Bloquer les Verts pour qu’ils posent des questions pendant la PQ est anti-démocratique

2021-02-16 13:23 [p.4121]

Madame la Présidente, j’interviens aujourd’hui pour soulever une question de privilège. Je vais tenter d’être aussi brève que possible. La question est extrêmement importante. Je crois qu’elle est importante pour l’ensemble des députés, peu importe leur allégeance politique. Compte tenu des contraintes de temps et de la difficulté de passer du canal anglais au canal français pour l’interprétation, je m’excuse à l’avance auprès de mes collègues francophones, car je vais intervenir uniquement en anglais pour aller plus vite. Je vais tenter d’être concise.

Je soulève la question de privilège. Bien entendu, en l’occurrence, il ne faut pas comprendre ce terme selon son sens classique, mais au sens de nos droits à titre de députés: notre droit de prendre la parole, notre droit de débattre et notre droit de voter. Lorsqu’on porte atteinte à ce privilège et à nos droits, le Président a le devoir solennel de protéger ces droits.

Selon la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes de Bosc et Gagnon, c’est au Président que revient d’interpréter ces règles avec impartialité, de maintenir l’ordre et de défendre les droits et les privilèges des députés, dont le droit à la liberté de parole.

Le privilège que j’estime être violé est celui de la participation à la période des questions. Le rôle de chaque député dans une démocratie responsable consiste en partie à demander des comptes au gouvernement. Or, l’une des façons de le faire, notamment durant la période des questions, est de poser des questions.

Ce privilège a été violé récemment par le refus de laisser aux députés des petits partis ou aux députés indépendants la possibilité de poser des questions les mercredis, qui se trouvent les seules journées au cours desquelles le premier ministre répond à toutes les questions.

Pour que ce soit bien clair pour vous, madame la Présidente, je tiens à préciser que nous demandons à la présidence de confirmer ce qui a toujours été le cas, à savoir que les députés du Parlement, qu’ils appartiennent à de grands partis ou à des petits, ont le droit de poser des questions à la période des questions et que la décision des grands partis de nier le droit des députés des petits partis ou des députés indépendants de poser des questions les mercredis est injustifiée; nous lui demandons également d’ordonner aux grands partis de nous rencontrer et de discuter avec nous afin de trouver une solution satisfaisante pour tous, parce que je crois que nous pouvons trouver un terrain d’entente.

J’ai soulevé la question auprès de la présidence il y a plus d’un an. Après les élections de 2019, les circonstances ont changé et, soudainement, il n’a plus été possible de poser des questions les mercredis. J’ai l’honneur de servir dans cette enceinte depuis 2011 et, depuis mon premier jour ici, la période des questions a toujours été partagée de façon équitable avec ceux d’entre nous qui ne sont pas membres de partis reconnus. En 2011, il y avait deux partis non reconnus: le Bloc québécois et le Parti vert. Nous avions la chance d’être cinq députés appartenant à ces partis et, comme il y a cinq jours dans une semaine, chacun de nous pouvait poser une question par semaine.

Avec les changements apportés, j’ai posé ma dernière question le 4 février et je poserai la prochaine le 8 mars. Nous savons ce qui a changé: le premier ministre s’est permis de changer la coutume, il a décidé de répondre à toutes les questions les mercredis, peu importe le rang des partis auxquels appartiennent les députés qui posent ces questions. Or, les grands partis ont décidé de se prévaloir de toutes les possibilités qui peuvent alors se présenter.

Nous nous sommes plaints auprès de la présidence, qui nous a invités à parler de la question avec les autres leaders à la Chambre parce que la décision ne lui appartenait pas. J’ai parlé avec la députée de Portage—Lisgar, ensuite avec ceux de La Prairie et de New Westminster—Burnaby; et, naturellement, avec le leader du gouvernement à la Chambre. J’ai fait quelques autres démarches. J’ai parlé avec le député de Louis-Saint-Laurent, qui a abondé dans le même sens que la députée de Portage—Lisgar. Je n’insisterai pas sur les détails, mais je dirai que rien de satisfaisant n’est ressorti de toutes ces discussions, même si elles ont été amicales. Nous n’avons fait aucun progrès. En fait, aucune explication ne nous a été donnée sur les raisons pour lesquelles il a été décidé que nous n’aurions jamais, au grand jamais, la permission de poser une question au premier ministre les mercredis.

Les choses se sont clarifiées. On pourrait dire qu’elles se sont « cristallisées » récemment lorsque le député de Burnaby-Sud a été interviewé par Mme Althia Raj du Huffington Post. C’était peut-être davantage une réponse donnée lors d’une conférence de presse qu’une vraie entrevue, mais le député a déclaré à ce moment-là qu’il trouvait normal que les députés d’un parti officiel posent des questions. Il a ajouté que l’idée d’avoir quatre périodes destinées aux députés des partis non reconnus et aux députés indépendants avait été avancée pour répondre à la volonté populaire et qu’on estimait qu’un parti officiel dispose de certains moyens qui lui permettent de mieux donner suite à la volonté populaire que des députés indépendants et qu’il abondait dans ce sens. Heureusement, il a terminé en déclarant qu’il y « réfléchirait ».

J’espère vraiment que telle n’est pas la position officielle du Nouveau Parti démocratique. Ce n’est pas de cette façon que le député de New Westminster—Burnaby s’est exprimé devant moi.
La députée de Vancouver-Granville s’est fait élire comme indépendante. Ainsi, elle ne devrait jamais être autorisée à poser une question au premier ministre ou il devrait en être de même pour moi en qualité de députée de Saanich—Gulf Islands. Je doute fort que cela soit la volonté populaire.

En raison de notre système électoral et de l’effet pervers du système uninominal majoritaire à un tour, le Parti vert du Canada, qui a obtenu près de 1,2 million de votes au Canada, soit seulement environ 100 000 votes de moins que le Bloc québécois, n’a que trois sièges à la Chambre, alors que le Bloc en a 32. Là n’est pas l’objet de notre débat, mais cela ne veut certainement pas dire que nous n’avons pas de droits pour autant.

Il y a très, très longtemps, la Chambre a adopté la règle voulant que les partis avec plus de 12 députés et ceux avec moins de 12 députés ne reçoivent pas le même traitement. J’ajouterai une parenthèse pour dire que nous sommes le seul pays doté du régime parlementaire britannique de Westminster où les petits partis ne sont pas traités sur un pied d’égalité avec les grands. Depuis l’adoption de cette loi en 1963, la présidence, à commencer par le Président Macnaughton, a reçu des plaintes de temps à autre de la part des petits partis. Je passe directement à une décision rendue par le Président Jerome dans laquelle il déclarait très clairement: « […] ils ont le droit de participer à la période des questions […] ». Cette décision figure dans les délibérations du 6 novembre 1979, publiées dans le hansard.

Nous pouvons regarder également une décision très détaillée concernant une plainte du Bloc québécois rendue par le Président John Fraser, le 24 septembre 1990: « […] j’ai comme votre Président une certaine discrétion concernant les droits de chaque personne dans cette Chambre qui est en minorité. Nous avons, je pense, une grande tradition de protéger les droits des minorités […] ». Il a constaté que le Bloc a subi une perte pour les fonds de recherche, mais il a établi très clairement qu’il est important d’observer que cette décision ne réduit en rien la capacité de ces députés de participer pleinement aux travaux de la Chambre. Il a également déclaré que les droits de ces députés à la participation doivent être protégés entièrement en conformité avec la procédure et nos règles.

Enfin, je voudrais attirer l’attention de la Chambre sur une décision de 1994. Certains d’entre nous sont assez âgés pour se souvenir du profond bouleversement qui s’est produit lors des élections de 1993. Soudainement, des partis n’ont plus été reconnus. Par exemple, il n’y avait plus que deux députés conservateurs et neuf députés néo-démocrates. Il y a aussi eu la montée de partis bénéficiant du système uninominal majoritaire à un tour, soit un parti régionaliste ou, dans le cas du Bloc québécois, un parti séparatiste.

Le Président, en l’occurrence le Président Parent, a à l’époque examiné la plainte du Nouveau Parti démocratique. Voici ce qu’il a dit:
[…] un député d’un parti non reconnu a obtenu la parole pratiquement à tous les jours durant la période réservée aux déclarations de députés et, en moyenne, à tous les deux jours durant la période des questions orales. La Chambre peut être assurée que moi et mes adjoints nous engageons à faire tout en notre pouvoir pour favoriser une participation active et équitable de chaque député aux travaux de la Chambre.

Le député qui avait soulevé la question était un grand parlementaire et un ami cher, Bill Blaikie, alors député de Winnipeg—Transcona et dont le fils est maintenant le député d’Elmwood—Transcona.

Je tiens à préciser l’objet des requêtes de Bill Blaikie, car je ne demande pas la même chose. Il a fait deux requêtes et a obtenu la moitié de ce qu’il voulait. La première requête était de changer l’attribution des sièges pour que les députés des partis non reconnus puissent s’asseoir ensemble et être reconnus comme députés d’un parti officiel du Canada, comme le Nouveau Parti démocratique, le Parti vert ou le Bloc, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Dans ce cas-là, il s’agissait de reconnaitre que les deux députés du Parti progressiste-conservateur devaient s’asseoir ensemble. Daniel Blaikie a obtenu ce qu’il voulait, sur ce point.

Il a aussi demandé que ces députés soient traités comme un parti d’opposition pendant la période des questions et qu’ils soient reconnus au début de cette période. C’est sur ce point qu’il a échoué. Au nom des députés, il s’est plaint qu’on « ne [leur] donn[ait] la parole que très rarement, on refus[ait] systématiquement de [leur] permettre de poser des questions supplémentaires et on [leur] laiss[ait] toujours la dernière question. »

Je veux être très claire: je ne remets pas en question la place que nous occupons à la période des questions. Nous sommes autorisés à poser la toute dernière question. Toutefois, on devrait nous reconnaître en toute justice la possibilité d’occuper tour à tour cette dernière place.

En terminant, je dirai ceci: il existe des tendances de fond dans notre démocratie parlementaire et, depuis 1860, la tendance au Parlement a été d’accroître le pouvoir des partis politiques, les plus grands augmentant leurs pouvoirs au détriment des plus petits et même des simples députés. Comme l’a fait valoir courageusement le regretté député Mark Warawa, un ami de beaucoup d’entre nous, lorsqu’il s’est plaint que le whip de son parti avait retiré la question qu’il avait posée en vertu de l’article 31 du Règlement, les grands partis exercent plus de pouvoir sur leurs propres députés et les privent de leurs droits, et les grands partis continuent d’exercer plus de pouvoir sur les petits partis.

Je remarque également que ces tendances ne se reflètent pas souvent dans des votes. L’accident survenu un jour devient une coutume le lendemain, ensuite une tradition et finalement une règle. Il est donc très important de sonner l’alarme maintenant et d’affirmer, à la lumière de commentaires peut-être spontanés du député de Burnaby-Sud, que nous avons tous très clairement des droits en cet endroit.

La théorie, qui remonte au pré de Runnymede il y a 800 ans, veut que tous les députés du Parlement soient égaux et que le premier ministre soit simplement premier parmi ses pairs. Les choses ont changé depuis, mais nos électeurs demeurent tous égaux. Ainsi, les citoyens de Saanich—Gulf Islands sont les égaux des citoyens de Papineau. Les citoyens de Vancouver Granville sont les égaux de ceux de Burnaby-Sud. Tous nos concitoyens méritent que leurs députés aient tous les moyens voulus pour poser les questions qu’ils désirent au premier ministre. Parce que le premier ministre a choisi les mercredis, les autres partis ne veulent pas nous laisser poser des questions. C’est inacceptable. C’est injuste. C’est une violation de nos règles et de nos traditions.

Naturellement, nous savons que cette tendance deviendra une tradition. Un jour, un premier ministre dira qu’il ne se présente que les mercredis et que c’est ainsi. Le premier ministre ne répond aux questions que les mercredis et c’est ainsi.

Il faut tirer une ligne et déclarer que la période des questions fait partie de nos droits fondamentaux. Elle fait partie des privilèges que nous avons en qualité de député pour défendre les intérêts de nos électeurs et obtenir des comptes du gouvernement. Nous ne pouvons pas rester vagues à cet égard. Nous ne pouvons pas dire que c’est ainsi pour l’instant ou que ce n’est qu’une question d’organisation.

Je vous demande, madame la Présidente, et je demande à tous les Présidents, à tous les vice-présidents et à leurs conseillers juridiques d’établir très clairement pour les fins du compte rendu que les députés indépendants sont égaux à tous les autres députés du Parlement et aux députés des partis non reconnus, comme le Parti vert du Canada. Ce qui monte redescend et vice versa. Les néo-démocrates feront peut-être de nouveau partie de cette catégorie un jour, tout comme les conservateurs. Je leur demande de défendre nos droits maintenant. Ils seront les droits des autres un jour.