Ce que nous ignorons encore sur les plans des libéraux concernant l’infrastructure

Elizabeth May, députée de Saanich-Gulf Islands et chef du Parti vert du Canada
Avril 2017

Il n’y a pas à douter que d’énormes investissements sont nécessaires dans l’infrastructure publique. Le report de travaux d’entretien pendant des décennies pour épargner des fonds à court terme a donné lieu à un arriéré monstrueux de besoins publics auxquels on n’a pas répondu et qui en sont maintenant à un point critique. En raison de ce mode de pensée myope empreint d’opportunisme politique, les gouvernements successifs se sont transmis les uns aux autres le déficit budgétaire, tout en créant un manque énorme au chapitre des infrastructures : barrages, routes, usines de traitement de l’eau et ponts vieux et dangereux et systèmes de transport en commun dépassés, peu pratiques et désuets.

Selon une étude de la Fédération canadienne des municipalités (FCM), un tiers des infrastructures municipales du Canada risque de se détériorer rapidement, et le déficit des municipalités, au chapitre des infrastructures, s’établit à 123 milliards de dollars et continue de croître. Or, toutes les infrastructures ne sont pas municipales. À cause de la réduction radicale du budget de Parcs Canada et du manque d’entretien au cours des années Harper, des segments d’autoroutes publiques, des canaux et des ponts dans tout le Canada sont aujourd’hui dans un dangereux état de délabrement.

Les changements climatiques ajoutent d’autres pressions, car nos réseaux d’aqueduc ont été conçus pour un climat différent. Nos vieilles usines de traitement de l’eau ne peuvent gérer les pluies diluviennes, qui jadis ne tombaient qu’une fois tous les 100 ans et qui surviennent maintenant tous les 10 ans. Les eaux d’égout brutes contournent régulièrement les usines plus anciennes, car le volume des pluies les menace; par conséquent, ce contournement fait partie de la conception.

Ce catalogage des infrastructures publiques dangereuses qui se dégradent ne fait état que des systèmes du passé. Cependant, dans une économie qui se détourne du carbone, nous devons investir dans l’infrastructure qu’il nous faut. Il est essentiel que nous investissions dans un réseau électrique moderne et efficient dans l’axe est-ouest. Nous devons repérer les réservoirs idéaux pour entreposer l’énergie renouvelable produite par le vent et la lumière solaire. En outre, nous avons besoin d’un nouveau réseau de postes de recharge en vue de la révolution prochaine qu’amèneront les véhicules électriques.

Je ne peux qu’applaudir à la détermination du gouvernement libéral à s’attaquer au déficit infrastructureI. Cependant, on ne voit toujours pas complètement ce qu’il compte faire, en fait. Les budgets de 2016 et de 2017 s’apparentent à des tours de passe-passe, et la majorité des fonds annoncés ne seront effectivement investis qu’après l’élection de 2019.

Les ententes sur l’infrastructure conclues avec les provinces sont les seuls instruments que je peux trouver pour remédier à l’arriéré dans le secteur du traitement des eaux usées, en dehors des 746 projets déjà approuvés qui seront financés à même le Fonds pour l’eau potable et le traitement des eaux usées. Ces nouvelles ententes bilatérales avec les provinces et les territoires ont un grand rôle à jouer dans le contexte de l’infrastructure écologique, mais les premiers fonds ne seront versés qu’en 2018‑2019 (361 millions de dollars), et d’autres crédits de 393 millions de dollars seront distribués juste à temps pour l’année électorale. La majorité des fonds annoncés ne seront répartis qu’entre 2020 et 2022.

 

La même formule vaut pour les investissements dans les transports en commun : il n’y aura aucun investissement en 2017‑2018, puis 950 millions de dollars seront versés en 2018‑2019 et 851 millions de dollars, en 2019‑2020. La majeure partie des 4 milliards de dollars devant être investis d’ici 2022 ne le seront qu’après la prochaine élection.

 

Il est encourageant que le budget prenne en compte la nouvelle génération d’infrastructures pour une économie sans carbone. Cependant, les crédits affectés aux réseaux électriques intelligents et au stockage de l’énergie renouvelable sont relativement modestes et, encore ici, ils ne commenceront à être versés que l’an prochain (25 millions de dollars par année, pour un total de 100 millions de dollars d’ici 2022). Le budget fait aussi état des postes de recharge pour véhicules électriques et des stations de ravitaillement en gaz naturel et pour les piles à hydrogène, mais le financement ne débutera à cet égard que l’an prochain, à concurrence de 30 millions de dollars par année.

 

Entre-temps, la principale question porte sur l’élément central de cet effort : la Banque de l’infrastructure. Tout dépendant des détails, le Parti vert pourrait fort bien appuyer cette initiative. À cet égard, notre parti se pose la question fondamentale de savoir si l’initiative comportera la privatisation d’actifs publics. Nous nous opposerions à cela. Je m’inquiète beaucoup du fait que l’idée de vendre nos aéroports et nos ports n’a pas encore été carrément écartée. Si la Banque de l’infrastructure mobilise des capitaux pour faire des investissements nécessaires, c’est excellent. Si elle accède à des prêts aux très faibles taux d’intérêt que seul le gouvernement fédéral peut obtenir, bravo! Cependant, si c’est une escroquerie axée sur des partenariats publics-privés (PPP) dans le cadre desquels l’intérêt public est contourné en faveur de projets qui profitent au secteur privé et qui réduisent le soutien accordé pour ce que nous partageons en commun, nous nous y opposerons. Nous attendons tous et toutes les détails que contiendra la loi promise.