Elizabeth May (Saanich—Gulf Islands)
2020-10-02 14:05 [p.505]
Monsieur le Président, c’est un honneur de prendre la parole aujourd’hui sur le territoire traditionnel de la nation algonquine. Je lui dis encore meegwetch pour son hospitalité et sa patience exceptionnelles.
Nous débattons aujourd’hui d’un projet de loi très important que nous avons déjà étudié pendant la législature précédente. Il s’agissait alors du projet de loi d’initiative parlementaire C-337. Évidemment, ce projet de loi est mort au Feuilleton, mais pas par manque d’appui à la Chambre. C’est plutôt parce qu’il est resté bloqué à l’autre endroit pendant trois ans. La personne qui parrainait ce projet de loi, dont je peux maintenant dire le nom, puisqu’elle n’est plus au Parlement, était Rona Ambrose. Elle a assumé avec brio de nombreuses fonctions au Cabinet du gouvernement conservateur précédent, et c’est dans le cadre de ses dernières fonctions, en tant que chef intérimaire du Parti conservateur, qu’elle a présenté ce projet de loi.
Je pense que c’est Rona qui a dit que le problème, à l’autre endroit, c’était la bande de vieux hommes blancs qui s’y trouvaient. C’est un peu le même problème dans la magistrature. Nous avons un problème de taille, dans la mesure où le groupe démographique le plus susceptible de juger des affaires d’agression sexuelle est précisément le moins susceptible de comprendre les problèmes en cause. Je dis souvent à la blague qu’il ne faut jamais se moquer des vieux hommes blancs, mais j’en ai marié un, alors je n’ai vraiment rien contre eux. Il y en a un en particulier que j’aime énormément.
Cependant, il serait le premier à dire que, parmi les gens de sa génération, ce groupe est privilégié en raison de trois caractéristiques: ce sont des hommes, ils sont blancs et ils sont considérés comme des gens vraiment exceptionnels.
La plupart des juges sont des personnes extraordinaires. Je viens de parler de mon mari, John Kidder. Son grand-père était juge en chef de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Il n’aurait donc que de belles choses à raconter sur son grand-père. J’ai moi-même pratiqué le droit, et chaque fois que je devais aller devant les tribunaux, j’espérais me retrouver devant un bon juge.
Il m’est arrivé de tomber sur un très mauvais juge. Je n’avais même pas encore été admise au barreau quand je me suis présentée devant les tribunaux en tant que plaignante et avocate avec un groupe d’habitants du Cap-Breton qui tentaient d’empêcher l’épandage aérien de l’agent Orange. C’était en 1982. Le gouvernement de l’époque avait autorisé l’épandage aérien de l’agent Orange en Nouvelle-Écosse. Nous nous sommes débattus à tel point que l’épandage a commencé à se faire au sol. Nous nous sommes alors adressés aux tribunaux dans le cadre d’un recours collectif. Ma famille a perdu toutes ses terres à cause d’une note de frais de la compagnie Scott Paper.
C’était une affaire horrible et le procès a duré un an au total. Nous avons passé un mois devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse à faire valoir que l’agent Orange avait causé des dommages, des handicaps congénitaux et des cancers au Vietnam et qu’on l’avait retrouvé dans l’eau souterraine. C’était une cause longue et compliquée. Le juge, dont c’était la première affaire d’envergure, a conclu que l’agent Orange était sans danger et que nous étions des gens malveillants puisque nous embêtions le gouvernement de la Nouvelle-Écosse avec nos plaintes.
Je le mentionne parce quand ce juge s’est occupé d’un autre gros dossier par la suite, c’était une affaire d’agression sexuelle. Encore une fois, ses paroles ont fait les manchettes. Il est vrai qu’il a déclaré l’agresseur coupable d’agression sexuelle, mais la peine se bornait pratiquement à une tape sur les doigts parce que, comme l’a souligné le juge, le viol n’avait pas été particulièrement violent. L’agresseur, reconnu coupable de viol, ne méritait pas vraiment une punition parce qu’il n’avait pas été très violent.
J’ai cherché le nom de l’affaire. Nous connaissons déjà le nom du juge. On y a souvent fait référence dans le cadre du débat d’aujourd’hui. Ce juge a demandé à la victime pourquoi elle n’avait pas simplement serré les genoux, et il a laissé entendre que la victime n’avait pas fait beaucoup d’efforts pour repousser son agresseur. Le juge a choisi de ne pas croire la victime, et l’agresseur a initialement été acquitté. Cette affaire remonte à 2016.
Il est plutôt facile de trouver de l’information sur des cas récents dans des moteurs de recherche. Nous savons donc que le nom du juge était Robin Camp, et que la cause a été instruite à Calgary. Je ne pense pas qu’il soit exagéré d’affirmer que c’est ce qui a amené Rona Ambrose à présenter un projet de loi d’initiative parlementaire exigeant que les juges suivent une formation.
L’affaire à laquelle j’ai fait allusion n’était pas un cas d’agression sexuelle particulièrement violente. Si j’avais accès à une bibliothèque de droit, je sais que je la retrouverais, car elle est consignée parmi les affaires judiciaires en Nouvelle-Écosse vers 1984. Lorsque j’ai effectué cette recherche, j’ai appris que le juge est décédé en mai dernier. Il n’y avait que des notices nécrologiques élogieuses sur le caractère excellent du juge qui a conclu que l’agent Orange était inoffensif et que la victime dans cette affaire ne méritait pas que justice soit faite parce que l’agression sexuelle n’avait pas été suffisamment violente. Je ne mentionnerai pas son nom, par respect pour le défunt.
Il y a des juges qui ont besoin de plus de formation. Voilà pourquoi nous devons adopter ce projet de loi. Nous savons ce qui est en jeu ici: obtenir justice pour les femmes victimes de violence sexuelle. Nous savons que plusieurs recommandations cruciales de l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones assassinées ou portées disparues n’ont toujours pas obtenu de réponse officielle. Le rapport dit précisément que lorsqu’une femme autochtone est victime de violence sexuelle, elle doit avoir accès à un soutien médical et psychologique culturellement adapté. On doit l’aider à conserver les preuves et à consulter une professionnelle de la santé qui est elle-même autochtone et qui peut l’aider à obtenir justice et à traverser la prochaine étape, qui relève de la police.
Tout à l’heure, la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres a fait valoir que c’est souvent la police qui affirme manquer de preuves, ce qui fait que de nombreuses plaintes sont jugées non fondées. Nous savons que très peu de femmes ayant été agressées sexuellement vont porter plainte et que, parmi celles qui s’adressent à la police, beaucoup ne sont pas crues, ce qui fait augmenter le nombre de plaintes jugées non fondées. Lorsqu’une affaire finit par se retrouver devant les tribunaux, il faut que le juge soit assez bien renseigné sur les agressions sexuelles pour ne pas attacher de l’importance à des sottises comme l’idée qu’une personne qui a vraiment été violée ne cacherait pas ce qu’elle a vécu pendant longtemps. Les juges sont-ils vraiment bien renseignés à ce sujet? Ils ont besoin d’être formés.
Nous avons un besoin urgent de ce projet de loi. Il bénéficie d’un vaste soutien. Comme je l’ai mentionné, il a été adopté très rapidement par la Chambre lorsqu’il a été présenté la première fois en 2017, mais il s’est enlisé à l’autre endroit où il est mort au Feuilleton lors de la prorogation. Je félicite le gouvernement d’en avoir fait cette fois un projet de loi du gouvernement. Bien évidemment, il sera adopté beaucoup plus rapidement à ce titre que si on avait dû attendre qu’il soit présenté comme projet de loi d’initiative parlementaire.
Je me réjouis également des changements qui ont été apportés pour élargir la notion d’éducation pour les juges dans le projet de loi C-3, afin d’ajouter la notion de contexte social aux questions liées au droit relatif aux agressions sexuelles. Je sais que beaucoup de députés aimeraient qu’on amende encore le projet de loi pour qu’il soit explicite que la notion de contexte social comprend entre autres le racisme systémique, l’intersectionnalité, la pauvreté, les préjugés dont font l’objet les travailleuses du sexe et les marginaux, ainsi que les préjugés qui sont par nature discriminatoires à l’égard des femmes.
Au sujet du contexte social, je sais que certains voudront amender le projet de loi afin que l’on ait une meilleure compréhension de ce concept afin de pouvoir utiliser cette mesure législative pour traiter de questions dont nous avons beaucoup plus conscience maintenant, comme le racisme systémique dans les forces de police et au sein de la magistrature. Nous pourrions sans doute nous occuper de plus de questions en apportant des amendements.
Afin de ne pas être à court de temps, monsieur le Président, j’aimerais présenter un projet de motion qui, je l’espère, sera acceptable à tous les députés. Si vous le demandez, j’espère que vous obtiendrez le consentement unanime pour accélérer l’examen de ce projet de loi afin de nous aider à le faire passer plus rapidement en comité et à sauter l’étape de la deuxième lecture.
La motion se lirait comme suit: « Que, nonobstant tout article du Règlement ou usage habituel de la Chambre, à la fin de la période prévue pour les ordres émanant du gouvernement aujourd’hui ou lorsqu’il n’y aura plus de député pour prendre la parole, selon la première éventualité, le Président mette aux voix sur le champ toute question nécessaire pour terminer l’étude à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel, sous réserve que, si un vote par appel nominal est demandé, il soit différé jusqu’au lundi 5 octobre 2020, à la fin de la période prévue pour les questions orales. »
J’espère que cette motion est en bonne et due forme. Elle est entre les mains des greffiers. Je m’excuse auprès des députés d’en face, que j’aurais normalement consultés personnellement. Je comptais la leur transmettre par voie électronique.
Monsieur le Président, j’espère que vous constaterez qu’il y a consentement unanime pour renvoyer le projet de loi C-3 immédiatement au comité et sauter l’étape de la deuxième lecture, avec la tenue possible d’un vote lundi si d’autres partis le demandent.
Alistair MacGregor (Cowichan—Malahat—Langford)
2020-10-02 14:16 [p.507]
Monsieur le Président, j’invoque le Règlement. Pour donner suite à la motion présentée par la députée de Saanich—Gulf Islands, j’espère que tous les partis trouveront le moyen de parvenir à un accord dès lundi, pour que le projet de loi soit déféré à un comité. Le comité doit entreprendre sans tarder l’étude de ce projet de loi.
Louise Charbonneau (Trois-Rivières)
2020-10-02 14:16 [p.507]
Monsieur le Président, j’aimerais remercier mon honorable collègue de son discours.
Je voudrais savoir si elle pense qu’on accorde suffisamment de crédibilité aux femmes qui ont été victimes de viol. Dans l’histoire que la ministre nous a présentée, les premières personnes qui pourront accorder de la crédibilité aux déclarations de ces femmes, ce sont les policiers.
Croit-elle que c’est suffisant d’attendre que cela soit porté devant les juges?
Elizabeth May (Saanich—Gulf Islands)
2020-10-02 14:17 [p.507]
Monsieur le Président, je remercie la députée de Trois-Rivières de sa question.
Si je comprends bien, sa question porte sur la crédibilité des femmes victimes de viol, particulièrement les travailleuses du sexe. Ce groupe a les mêmes droits que toutes les autres femmes, notamment le droit de se protéger contre la violence et les agressions sexuelles.
Je pense que c’est aussi une question d’éducation et de formation qui concerne tout le monde. Cela concerne les policiers, les juges, les avocats et, particulièrement, les hommes de notre société. Les hommes sont aussi nos collègues. Ce n’est pas nécessaire d’être une femme pour être féministe. Il y a des hommes qui croient que c’est important de défendre les droits des femmes.
C’est affreux, mais on sait très bien que les hommes ne croient pas toujours les victimes, particulièrement les travailleuses du sexe.
Anju Dhillon (Dorval—Lachine—LaSalle)
2020-10-02 14:19 [p.507]
Monsieur le Président, j’écoute toujours avec beaucoup de fascination ma collègue du Parti vert. Elle présente toujours ses arguments avec passion et en portant la plus grande attention à tous les facteurs en jeu.
J’aimerais donc lui poser deux questions. Pense-t-elle qu’il faut davantage de femmes dans le système judiciaire, ainsi qu’un plus grand nombre de femmes d’origines diverses? Elle a parlé de la place des cultures autochtones dans le système judiciaire et du fait que, lorsqu’il s’agit de prendre des décisions et d’écouter les victimes, il faut faire preuve de sensibilité culturelle. Convient-elle qu’il y a dans la magistrature un manque consternant, non seulement de femmes, mais aussi de femmes d’origines ethnoculturelles diverses, et qu’il serait dans certains cas utile que ces deux catégories soient davantage représentées? De plus, la députée peut-elle nous dire pourquoi il est urgent de ne procéder qu’à la première lecture du projet de loi?
Elizabeth May (Saanich—Gulf Islands)
2020-10-02 14:20 [p.507]
Monsieur le Président, n’eût été de la COVID-19, je siégerais plus près de ma chère collègue. Les places qui nous ont été attribuées m’ont permis de discuter fréquemment avec la députée de Dorval—Lachine—LaSalle.
Je suis tout à fait d’accord avec elle: la magistrature est principalement composée d’hommes blancs d’âge mûr. C’est comme ça.
Je suis devenue avocate en 1983 et, quand j’ai commencé à étudier le droit, le tiers de la classe était composé de femmes, ce qui était un énorme changement. Anne Derrick, l’une de mes amies, est une avocate militante ainsi qu’une pionnière. Elle siège maintenant à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse et elle est fantastique. Comme on peut le constater, des changements s’opèrent. Toutefois, on a désespérément besoin de diversité ethnique, religieuse et culturelle, ainsi que d’avocats et de juges autochtones, tout comme on a besoin de forces de police dirigées par des Autochtones, en qui les gens ont confiance parce qu’elles les protègent.
Pour répondre à la deuxième question de ma collègue, nous devons faire adopter le projet de loi rapidement. Il y a eu beaucoup trop de délais lors de la dernière législature, et j’espère que tous les partis trouverons le moyen de faire adopter le projet de loi sans qu’il faille répéter toutes les étapes franchies lors de la dernière législature et qu’ils lui accorderont un appui unanime, comme la dernière fois.