique est intrinsèquement liée à notre santé personnelle.
Comme il est dit dans le rapport, « le chemin vers la reprise demeure incertain et fondamentalement lié aux résultats en matière de santé publique, qui eux aussi sont incertains ». C’est clair maintenant que nous vivons une pandémie.
Plus rien n’est normal en ce moment. Ces dépenses ne sont pas normales. Tout cela n’a rien de normal. Toutefois, ce n’est pas la catastrophe. Il y a une issue à ce désastre économique, mais celle-ci dépend entièrement du chemin que nous emprunterons pour nous sortir du cauchemar sanitaire dans lequel nous nous trouvons.
Il n’a jamais été aussi évident que l’économie passe au second plan par rapport à la nature. C’est la nature qui est le boss maintenant.
Nous vivons à une époque qui rappelle à l’humanité, si elle avait besoin d’un tel rappel, que ce n’est pas elle qui commande. Nous avons beau avoir les meilleurs plans économiques et financiers, ou encore le meilleur ratio de la dette par rapport au PIB au sein du G7, comme c’était le cas avant la pandémie. Nous avions un bilan reluisant en matière d’emploi, alors que maintenant, nous avons un taux de chômage considérable.
Rien de tout cela n’était prévisible. Un virus microscopique, un parasite, a assailli l’humanité. Il ne s’en prend pas aux animaux. Pour une fois, ceux-ci sont épargnés. Ce virus cible les humains. Nous le propageons en voyageant. Nous le propageons dans nos collectivités. Nous avons appris toute une série de nouvelles expressions et avons dû aplanir la courbe.
La majorité des dépenses décrites dans ce document ont été approuvées à l’unanimité par le Parlement, ce qui est tout à notre honneur. Pour aider des millions de Canadiens à faire face à cette pandémie, nous avons déployé des mesures extraordinaires, des mesures dont le nom nous est désormais familier, comme la Prestation canadienne d’urgence, ou PCU. Nous avons prévu de l’aide pour les entreprises au moyen du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes.
Nous leur avons aussi offert de l’aide sous la forme d’une subvention salariale. Sans ces initiatives, l’économie serait dans un pire état qu’elle ne l’est maintenant, et le PIB aurait probablement baissé d’environ trois points de pourcentage de plus. C’est ce que nous révèle le portrait économique. Ces résultats encourageants en matière d’économie ont aussi des répercussions positives sur la santé parce que l’économie et la santé sont complètement interreliées.
Je tiens cependant à souligner que l’économie n’a aucune incidence sur l’urgence climatique. En tant qu’êtres humains, nous ne pouvons pas davantage réécrire le code génétique du virus de la COVID-19 que nous pouvons réécrire les règles de la chimie atmosphérique. Nous ne pouvons pas réécrire les règles de la physique voulant que l’urgence climatique représente une menace plus grave à notre survie à long terme que la COVID-19.
Nous pouvons revoir et, potentiellement, réécrire certaines de nos règles économiques parce que c’est nous qui les avons créées. Nous les avons inventées et nous pouvons les réexaminer. Nous pourrions certainement envisager, par exemple, qu’aujourd’hui est le bon moment pour ce faire. Lorsque nous parlons de menaces et de ralentissement économique sans précédent, il y a souvent quelqu’un pour dire, le directeur parlementaire du budget notamment, que la situation actuelle n’est pas comparable à celle de 2008-2009, mais plutôt, vraisemblablement, à celle de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Nos dépenses correspondent davantage à ce qu’on a vu alors. Notre relance ressemblera aussi plus à ce qu’on a vu à l’époque.
J’ai dit à la Chambre des communes il y a quelques mois, et je vais le redire, que le Canada devrait prendre l’initiative au niveau mondial ou du moins servir de catalyseur pour lancer une réflexion, à savoir si le temps n’est pas venu de tenir une autre conférence comme celle de Bretton Woods. Ne devons-nous pas repenser le rôle de la Banque mondiale? Les institutions de Bretton Woods ont été créées à l’époque afin de montrer la voie vers une relance économique soutenue après la guerre. C’était le travail du Fonds monétaire international de fixer les taux de change. Depuis la conférence de Bretton Woods, le FMI ne fixe plus les taux de change. Nous avons changé ces règles. Peut-être devrions-nous en changer d’autres.
Ce qui nous attend est une menace pour la vie de centaines de millions de personnes à l’échelle de la planète, en raison de la famine qui sévira après la pandémie. Je sais que les Canadiens pensent habituellement que nous ne pouvons pas leur demander, surtout en cette période de souffrance partout au pays, de penser aux plus démunis, mais nous devons le faire. Après la crise économique et la crise de la COVID-19, nous serons en meilleure posture que la vaste majorité des autres pays. Si des centaines de millions de personnes meurent de faim partout dans le monde, cela nous touchera sans aucun doute éventuellement.
Toutefois, nous avons un rôle à jouer. Nous devons discuter de l’annulation de la dette de tous les pays en développement de façon à ce que les plus pauvres parmi les pauvres aient une chance de survie, combinée à une aide additionnelle en matière de sécurité alimentaire afin d’éviter le décès de centaines de millions de personnes, comme le prédisent déjà les organismes de secours et d’aide alimentaire des Nations unies.
Nous devons aussi repenser à la question de l’équité au Canada. Ce document indique très clairement que Finances Canada comprend la nécessité des services de garde, et je n’ai jamais vu de document provenant de ce ministère qui souligne ce besoin de manière aussi évidente. Il est évident que les gens qui veillent à la prospérité et à la relance économiques comprennent que les parents ne peuvent pas retourner au travail si les écoles sont fermées, si les écoles ne sont pas sûres, si les garderies sont fermées ou s’ils ne peuvent pas trouver de place en garderie.
Il se trouve qu’un certain nombre de députés, hommes et femmes, sont aussi en mesure de le comprendre en ce moment. Les mères sont les plus susceptibles de rester à la maison. Si la situation défavorable et l’inaccessibilité des services de garde amènent les femmes à rester à la maison, cela représentera une menace démographique et économique jamais vue depuis les années 1960. Nous savons que nous ne pouvons pas nous permettre un tel revers économique.
Nous savons que cela représente un recul inacceptable pour les droits des femmes. Nous devons assurer l’accès à des services de garde pour tous les enfants, et il faudra des solutions très créatives pour y arriver.
Le document fait état d’une « entente sur la relance sécuritaire », soit 14 milliards de dollars qui n’ont pas encore été affectés et qui n’ont pas encore été dépensés par le gouvernement fédéral pour aider les provinces. Toutefois, 14 milliards de dollars ne seront pas suffisants pour couvrir les sept volets indiqués, qui comprennent les services de garde, les congés de maladie et le renforcement de la capacité en matière de soins de santé, en particulier dans les maisons de soins de longue durée.
Je parlais récemment à Sharleen Stewart, qui est à la tête d’un syndicat qui représente 60 000 travailleurs, y compris des travailleurs des soins de longue durée partout au Canada. Elle m’a dit que la plupart de ces travailleurs ne sont pas encore retournés au travail, car ils ne pensent pas que les maisons de soins de longue durée soient un endroit sécuritaire pour eux.
Tant que les maisons de soins de longue durée seront gérées par des entreprises à but lucratif, nous ne pourrons avoir la certitude qu’on s’occupe bien des aînés ou que les travailleurs qui s’en occupent, les travailleurs de première ligne, sont en sécurité. Cela, c’est sans parler de la nourriture qu’on sert lorsque les propriétaires de ces maisons décident de trouver toutes sortes de moyens de réduire les coûts pour augmenter les profits.
Cette question doit être examinée au fédéral. Il faut trouver une façon d’établir des normes nationales en matière de maisons de soins de longue durée en vertu de la Loi canadienne sur la santé. Ces 14 milliards de dollars ne suffisent même pas à répondre aux seuls besoins des municipalités, qui sont un seul élément de la liste des sept priorités. Il faut faire plus. Nous devons être prêts à dépenser plus.
Sur ce, je vais maintenant aborder un point soulevé précédemment par mon collègue de New Westminster—Burnaby. Bien qu’on mentionne ici des fonds destinés aux personnes handicapées comme s’ils avaient été dépensés, rien n’a encore été fait pour elles. Le document que nous avons ici a été rédigé comme si les choses s’étaient passées différemment ici le 10 juin dernier.
Le 10 juin dernier dans cette enceinte, le gouvernement a accepté de retirer un élément de son projet de loi, un projet de loi qui n’était pas acceptable car il impliquait des mesures de récupération et des sanctions pénales liées à la Prestation canadienne d’urgence, objet de ma principale objection.
Le gouvernement a alors proposé un projet de loi portant strictement sur cet élément, soit le paiement unique non imposable pour les Canadiens ayant un certificat valide pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées. Pour ce faire, nous devions apporter un changement législatif permettant de communiquer les informations de l’Agence du revenu du Canada afin que la prestation unique puisse être versée aux personnes bénéficiant du crédit d’impôt pour personnes handicapées. N’oublions pas que ce n’est pas l’ensemble des personnes vivant avec un handicap au Canada qui ont besoin d’aide, mais au moins c’était un pas dans la bonne direction.
Je voulais franchir ce pas, et lorsque nous avons demandé le consentement unanime, nous ne l’avons pas obtenu. Honte à ceux qui ont dit non. Nous devions faire ce pas. Le leader du gouvernement à la Chambre des communes nous a soumis cette proposition aux fins de consentement unanime, et elle aurait dû être adoptée. Nous devons trouver un moyen d’aider les personnes handicapées, et nous devons le faire rapidement. Il y a un certain nombre de domaines qui ne sont pas encore couverts. Il y a des besoins qui ne sont pas satisfaits, et cela dans le contexte de la crise immédiate. Lorsque nous aurons dépassé le stade de la crise immédiate et que nous nous apprêterons à relancer l’économie, nous devrons vraiment voir grand.
Je ne sais pas combien de députés ont remarqué la chronique de Brian Mulroney qui a été publiée il y a quelques semaines dans le Globe and Mail comme une publicité couvrant toute la dernière page du quotidien. J’étais heureuse qu’il réclame la création d’un revenu minimum garanti. Mes collègues sur les banquettes du Nouveau Parti démocratique appuient tous cette mesure, à l’instar des verts. Nous souhaitons ardemment que la Prestation canadienne d’urgence se transforme progressivement et rapidement en revenu minimum garanti.
À l’autre endroit, le chef du Groupe des sénateurs indépendants a demandé au Bureau du directeur parlementaire du budget d’examiner ce dossier, et il a découvert que cette mesure serait moins coûteuse que la Prestation canadienne d’urgence. C’est sans compter les économies que l’on pourrait réaliser dans le système de santé public et le système correctionnel. Nous devons mettre en place un revenu minimum garanti dans le cadre de notre prochaine étape de transformation.
Le député de New Westminster—Burnaby a parlé de ce qui s’est passé à la Chambre à la fin des années 1960 et au début des années 1970, lorsque Tommy Douglas, David Lewis et le gouvernement du très honorable Lester B. Pearson ont posé les fondements de notre filet de sécurité sociale. Nous n’avons pas franchi d’étape de transformation importante depuis.
Nous devons instaurer un régime d’assurance-médicaments. Nous devons instaurer un revenu minimum garanti. Nous avons besoin de ces mesures pour redessiner l’avenir après la pandémie. Nous pouvons reconstruire quelque chose de mieux. Nous pouvons progresser au lieu de revenir à la situation antérieure. Ce sont des idées qui circulent beaucoup ces jours-ci. Elles suscitent une discussion très animée, avec de solides échanges, qui sont loin d’être marginaux puisque Brian Mulroney lui-même, un ancien premier ministre progressiste-conservateur, y prend part en nous proposant certaines mesures. Nous devons voir grand et être audacieux. À cet égard, voici une expression qui me plaît bien: « Le gradualisme crée des améliorations graduelles ».
Chers collègues, ce n’est pas le temps des améliorations graduelles. Nous devons rebâtir l’économie et nous devons le faire sans oublier personne, y compris les plus démunis, peu importe où ils se trouvent dans le monde.
Nous devons intensifier nos efforts et adopter des mesures compatibles avec l’idée que « la lutte contre les changements climatiques ne peut pas attendre. » L’urgence climatique n’attendra pas. Les négociations sur le climat de 2020 ont été remises jusqu’en 2021, mais si nous décidons que les mesures pour lutter contre les changements climatiques peuvent aussi être repoussées jusqu’en 2021, nous jouerons dangereusement à la roulette russe avec l’avenir de nos enfants.
Dans les dépenses qu’il faudra inévitablement continuer de faire à l’avenir, nous devrons miser sur les sources d’énergie renouvelable et sur l’efficacité énergétique pour tous les projets de construction et de rénovation. Il faut que nous nous inspirions des études réalisées dans le monde sur ce qui stimule le mieux l’économie, ce qui permet aux gens de retourner au travail et ce qui apporte de grandes améliorations, notamment les activités aussi simples que de planter des arbres, beaucoup d’arbres.
J’ai examiné ce portrait économique et budgétaire, et je le trouve encourageant. Très peu de gens trouveraient un déficit de 343 milliards de dollars encourageant, mais c’est le portrait économique auquel nous devons faire face. Compte tenu des indicateurs économiques et de notre force en tant que pays, je suis convaincue que nous sommes à la hauteur de la tâche qui nous attend.
Le Canada est très chanceux, puisqu’il jouissait d’une solide santé financière avant la pandémie. Comme de nombreuses entreprises sont encore en difficulté, il faut agir afin d’éviter des faillites. Il faut aussi aider les petites entreprises et voir à ce que les municipalités reçoivent le soutien dont elles ont besoin, ce qui signifie que le gouvernement fédéral doit continuer de dépenser. Autrement, s’il fallait écouter ceux qui agitent constamment le spectre du déficit, le Canada courrait le risque de sombrer dans une grande dépression.
Nous devons donc continuer sur la même voie et jeter un regard critique à la théorie monétaire qui a cours. Nous devons nous demander pourquoi il faut emprunter à des banques commerciales alors que, lorsqu’il est question de la richesse et la dette souveraines, nous pouvons nous prêter nous-mêmes l’argent. Les fonds peuvent provenir du Canada, ce qui nous évitera d’être à la merci des banques commerciales ou des chasseurs d’obligations de New York. Il est temps de nous demander comment agir à titre de nation souveraine. Comment pouvons-nous penser l’avenir avec enthousiasme, au lieu d’agir comme des comptables bornés ou des gens étroits d’esprit et dépourvus de toute vision? Pour y arriver, nous devons aborder la situation de manière aussi positive que possible. Nous devons être novateurs.
Lorsque l’on considère le problème de la réouverture des écoles, nous savons que les écoles ne peuvent pas rouvrir, parce qu’elles n’offrent pas assez d’espace pour la distanciation sociale des enfants. Les écoles sont petites comparativement à l’espace qui sera nécessaire. Nous devons cesser de nous arrêter aux obstacles que posent les sphères de compétences et faire preuve de créativité. Où y a-t-il beaucoup d’espace vide pour les écoliers?
Je pense aux centres de congrès qui demeureront vides. Ne pouvons-nous pas pour une fois penser au-delà des limites constitutionnelles et de celles des sphères de compétence, et déclarer qu’il y a urgence? Si nous voulons que les enfants retournent à l’école et que des enseignants reviennent enseigner — ce que souhaitent les enseignants —, quels actifs pouvons-nous mobiliser rapidement? Nous sommes au début de juillet. La rentrée scolaire est censée avoir lieu en septembre. Je ne vois personne proposer un véritable plan. Oui, il nous faut des services de garde; oui, les écoles doivent rouvrir; oui, les gouvernements fédéral et provinciaux et les municipalités doivent collaborer avec les gouvernements autochtones, les Métis, les Inuits et les Premières Nations. Tous les groupes de Canadiens intelligents, innovateurs et créatifs doivent être présents à la table, non pas pour se dénigrer mutuellement, mais pour s’entraider, parce qu’en tant que Canadiens nous savons à quel point nous sommes bénis.
Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge, et nous avons au moins compris que nous devons écouter les scientifiques. Il faut écouter les recommandations des scientifiques concernant la COVID-19, mais aussi concernant l’urgence climatique. Nous devons nous tourner vers les moyens les plus innovateurs et créatifs pour relancer l’économie.
Je suis contente d’avoir pu exposer quelques-unes de mes réflexions sur le portrait économique d’aujourd’hui, et j’espère que tout le monde a pu les entendre. Nous devrons nous contenter d’un simple cliché au lieu d’un portrait en Kodachrome, qui nous offrirait le spectre complet des couleurs.