Elizabeth May : Monsieur le Président, je prends la parole aujourd’hui, à l’heure de l’ajournement, pour revenir sur une question que j’ai posée au premier ministre le 21 novembre 2012. J’avais alors parlé du traité sur les investissements entre le Canada et la Chine qui, comme nous le savons, a été signé à Vladivostok en septembre 2012. La Chambre en a été saisie pendant 21 jours, période pendant laquelle, malheureusement — j’insiste sur ce « malheureusement », bien qu’il soit un peu faible pour qualifier ce qui m’apparaît comme une immense défaillance démocratique et une tragédie —, nous n’avons pas eu l’occasion d’en débattre.
Ce traité se trouve maintenant devant le Conseil privé du Canada. La plupart des Canadiens croient que ce terme désigne, en fait, le Cabinet. Quand le Conseil privé aura adopté le décret, le traité sur les investissements entre le Canada et la Chine liera juridiquement le Canada. En raison de ses dispositions contraignantes, il serait beaucoup plus difficile de se retirer de ce traité que de l’ALENA, par exemple, qui prévoit une disposition de retrait de six mois dont peuvent se prévaloir toutes les parties, soit le Canada, les États-Unis et le Mexique.
Le traité sur les investissements entre le Canada et la Chine entrera en vigueur pour une période initiale de 15 ans. Par la suite, si un futur gouvernement souhaite y mettre fin, il devra donner un préavis d’un an. Après la fin du traité, les investissements que la Chine aura déjà faits au Canada seront protégés pendant encore 15 ans. Cette entente lie donc le Canada pour 31 ans.
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J’ai posé une question à ce sujet au premier ministre le 21 novembre, parce qu’il revenait tout juste d’une mission commerciale en Inde. Certains des reportages que nous avions entendus à l’époque étaient plutôt trompeurs. Ils donnaient l’impression que le Canada avait conclu un traité sur les investissements avec l’Inde et que le Parlement indien n’était pas encore prêt à tenir un vote à ce sujet. La réponse du premier ministre était exacte: nous n’avons pas encore de traité sur les investissements avec l’Inde. J’avais aveuglément donné foi à la couverture médiatique.
Pendant le temps qui s’est écoulé avant que je puisse aborder cette question dans un débat d’ajournement, bien des choses se sont produites en Inde dans ce dossier. J’ai hâte d’entendre la réponse du représentant du gouvernement. L’Inde voit d’un très mauvais oeil les traités d’investissements, comme celui entre le Canada et la République populaire de Chine dont le Conseil privé est saisi. Les dispositions relatives aux différends investisseur-État de ces ententes n’ouvrent pas nécessairement de nouveaux marchés. Du moins, ce n’est certainement pas le cas de l’entente avec la Chine. Ces ententes donnent plutôt aux investisseurs étrangers davantage de droits pour réclamer des dommages-intérêts au pays dans lequel ils investissent.
Récemment, c’est-à-dire à la fin janvier 2013, le gouvernement indien a décidé de bloquer tous les accords sur les investissements, après que des sociétés étrangères aient intenté contre le pays tout un tas de poursuites dont les frais d’arbitrage pourraient coûter à l’Inde plus de 5 milliards de dollars. Les espoirs du Canada de conclure un nouvel accord sur les États investisseurs avec l’Inde sont certainement en veilleuse, car l’Inde a suspendu toutes les négociations en cours, et elle veut rouvrir et renégocier les accords qu’elle a déjà conclus.
Cela place l’Inde dans la même situation que l’Australie qui, après avoir fait une analyse coût-avantage détaillée sur les dispositions relatives aux différends investisseur-État, a conclu que ces accords ne sont pas avantageux pour l’Australie. C’est maintenant au tour de l’Afrique du Sud de réévaluer ces accords.
Il est temps que le Canada fasse une analyse coût-avantage, comme le fait l’Inde et comme l’a fait l’Australie, qu’il refuse de ratifier le traité sur les investissements entre le Canada et la Chine et qu’il n’entreprenne plus jamais de conclure ce genre d’accord.
Gerald Keddy : Monsieur le Président, je remercie la députée de Saanich—Gulf Islands de s’intéresser au dossier et je lui souhaite de parvenir à mieux le comprendre.
Puisqu’elle est nouvellement arrivée dans cette enceinte, peut-être ignore-t-elle qu’avant que nous soyons portés au pouvoir, en 2006, les traités tels que l’APIE avec la Chine n’étaient jamais présentés ici. Il était impossible d’en débattre. On n’en discutait pas. C’est vers 2007, je crois, que nous avons introduit la règle prévoyant que les traités seraient présentés à la Chambre qui disposerait alors de 21 jours de séance pour l’examiner et en débattre. Évidemment, la députée n’a pas pu se prévaloir de cette période, car, malheureusement, son parti n’a pas la masse critique requise pour profiter de ces 21 jours et pour exiger la tenue d’un débat. D’autre part, ni l’opposition officielle ni le Parti libéral n’ont profité de ces 21 jours pour exiger la tenue d’un débat sur la question.
Très honnêtement, nous sommes face à une foule d’allégations et de rumeurs, autrement dit à de la désinformation. Je dois toutefois être juste à l’égard de la députée de Saanich—Gulf Islands et reconnaître qu’elle n’a pas — et de loin — véhiculé autant de rumeurs que le NPD dans ce dossier.
Nous souhaitons, grâce à l’accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers entre le Canada et la Chine, que les investissements canadiens en Chine soient protégés, et que, réciproquement, les investissements chinois au Canada le soient aussi. La députée a raison lorsqu’elle dit que cet accord est d’une durée de 15 ans et qu’à la fin de cette période l’une ou l’autre des parties, la Chine ou le Canada, peut se retirer.
Il va de soi qu’il faut protéger les investissements déjà faits et leur assurer une certaine continuité, c’est pourquoi leur garantir un autre 15 ans n’est ni mauvais ni déraisonnable. Je soupçonne que la députée, vu qu’elle a pratiqué le droit, a déjà rédigé un certain nombre d’ententes semblables.
Le but est de donner aux sociétés canadiennes qui investissent en Chine les mêmes droits et privilèges qu’aurait une entreprise chinoise. Nous souhaitons ainsi protéger les investissements que les entreprises canadiennes font directement en Chine. Or, si ces entreprises n’ont pas les mêmes droits et privilèges que les sociétés chinoises, c’est impossible. Voilà ce qu’on entend par réciprocité et par équité, voilà ce qu’est un système commercial raisonnable fondé sur des règles.
Je remercie la députée de ne pas avoir repris les propos alarmistes tenus par les néo-démocrates. Cet accord n’enlève aucunement au Canada le pouvoir de légiférer dans des domaines comme l’environnement, la culture, la sécurité, la santé et la conservation, dont il faudrait d’ailleurs parler.
Cet accord crée un ensemble de règles claires en matière de commerce et d’investissement entre le Canada et la Chine. Il favorise les échanges commerciaux, stimule l’économie canadienne et fournit des emplois et des débouchés aux travailleurs canadiens. C’est un bon accord.
Elizabeth May : Monsieur le Président, laissez-moi reformuler ce que j’ai dit auparavant pour préciser très clairement que je crois également que le traité sur les investissements entre le Canada et la Chine sera une entrave pour les futurs gouvernements si nous ratifions les parties relatives à l’environnement, à la santé, à la sécurité et au travail.
Je passerai maintenant aux propos du député, qui a affirmé que j’étais une nouvelle venue dans cette enceinte. Je ne suis pas née de la dernière pluie. Je m’intéresse aux traités d’investissement depuis très longtemps.
Prenons le chapitre 11 de l’ALENA, qui était le premier accord de ce genre dans le monde. L’ALENA a bien sûr fait l’objet d’un vote parce que c’était un traité beaucoup plus grand et que beaucoup d’autres lois subsidiaires devaient être modifiées. Il est intéressant de signaler que, si le Canada se prévalait de la disposition de retrait de six mois pour se retirer de l’ALENA, il n’y aurait pas de protection des autres investissements. En ce sens, le traité sur les investissements entre le Canada et la Chine est très inhabituel parce qu’il entre en vigueur pour une période initiale de 15 ans puis, à la fin de cette période, les investissements chinois sont protégés pendant encore 15 ans.
Ce traité ne devrait jamais être ratifié. Le Canada devrait suivre l’exemple de l’Inde et de l’Australie et déterminer, au moyen d’une analyse coût-avantage, si ces traités valent vraiment la peine et s’ils protègent les intérêts du Canada.
Gerald Keddy : Monsieur le Président, je sais que je n’ai qu’une minute, alors je vais essayer de m’en tenir à quelques points importants et tâcherai notamment de rétablir les faits.
Je le répète: ce traité n’enlève aucunement — d’aucune façon que ce soit, en fait — au Canada le pouvoir de légiférer et de prendre des règlements dans des domaines comme l’environnement, la culture, la sécurité, la santé et la conservation. La députée a tout faux. Elle marche dans les traces du NPD, car elle aussi se met à tenir des propos alarmistes. C’est dommage que l’on doive subir pareils discours démagogiques, honnêtement.
Rien ne distingue cet accord des 24 accords sur la protection et la promotion des investissements étrangers que nous avons déjà signés avec d’autres pays. Il est similaire aux accords que bien des pays dangereux — du moins s’il faut en croire la députée —, comme la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et le Japon, ont déjà signé avec la Chine. Il n’y a rien de répréhensible là-dedans, puisqu’il s’agit, je le répète, d’établir les grandes règles qui guideront nos échanges commerciaux. Maintenant, tout le monde connaît ces règles, alors nos échanges n’en seront que plus équitables.