Réagissant au projet de loi C-14, Elizabeth May pousse le gouvernement à faire plus

Elizabeth May (Saanich—Gulf Islands)
2021-01-27 18:15 [p.3652]

Madame la Présidente, je suis heureuse d’avoir l’occasion d’intervenir.

Je voudrais tout d’abord préciser que je prends la parole depuis les terres traditionnelles de la Première Nation WSANEC, les habitants du territoire que j’ai l’honneur de représenter au Parlement.

Aujourd’hui, nous sommes saisis du projet de loi C-14 qui, bien sûr, comprend les modifications à la loi que requiert l’énoncé économique de l’automne présenté le 30 novembre. Même si nos observations devraient se limiter aux changements législatifs dont nous sommes saisis — et je sais que certains discours ont eu une portée plus large — je veux me pencher brièvement sur l’énoncé économique de l’automne pour en venir au projet de loi dont nous sommes saisis. J’aborderai ensuite les éléments manquants que je souhaiterais y voir.

L’énoncé économique de l’automne, avec ses plus de 200 pages, ratisse large. On sent qu’il est le fruit de beaucoup de travail et je tiens donc à saluer l’excellent travail de la ministre des Finances et bien sûr de l’ensemble du gouvernement, avec une bonne dose de gratitude.

Aucun gouvernement de la planète n’a réagi de façon parfaite à la pandémie de COVID-19. Certains pays font mieux que d’autres tandis que d’autres font pire. Je pense que les Canadiens agissent pour le mieux quand ils unissent leurs forces.

C’est du moins le but des députés verts, qu’ils soient élus à l’échelon fédéral ou provincial d’un bout à l’autre du pays. Nous préférons les efforts concertés, la coopération et le consensus. Toutefois, en lisant ce document, je constate qu’il présente de manière extraordinaire des objectifs ambitieux par rapport à une vaste gamme d’enjeux.

Premièrement, en ce qui concerne la relance sécuritaire, environ 20 milliards de dollars y sont consacrés. Nous savons qu’il y a eu des transferts aux provinces pour des choses aussi importantes que l’équipement de protection individuelle et la distribution des vaccins — sujet dont nous avons débattu jusqu’à minuit hier soir et qui a suscité son lot d’émotions et d’opinions diverses, mais nous avons des vaccins. Nous aimerions qu’ils soient distribués plus rapidement, mais cela nécessite une coopération entre les gouvernements fédéral et provinciaux. De plus, il faut transiger avec des sociétés pharmaceutiques multinationales. Les services de garde d’enfants sont aussi pris en compte. Au final, pour la relance sécuritaire et un certain nombre d’autres éléments, le montant s’élève à 20 milliards de dollars.

L’énoncé économique de l’automne aborde des priorités qui ne sont pas liées à la COVID mais font partie des priorités des Verts. C’est particulièrement le cas des efforts en vue de favoriser la réconciliation avec les Autochtones et l’instauration d’un régime d’assurance-médicaments. J’ignore pourquoi l’assurance-médicaments tarde autant, mais elle est mentionnée dans l’énoncé économique de l’automne.

De manière plus précise, il faudrait commencer à examiner la possibilité d’avoir une assurance-médicaments dans le contexte des maladies rares. Je fais partie d’un caucus plutôt informel qui regroupe des députés de tous les partis et où la collaboration est à l’honneur. De concert avec la Fondation de la fibrose kystique, nous tentons de faire en sorte que les patients atteints de cette maladie aient accès au médicament Trikafta, qui permet de sauver des vies. Nous travaillons ensemble, ce qui nous rend meilleurs, je crois.

En ce qui concerne la crise des opioïdes, aussi mentionnée dans l’énoncé économique, les Verts sont en faveur de la décriminalisation. Il faut agir rapidement pour mettre fin aux décès causés par la dépendance aux opioïdes, qui s’apparente à un problème de santé mentale. C’est un problème de santé et non un problème de criminalité.

Au chapitre du climat, aussi mentionné dans l’énoncé économique, les Verts tiennent beaucoup à l’amélioration du réseau d’électricité d’est en ouest et à la possibilité de l’élargir vers le nord. Nous sommes ravis de voir que la Banque de l’infrastructure du Canada commence à porter une attention particulière aux interconnexions. Il faut toutefois faire plus. Il faut consacrer plus d’efforts au réseau électrique. Il faut aussi consacrer plus d’efforts aux transports en commun, un enjeu qui est toutefois mentionné dans l’énoncé économique, tout comme l’importance des véhicules électriques.

L’énoncé économique de l’automne contient beaucoup de mesures climatiques, notamment des solutions fondées sur la nature. En ce qui concerne l’engagement de planter deux milliards d’arbres, dont nous avons entendu parler à maintes reprises et que nous avons hâte de voir réalisé, il est essentiel que les arbres conviennent aux écosystèmes où ils sont plantés. Il est essentiel que le reboisement se fasse de façon à améliorer la séquestration du carbone et à protéger la biodiversité, comme le long des rives des cours d’eau pour contribuer à la protection du saumon sauvage du Pacifique là où il a perdu beaucoup de son habitat.

Nous appuyons ces mesures, mais elles sont insuffisantes. Si le projet de loi C-12, qui porte sur la responsabilité climatique et qui a été mentionné dans l’énoncé économique de l’automne, n’est pas renforcé considérablement, notamment en fixant à 2025 la date butoir pour la réduction des émissions de carbone, il ne méritera pas d’être appuyé.

Quand on se tourne vers les États-Unis, on voit que l’administration Biden, nouvellement élue, reprend certains programmes mis en place par Barack Obama. Voilà une autre source d’encouragement. Le Canada a des possibilités, tel que mentionné dans l’énoncé économique de l’automne. En prenant des mesures concernant les émissions de carbone et les frontières, il sera possible d’orienter l’économie de nos deux pays dans la même direction et de créer davantage d’emplois par la même occasion. Ces perspectives sont encourageantes.

Nous appuyons le projet de loi C-14 et ses objectifs. Les mesures qui y sont proposées sont importantes pour offrir davantage d’aide aux Canadiens dans le contexte de la pandémie de COVID.
Que manque-t-il? De nombreux secteurs ne font pas que passer à travers les mailles du filet, ils se dirigent tout droit vers le gouffre. Ils ont besoin de plus d’aide. Je songe particulièrement aux entreprises du secteur du tourisme, entre autres les restaurants, mais aussi les services d’autobus.

Dans l’énoncé économique de l’automne, on affirme que les secteurs durement touchés auront plus de crédit disponible, mais celui-ci est limité à 1 million de dollars par mesure d’aide. Cela me fait penser à la compagnie d’autocars Wilson’s, qui offre non seulement des services nolisés, mais aussi des services à horaires réguliers dans les communautés autochtones. Cette compagnie fait partie intégrante de notre écosystème touristique. Or, les pressions exercées par les banques commerciales menacent de la faire disparaître. Les banques exigent d’être remboursées. Un prêt limité à 1 million de dollars ne suffira pas à sauver Wilson’s.

Pour les autres composantes de nos infrastructures de transport, comme les aéroports régionaux, des prêts de 1 million de dollars seront inutiles. Nous devons nous concentrer sur ce qui est nécessaire pour sauver toutes les infrastructures de transport qui sont à risque en ce moment. Quelle est la meilleure façon de procéder? Je crois que la ministre des Finances ou le premier ministre devrait s’entretenir avec tous les PDG des grandes banques commerciales et leur rappeler qu’ils enregistrent un profit chaque trimestre.

Voici les nouvelles les plus récentes. En parcourant les manchettes de BNN Bloomberg, on voit les nouvelles sur le nouveau trimestre, fin 2020, début 2021. Les grandes banques entament la nouvelle année en enregistrant des profits. Elles se portent très bien. Les gains ajustés du quatrième trimestre sont supérieurs aux estimations moyennes des analystes. Lorsque les banques prospèrent — elles ne vont peut-être pas aussi bien qu’avant la pandémie, mais elles ne sont pas en difficulté ou sur le point de faire faillite —, elles doivent apporter leur aide.

De façon similaire, nous ne devrions pas exercer de pressions sur les Canadiens qui ont demandé la PCU de bonne foi parce qu’ils estimaient avoir gagné 5 000 $ l’année précédente. Les précisions sur l’admissibilité ont été apportées plus tard. Soyons sérieux. Apportons des corrections avec ce projet de loi afin que tous les bénéficiaires de la PCU qui ont touché un revenu brut de 5 000 $ en 2019 soient admissibles. On pourrait ainsi clarifier un malentendu et dissiper la menace qui plane au-dessus de la tête des quelque 440 000 Canadiens qui ont reçu une lettre d’information, terme qui, par ailleurs, me paraît orwellien.

Il est beaucoup question de l’important dossier des centres de soins de longue durée dans l’énoncé économique de l’automne. On y mentionne aussi ceux qui travaillent dans ces établissements. L’une des situations les plus troublantes que j’ai vues dans les derniers mois était une éclosion de COVID-19 dans un refuge pour sans-abri à Ottawa. Il se trouve que les sans-abri qui vivaient dans ce refuge étaient des fournisseurs de soins de longue durée dont le revenu était si faible qu’ils n’avaient pas les moyens de se loger autrement.

Il faut en faire beaucoup plus. Il faut se rendre dans ces établissements de soins de longue durée pour faire en sorte que les aînés soient vaccinés. Il faut mettre un terme au géronticide. Il faut s’assurer de payer adéquatement les travailleurs, qu’ils se trouvent en première ligne dans les établissements de soins de longue durée ou ailleurs dans la société. Il nous faut vraiment un revenu minimum garanti afin d’assurer l’équité et la décence à chacun des Canadiens.

Ce n’est qu’un bref survol des défis qui nous attendent en tant que Canadiens. L’énoncé économique de l’automne nous trace une voie claire, mais il faudrait qu’elle soit plus ambitieuse. Après la pandémie, nous devrons nous assurer de réparer notre filet social pour qu’il ne tombe pas en lambeaux, mais qu’il constitue un élément de stabilité, de décence et de respect pour chacun des êtres humains de notre société, qu’il s’agisse d’un sans-abri, d’un autochtone ou d’une femme qui n’arrive pas à réintégrer le marché du travail. Nous devons rebâtir. Il nous faut une société qui réponde à nos plus grandes aspirations, comme de lutter contre l’urgence climatique pendant qu’il en est encore temps.