Elizabeth May : Monsieur le Président, je reviens sur une question que j’ai initialement posée à la Chambre des communes il y a quelques semaines. L’administration actuelle avait-elle légalement le droit de fermer des bibliothèques et de se départir de collections?
Les reportages à ce sujet sont profondément troublants. Il a par exemple été question de l’Institut des eaux douces, à Winnipeg, qui hébergeait des bibliothèques de Pêches et Océans. Les médias se sont particulièrement intéressés à ce cas. La population en a été scandalisée, et le milieu de la recherche a exprimé des réserves.
Selon les sites du gouvernement, la fermeture des bibliothèques ferait suite à la numérisation des collections. On passe ainsi à l’ère moderne: il n’est plus nécessaire de consulter de documents papier, de livres et ainsi de suite puisqu’on peut effectuer des recherches sur Internet. La nouvelle n’a pas fait beaucoup de vagues.
C’est seulement lorsque les rayonnages ont été physiquement démantelés, et que les personnes qui avaient emprunté un livre voyaient qu’on ne le leur réclamait plus, que la population a pris conscience que, d’un bout à l’autre du pays, les bibliothèques du ministère des Pêches et des Océans étaient en train de disparaître. En fait, selon ce que nous ont dit certains témoins oculaires, les ouvrages étaient jetés dans des bennes à ordures. De nombreuses personnes, inquiètes de savoir ce qui allait arriver aux ouvrages du ministère, se sont rendues sur place, par exemple à l’Institut des eaux douces, pour mettre la main sur des livres gratuits, ou simplement pour les sauver de la destruction.
Quelqu’un que je connais et qui travaille pour l’ONG manitobaine Manitoba Wildlands a vu un entrepreneur privé, qui travaille notamment pour Manitoba Hydro, ramasser une grande quantité de livres qui avaient pourtant été achetés pour et par les contribuables canadiens. Aujourd’hui ces livres se retrouvent entre les mains de particuliers, puisque, avant d’être démantelées, on s’aperçoit que les bibliothèques ont été pillées.
Ces histoires ont piqué ma curiosité. Je me suis sentie interpellée. Je savais que les bibliothèques du Service canadien des forêts avaient été fermées. Je savais aussi, parce qu’un ancien aménagiste à la retraite me l’avait dit, que les livres ayant appartenu à une bibliothèque de Victoria disparaissaient eux aussi. Les gens étaient très inquiets.
En entendant parler de ces histoires de fermeture de bibliothèque qui se multipliaient, je me suis dit que ce n’était sûrement pas légal. Après tout, il s’agissait de documents assemblés pour la population canadienne, et que celle-ci avait payés de sa poche.
J’ai donc fait des recherches. La question que j’ai posée à la Chambre faisait valoir que la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada prévoit un ensemble de procédures bien précises. Si les documents sont considérés comme étant des archives publiques — une définition qui aurait certainement pu s’appliquer aux documents des bibliothèques du ministère des Pêches et des Océans, notamment aux données brutes et aux études qui ne sont pas publiées en plusieurs exemplaires —, ces documents ne peuvent pas être détruits sans la permission écrite du bibliothécaire et archiviste du Canada. Pour ce qui est des documents appelés « publications », en plusieurs exemplaires, la loi est fort claire: même lorsque les documents sont en surplus, le bibliothécaire et archiviste a la garde et la responsabilité de ceux-ci et ne peut s’en défaire qu’après mûre réflexion.
D’ailleurs, en poussant mes recherches, je me suis rendu compte que le traitement réservé aux documents ne violait pas seulement la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada, il violait aussi la Loi sur les biens de surplus de la Couronne.
J’ai appelé le bibliothécaire et archiviste du Canada. Il m’a dit qu’il n’avait donné aucune autorisation écrite pour l’élimination de documents. Par conséquent, si des documents ont été détruits, c’était illégal. En ce qui concerne les dispositions sur la garde et la responsabilité des documents, les rapports des témoins laissent entendre qu’on en a tout simplement fait fi. On a présumé que le gouvernement en place avait le pouvoir d’éliminer le patrimoine documentaire du pays. « Patrimoine documentaire », c’est l’expression utilisée dans la loi.
Je maintiens que c’était illégal. J’aimerais avoir une réponse claire du gouvernement.
Kellie Leitch : Monsieur le Président, je suis ravie d’être ici ce soir. Voilà quelque temps que je n’avais pas pris part au débat sur la motion d’ajournement.
Je tiens à être très claire. Ce que la députée a dit est absolument faux. Cette question m’interpelle, parce que les fonctionnaires des quatre coins du pays prennent grand soin des documents que non seulement les députés, mais aussi le public peuvent consulter.
Pour répondre à l’une des questions de la députée d’en face, les originaux ont été et seront conservés.
En ce qui concerne les documents que nous avions en double, certains ont peut-être été mis à la disposition du public, et nous nous sommes débarrassés d’autres documents dans le respect de l’environnement, comme nous l’avons déjà souligné à la Chambre.
L’information qui se trouvait dans les bibliothèques est encore disponible en ligne. Nous sommes à l’ère numérique. Nous sommes ravis que les bibliothèques de partout au pays aient été en mesure de numériser de nombreux documents que les Canadiens peuvent désormais consulter en ligne. Les Canadiens y ont donc encore plus facilement accès.
J’ai grandi dans le Nord du Canada, et je ne savais pas que nous avions accès aux archives ou aux bibliothèques nationales dans les grands centres. À Fort McMurray, en Alberta, on trouve maintenant ces grandes inventions que l’on appelle « ordinateurs », lesquelles nous permettent de consulter tout ce qu’on veut en ligne. On peut d’ailleurs consulter en ligne partout au Canada, ce qui est merveilleux.
Je suis donc très heureuse que davantage de Canadiens aient accès à ces renseignements, et ce, de façon responsable, soit dans le respect de l’argent des contribuables.
Elizabeth May : Monsieur le Président, je suis moi aussi contente de revoir la ministre au débat sur la motion d’ajournement. Je dois cependant dire que la réponse que j’ai obtenue ce soir n’était pas davantage satisfaisante.
Qu’on me permette, pour la gouverne de la Chambre, de commencer par lire l’article 16 de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada. Le voici:
Par dérogation à la Loi sur les biens de surplus de la Couronne, les publications en surnombre dont n’a plus besoin une institution fédérale sont placées… |
— « sont placées », et non « peuvent être placées »; il s’agit donc d’une obligation —
[…] sous la garde ou la responsabilité de l’administrateur général. |
D’après les témoins qui ont assisté à la destruction de ces bibliothèques, rien ne permet de croire qu’on a procédé à quelque inventaire que ce soit. Aujourd’hui, bon nombre des ouvrages restants ont été acheminés à l’Institut des sciences de la mer, qui — coïncidence — est situé dans ma circonscription, sur le chemin West Saanich, mais on n’y a pas encore accès. Ils sont encore comme qui dirait dans leur sarcophage.
Nous ignorons ce qui a été détruit. Le gouvernement a l’obligation de protéger le patrimoine documentaire des Canadiens. On peut dire que, dans ce cas-ci, il a failli à la tâche.
Kellie Leitch : Je l’ai dit et je le répète, monsieur le Président: ces accusations sont infondées. Les documents originaux ont été préservés et ils vont continuer de l’être.