En conclusion, monsieur le Président, je souhaite mettre en avant un ultime argument pour vous convaincre de rejeter le projet de loi C-38, qui contrevient au Règlement de cette Chambre. Le voici: il met en péril le respect de la personne morale de cette institution.
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Je me souviens des propos du regretté James Travers, un grand journaliste canadien. Au printemps 2009, nous avons tous deux participé à l’émission Sunday Edition diffusée sur les ondes de la CBC dans le cadre d’une discussion qui portait sur les menaces pesant sur nos institutions démocratiques. Selon lui, nous n’avons plus réellement de démocratie au Canada. Quiconque visite Ottawa y trouvera un parc thématique sur la démocratie. Les bâtiments sont toujours là et il est possible de visiter le Parlement, mais la démocratie n’y est plus.
Je refuse de croire que c’est le cas. Je suis consciente que la démocratie n’est pas nécessairement une entité permanente. On peut y accéder, comme l’on fait plusieurs peuples lors du printemps arabe, et on peut la perdre, soit en raison de violence, soit par négligence. Toutefois, elle ne peut pas survivre si l’on ne veille pas constamment à éviter les abus de pouvoir. Elle a besoin d’ouverture. Les actions menées dans le secret minent inéluctablement le respect qu’éprouve le peuple à l’égard de ses institutions démocratiques. De la lumière jaillit la vérité. Pour que la tradition de la démocratie parlementaire de Westminster soit respectée, il importe de présenter et d’étudier séparément la multitude de mesures législatives sans aucun lien entre elles contenues dans le projet de loi C-38 et de mettre en lumière les dispositions propres à chacune.
Permettre que le projet de loi C-38 soit présenté comme un projet de loi omnibus ne fera qu’accroître le discrédit qui pèse sur nos institutions.
La vaste majorité des médias populaires perçoivent le projet de loi C-38 comme étant une imposture. Je citerai quelques commentateurs politiques de renom.
Andrew Coyne a écrit que le projet de loi C-38 « […] est loin d’être un projet de loi budgétaire, malgré son titre ». Selon lui, ce n’est certes pas la première fois qu’un projet de loi d’exécution du budget comporte des dispositions portant sur des questions non budgétaires, mais dans le cas du projet de loi C-38, « l’ampleur et la portée atteignent un niveau encore jamais vu, ou permis. On n’y trouve aucun fil conducteur, aucun principe fondamental commun; il ne s’agit pas d’un seul instrument législatif, mais d’un amalgame de mesures législatives obligatoires ».
John Ivison, du National Post, en soulignant qu’on invoque l’urgence de faire approuver les projets pour justifier le projet de loi omnibus, affirme:
[…] il n’y a pas « urgence » au point de justifier le recours à des moyens détournés pour contourner 145 années de tradition parlementaire […] Quelqu’un, au sein du Cabinet du premier ministre, a pris la décision de concentrer le plus grand nombre de mesures législatives controversées possibles dans un gigantesque projet de loi afin de minimiser les répercussions politiques. C’était une décision stupide, qui a explosé au visage des conservateurs […]. La chose a été dénoncée par tous, à l’exception de leurs partisans les plus aveugles.
Terry Glavin a écrit dans l’Ottawa Citizen:
Le projet de loi C-38 […] est une chose incroyable. On prétend qu’il s’agit d’un projet de loi d’exécution du budget, mais il n’en est rien. C’est un mastodonte législatif qui vise à proposer, modifier ou abroger près de 70 lois fédérales. Ce projet de loi omnibus a été présenté à la Chambre des communes sous une forme qu’on n’a probablement jamais vue dans l’histoire parlementaire récente du Canada.
Juste ce week-end, Dan Gardner a publié ceci dans l’Ottawa Citizen:
[…] le projet de loi mammouth C-38 présenté par le gouvernement est censé être, en principe, le projet de loi d’exécution du budget, mais il s’agit en réalité d’un grand nombre de mesures législatives qui n’ont rien en commun, et qui n’ont rien à voir avec le budget. Le fait de rassembler en un seul projet de loi la majorité du programme législatif du gouvernement garantit que le niveau d’étude des mesures législatives demeurera minimal, ce qui cadre avec le fait que le gouvernement impose un nombre sans précédent de motions d’attribution de temps et de clôture pour étouffer le débat parlementaire.
En tant que parlementaires, nous devons servir de remparts contre les abus de pouvoir, même dans le contexte d’un gouvernement majoritaire. Nous avons pour seule protection nos traditions, le Règlement, les précédents et notre respect à leur égard. Notre seul espoir, c’est un juge impartial. Monsieur le Président, je vous demande, sans peur ni faveur, sine timore aut favore, de rendre une décision juste, de protéger la démocratie parlementaire fondée sur le modèle de Westminster, de rétablir la confiance du public en nos institutions, et d’ordonner, conformément à notre Règlement, le retrait du projet de loi C-38, présenté sous une forme imparfaite.