Elizabeth May (Saanich—Gulf Islands)
2020-02-27 17:42 [p.1716]
Madame la Présidente, j’ai l’honneur de prendre la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-7 relativement à l’aide médicale à mourir. C’est la deuxième fois, la première étant lors de la dernière législature, que j’ai l’occasion de participer aux débats sur cette loi absolument essentielle sur un sujet tellement difficile.
Ce projet de loi représente une grande amélioration et reflète certains amendements que j’avais proposés, mais qui n’ont pas été adoptés, à la Chambre pendant la 42e législature. En fait, certains de ces amendements avaient été acceptés et approuvés par le Sénat.
Je tiens à prendre quelques instants pour réfléchir à l’évolution de la position sur la question au Canada.
Quand j’ai pris la parole, j’ai été désignée comme la députée de Saanich—Gulf Islands. Je crois que cette circonscription a peut-être plus de résidants qui réclament l’aide médicale à mourir que toute autre circonscription au Canada. La collectivité accueille deux groupes actifs qui militent pour le droit de mourir dans la dignité, dont un à Salt Spring Island et l’autre dans la péninsule de Saanich. Je crois qu’il y a une raison fort simple pour cela.
La question suscite des passions et, franchement, les électeurs de ma circonscription m’ont persuadée, en 2011 et en 2012, de défendre l’accès à l’aide médicale à mourir et de lutter pour éliminer les peines prévues par le Code criminel pour les gens qui, motivés par la compassion et le respect de la dignité humaine, viennent en aide à quelqu’un dont les souffrances sont intolérables pendant les derniers jours et les dernières semaines de sa vie.
La raison pour laquelle ma collectivité est tellement touchée par cette question est que Sue Rodriguez habitait à North Saanich. En raison des effets de la sclérose latérale amyotrophique, elle n’a pas pu s’enlever elle-même la vie, mais elle a pu trouver un médecin, à ce jour anonyme, qui l’a aidée à mettre fin à ses jours.
Il est clair que beaucoup de personnes de ma circonscription appuient les mesures du projet de loi C-7, tout comme celles du projet de loi C-14 lors de la législature précédente.
Il est question ici d’aider à soulager la souffrance au moyen de l’aide médicale à mourir. Cette situation difficile et tellement grave est injuste pour n’importe qui.
Sue Rodriguez s’est adressée aux tribunaux. Il y a donc toute cette démarche judiciaire. En 1993, la Cour suprême du Canada a rejeté sa demande. Sue était atteinte de sclérose latérale amyotrophique. Cette maladie occupe une place centrale dans mon allocution d’aujourd’hui. Sue perdait graduellement ses capacités, elle ne pouvait plus parler, avaler, ni marcher. Nous savons comment évolue cette maladie. Elle a demandé aux tribunaux de modifier la loi, mais sa demande a été rejetée. C’était en 1993. Soit dit en passant, la décision avait été très serrée, quatre à cinq, très serrée. Sue est décédée un an plus tard, le 12 février 1994.
Nous nous retrouvons ensuite 22 ans plus tard. Voilà à quel point les lois évoluent lentement. Cela prend du temps. La Cour suprême du Canada et les lois du Canada évoluent en fonction des changements. À mon avis, c’est en partie parce que nous nous rendons également compte aujourd’hui, contrairement à il y a 20, 30, 40 ou 50 ans, que les miracles de la médecine moderne peuvent prolonger la vie et les souffrances, mais avant que cette loi soit adoptée pendant la 42e législature, on ne permettait pas aux gens de mourir dans la dignité et de décider du moment de leur propre mort.
En 2015, il y a finalement eu la décision Carter. Vingt-deux ans après la décision de la Cour suprême du Canada dans la cause Rodriguez, il y a eu la décision Carter. J’étais convaincue à la dernière législature, la 42e, quand nous avons débattu du projet de loi sur l’aide médicale à mourir, que cette mesure législative était bien loin de ce que supposait la décision de la Cour suprême dans l’affaire Carter.
J’étais persuadée, et je l’ai répété de nombreuses fois dans cette enceinte, que la mesure législative que nous voulions adopter, même si elle était une amélioration, ne résisterait pas à un examen juridique et serait jugée inconstitutionnelle par les tribunaux. Nous sommes maintenant aux prises avec la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon et, encore une fois, le tribunal nous a donné une échéance pour améliorer la mesure législative. On l’appelle la modification d’Audrey. Il ne fait aucun doute que beaucoup de personnes se sont senties interpellées par cette histoire, et elles ont le cœur brisé d’avoir appris que l’aide médicale à mourir n’était pas une option pour les personnes qui souffraient profondément et qui craignaient de ne pas être en mesure de donner leur consentement le jour de la procédure.
Je pense que le projet de loi dont nous sommes saisis constitue une grande amélioration et qu’il tient vraiment compte de la façon dont cette question est abordée par les tribunaux et la société.
Je me permets de dire que j’ai trouvé le débat fort respectueux pendant la 42e législature. Tous les partis ont reconnu qu’il s’agit de questions sérieuses de vie ou de mort et qu’il ne fallait pas prendre ce dossier à la légère ou le transformer en débat partisan. La réalité, c’est que nous corrigeons dans cette mesure législative certaines erreurs qui se sont glissées dans le projet de loi précédent.
Je trouve toujours un peu étrange que nous devions préciser que la mort naturelle d’une personne est « raisonnablement prévisible ». Je ne pense pas qu’une seule personne dans cette enceinte se proclame immortelle. La mort de chaque député est entièrement prévisible. Nous ne savons juste pas quand et où elle aura lieu.
Même les médecins de personnes atteintes d’une maladie en phase terminale ne sont pas en mesure de fixer la date de la mort raisonnablement prévisible. Qu’est-ce qui caractérise une mort raisonnablement prévisible? Nous plaçons les gens dans une situation où même s’ils savaient qu’ils étaient atteints d’une maladie en phase terminale, comme la sclérose latérale amyotrophique, ils ne pourraient pas obtenir de l’aide au titre de cette mesure législative et ne pourraient pas donner leur consentement préalable à un médecin afin de signaler qu’ils ne souhaitent pas traverser les dures épreuves qui les attendent.
L’une de mes bonnes amies m’a envoyé un courriel aujourd’hui pour me demander de m’opposer à ce projet de loi parce qu’elle est atteinte de la sclérose latérale amyotrophique ou SLA, qu’elle est en fin de vie et qu’elle ne croit pas que le projet de loi s’appliquerait à son cas. J’ai demandé au ministre de la Justice de me confirmer que je comprenais bien le projet de loi et que, oui, on l’a rédigé en pensant précisément aux personnes atteintes de la SLA.
Notre regretté ami qui a déjà occupé le fauteuil de la présidence, Mauril Bélanger, a perdu rapidement la vie à cause de la SLA. Mon amie, elle, perd actuellement la parole. Elle est dans un fauteuil et elle a des tubes dans l’estomac qui lui causent énormément de douleur. Elle sait que ses poumons vont lâcher et elle m’écrit pendant que nous débattons de la question. J’ai été très soulagée, en parlant au ministre de la Justice, de me rendre compte que je comprenais bien le projet de loi et que mon amie pouvait obtenir l’aide nécessaire, être évaluée et donner son consentement à l’avance.
J’estime toutefois que certains amendements devraient être apportés, et j’aimerais que nous ayons plus de temps. J’espère que la Cour nous donnera quatre mois supplémentaires, mais personne ne le sait.
Je pense que certaines craintes qu’on essaie d’exacerber aujourd’hui sont prises en compte dans le projet de loi, qui contient les mesures de sauvegarde nécessaires pour assurer la sécurité des personnes vulnérables. Personne ne peut consentir à l’aide médicale à mourir, sauf le patient lui-même, et ce, en respectant des critères très rigoureux. Il faut qu’il y ait un témoin assermenté. La participation d’un médecin est obligatoire. Le projet de loi prévoit aussi que, le jour où l’aide doit être fournie, la personne peut changer d’avis et l’indiquer par toutes sortes de gestes ou de mots, à part des mouvements involontaires. À mon avis, le texte du projet de loi a été peaufiné autant que faire se peut, mais nous continuerons d’examiner les amendements proposés pendant l’étude article par article.
Le projet de loi maintient le critère obligatoire de la mort raisonnablement prévisible, quoiqu’il se peut qu’on relève certaines complications dans le libellé. Je prends note des préoccupations de Jocelyn Downie de l’Université Dalhousie, qui est parmi les grands experts canadiens en la matière. Je tiens à entendre son témoignage. J’espère qu’elle comparaîtra et je suis certaine qu’elle acceptera, à l’instar de Stefanie Green, la présidente de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM. Nous voulons nous assurer de trouver le libellé approprié.
Je termine en remerciant le ministre de la Justice et le gouvernement d’avoir poursuivi la réalisation du projet de loi et d’avoir écouté le triste appel d’Audrey, de Halifax, afin qu’elle ne soit pas morte en vain.