L’Agence internationale de l’énergie nous prévient qu’une hausse de plus de deux degrés Celsius de la température moyenne dans le monde aura des « conséquences désastreuses ». La Banque mondiale affirme qu’une augmentation de l’ordre de 3,5 degrés Celsius serait « dévastatrice ». Il ne s’agit pas d’agences environnementales. Il s’agit d’organismes conservateurs axés sur l’économie. On parle de « l’establishment » avec un grand « E ». Leur discours est de plus en plus alarmiste; or, rien ne bouge.
Je crois qu’une partie du problème est que même lorsque des spécialistes comprennent le péril qui guette l’humanité, ceux qui sont alarmés ont peur de paraître alarmistes. Traduire en langage simple et univoque les répercussions d’une hausse de 2 ou de 3,5 degrés ou plus n’est pas une mince tâche. Je vais essayer de vous expliquer deux facteurs clés concernant les prévisions de l’AIE, de la Banque mondiale, du GIEC et des autres.
Tout d’abord, ces organismes ne disent pas encore qu’il est impossible d’éviter la hausse de deux degrés, ce que tous les pays, dont le Canada, ont promis d’éviter, et le premier ministre Stephen Harper l’a personnellement fait à Copenhagen en 2009. Voici ce qui est dit. Si toutes les nations maintiennent le cap relativement à leurs présents plans d’action sur les changements climatiques, la conséquence globale sera une hausse continue des émissions de gaz à effet de serre. En ce qui concerne les trajectoires actuelles de nos politiques, il s’agit d’un constat d’échec cuisant; nous sommes très loin des objectifs établis. Nous pouvons éviter une telle hausse de plus de deux degrés, mais il faudrait mettre en branle des transitions économiques urgentes et complètes semblables à celle que vivent les nations en temps de guerre. Même là, rien n’est gagné.
L’objectif n’est pas de connaître une hausse de deux degrés de la température moyenne dans le monde. Il faut l’éviter. Il s’agit d’un niveau de changements climatiques d’origine humaine qui provoquent une dangereuse déstabilisation du climat. Bon nombre d’États insulaires composés d’îles basses rappellent qu’ils seraient inondés à tout jamais si la température augmentait de deux degrés.
Néanmoins, dans un pays comme le Canada qui connaît des températures de -40 degrés Celsius en hiver et de 40 degrés Celsius en été, une telle hausse semble bien peu. C’est notre incapacité de mettre l’accent sur le contexte qui fait en sorte que le nombre perd tout son sens. C’est seulement en expliquant qu’il n’y a qu’une différence de cinq degrés Celsius entre la présente température moyenne dans le monde et celle de la dernière période glaciaire qu’il devient clair qu’une hausse de deux degrés de la température moyenne dans le monde est énorme.
Il faut ensuite expliquer ce que signifie une hausse de deux ou trois degrés ou plus de la température moyenne dans le monde. Étant donné qu’une hausse de deux degrés est dangereuse, qu’entendons-nous par « désastreux », « dévastateur » et « catastrophique »?
En vue de comprendre le pire scénario possible pour l’humanité relativement à la crise climatique, il faut comprendre le concept des boucles de rétroaction positive. Les feux de forêt libèrent du dioxyde de carbone, ce qui réchauffe plus rapidement la Terre et cause plus de feux de forêt. La fonte des glaces arctiques réduit le phénomène de l’albédo qui reflète la chaleur du soleil dans l’atmosphère. Sans les glaces, la chaleur du soleil est absorbée par l’eau foncée des océans, ce qui réchauffe plus rapidement les océans, fait fondre plus rapidement les glaces et réduit encore plus la couche de glace.
Lorsque le climat plus chaud entraîne la fonte du pergélisol, du méthane, un puissant gaz à effet de serre, est libéré du sol autrefois gelé. Le méthane réchauffe encore plus la Terre, provoque une fonte accrue du pergélisol et libère plus de méthane. Voilà des exemples de boucles de rétroaction positive; il en existe bien d’autres.
Au cours de la présente augmentation des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, nous risquons de libérer des sources de réchauffement impossibles à arrêter. Nous appelons cela le « réchauffement planétaire effréné ». Le pire scénario serait que la planète devienne une deuxième Vénus, soit une planète inhabitable pour tous, à l’exception de certains microbes capables d’endurer des températures élevées. Je ne crois pas que cela mène à l’extinction complète du genre humain et de la majorité des autres créatures qui cohabitent avec nous sur la Terre.
Cependant, il est difficile de nous imaginer comment les sociétés humaines et la civilisation même pourraient survivre à la fonte de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidentale qui provoquerait l’inondation de toutes les villes côtières, ou une sécheresse permanente dans des régions qui produisent de la nourriture, ou le déplacement de dizaines de millions de réfugiés qui fuient la famine ou les inondations. Il ne s’agit pas d’évènements tirés par les cheveux. Nos enfants pourraient les vivre.
Dans le livre à succès de Ronald Wright, Brève histoire du progrès, il a passé en revue une pléiade de civilisations autrefois grandioses qui ont couru à leur perte. Une ligne, une partie d’un graffiti que Wright répète, résume le tout : « Chaque fois que l’histoire se répète, le prix augmente. »
Chris Hedges a récemment publié une entrevue réalisée avec Wright. (The Myth of Human Progress, truthdig.com, 13 janvier 2013) Wright médite sur notre incapacité de prévenir un désastre imminent qui pourrait nous éradiquer de la surface de la Terre. « Nous sommes des chasseurs de la période glaciaire qui se rasent et qui portent un habit, affirme Wright. Nous ne sommes pas doués pour la planification à long terme. »
Donc, la prochaine fois que vous lirez que l’Agence internationale de l’énergie pense que des conséquences « désastreuses » nous guettent et que la Banque mondiale nous prévient que les effets pourraient être « dévastateurs », ne vous en désintéressez pas. Trouvez plutôt un moyen de vous joindre au mouvement qui exige une transition planifiée et agressive pour nous débarrasser de notre dépendance aux combustibles fossiles.
Nous avons une profonde obligation morale de protéger nos enfants et leurs enfants contre une fin que de plus en plus de gens considèrent comme inévitable. Ce n’est pas, parce que nous n’avons pas l’ingéniosité, la technologie et la créativité nécessaires pour éviter une hausse de deux degrés. Nous pourrions le faire et avoir une économie en meilleure santé. Ceux qui pensent que c’est inévitable ne peuvent tout simplement pas s’imaginer que nous nous donnerons la peine d’essayer. Faisons de 2013 l’année où la donne a changé, où les nations ont décidé de donner à l’humanité un avenir et une brève histoire du progrès.