Je vais vous faire une confidence : je ne me débarrasse jamais d’un dossier. La nuit dernière, j’ai retrouvé l’étude d’impact environnemental de la toute première évaluation environnementale à laquelle j’ai eu l’honneur de participer. L’évaluation environnementale du projet d’énergie hydroélectrique de Wreck Cove m’avait été transmise par la poste le 28 avril 1977. Ainsi, je cumule 35 années d’expérience sur le processus d’évaluation environnementale.
À l’époque, le « processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement » découlait d’un décret sur les lignes directrices du Conseil privé. Il y avait une divergence d’opinions quant au caractère obligatoire ou interprétatif de ce décret, une situation mise en évidence par le jugement de la Cour fédérale dans l’affaire des barrages Rafferty-Alameda. En 1988, j’avais démissionné de mon poste après que mon patron, le ministre de l’Environnement Tom McMillan, ait accordé une série de permis pour le projet sans évaluation environnementale préalable. Cet incident était d’ailleurs à l’origine de l’arrêt-clé rendu par la Cour fédérale.
Avant ma démission, nous avions déjà entrepris d’explorer les différentes avenues pour faire adopter une loi claire et efficace afin d’encadrer le processus d’évaluation environnementale. En qualité de conseillère principale en politiques du ministre fédéral de l’Environnement, j’avais piloté le livre blanc dans le dédale administratif du Bureau du Conseil privé pour obtenir la permission de rédiger ce qui allait devenir la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE).
J’ai vécu le processus laborieux de faire entrer le Canada dans le 20e siècle au chapitre du droit environnemental (j’ai bien dit le 20e siècle). La LCEE n’a jamais reçu d’éloges sur la scène internationale de la part des écologistes. Au contraire, elle était dès le départ criblée de concessions avantageuses pour l’industrie.
La réalisation d’une évaluation environnementale dès les premières étapes d’un projet est un outil de planification incontournable. Des dizaines de milliers de projets canadiens ayant fait l’objet d’une évaluation, la majorité a pu bénéficier d’améliorations en cours de route. En tout, 99 % de ces projets ont reçu le feu vert, quoique dans bien des cas des modifications ont dû être apportées pour réduire leur impact sur l’environnement.
Mais les conservateurs de Harper ont fait de la LCEE leur bouc émissaire par excellence pour les retards. Les retards? Quels retards? C’est un scandale que notre approche limitée et exagérément prudente de l’évaluation environnementale – incontestablement plus frileuse que celle des États-Unis – soit encore trop contraignante pour Harper.
D’abord, les conservateurs de Harper ont affaibli l’évaluation environnementale par le truchement de la loi budgétaire omnibus de 2010 avec l’exemption des projets énergétiques du processus d’évaluation environnementale, puis ils ont amputé le budget de la LCEE de 40 %.
Cette semaine, le Comité permanent de l’environnement a publié un ensemble de recommandations prédéterminées visant à diluer ce qui subsiste encore de l’évaluation environnementale. La LCEE exige la tenue d’un examen parlementaire des « dispositions et des opérations de la Loi » tous les cinq ans. En 2000, l’examen a duré plus d’un an. Des audiences ont eu lieu dans l’ensemble du pays. Le processus commencé en janvier 2000 a pris fin en mars 2001. Cette fois, le Comité a mis un terme à l’examen après avoir entendu les témoignages d’experts pendant à peine neuf jours. Faites le calcul : tandis que le gouvernement précédent avait examiné la Loi pendant 15 mois, les conservateurs n’ont même pas daigné lui accorder 15 jours. Plusieurs intervenants qui avaient été invités à témoigner se sont heurtés à des portes closes. À l’époque, j’ai cru que le Cabinet du Premier ministre avait donné pour instruction aux conservateurs, qui contrôlent le Comité, de produire un rapport sur le champ dans le but de mettre fin au processus. C’est exactement ce qu’ils ont fait.
Je crains désormais que ces changements – le retrait du champ d’application de la LCEE de tout territoire de compétence doté d’un processus d’évaluation environnementale « équivalent », l’élimination de l’obligation d’examiner des solutions de rechange, l’établissement d’échéances fermes pour le processus d’évaluation, l’octroi au ministre de pouvoirs supplémentaires, la « rationalisation » des consultations auprès des Premières Nations – ne soient autant de clous dans le cercueil de la LCEE.
Après avoir travaillé pendant 35 ans pour mettre au point le processus d’évaluation environnementale, je regarde à présent le gouvernement actuel affaiblir le processus à un point tel qu’il n’est même plus l’ombre de ce qu’il était en 1977. Aucun gouvernement n’a reçu le mandat de démanteler le droit environnemental. Aucun gouvernement n’a reçu le mandat de détruire notre monde naturel.