Durban et les prochaines étapes

Je suis de retour chez moi, en sol canadien, depuis déjà quelques semaines, heureuse de célébrer Noël à Sidney, mais également très troublée par la décision du premier ministre Harper de rejeter officiellement le Protocole de Kyoto. Bien entendu, l’essentiel de la couverture médiatique canadienne portait sur le rôle du Canada à Durban, pas sur les résultats.

Pour tenter de mieux saisir l’attente angoissée du dénouement des négociations, jetez un coup d’œil à cette photo (elle n’est pas de moi) prise aux petites heures le dimanche 11 décembre alors que deux semaines de négociations, ainsi que trois jours et trois nuits de pourparlers, ne tenaient plus qu’à un fil.

Depuis 2005, les négociations sur le climat se sont toujours déroulées sur deux voies – les décisions encadrées par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de 1992 (également appelée Action concertée à long terme) et celles encadrées par le Protocole de Kyoto de 1997. La principale différence entre les deux voies est que les États-Unis sont signataires de la CCNUCC de 1992, mais pas de Kyoto. Toutes les autres nations sont regroupées au sein de Kyoto, mais les appuis pour une seconde période d’engagement ont faibli. Les sous-questions sont nombreuses – du fonds pour l’adaptation à la surveillance en passant par la comptabilité des changements au niveau de la couverture forestière. Les négociations sont en fin de compte très complexes. Mais ce serait une erreur de croire que le principal défi tient à la complexité du dossier. Le défi vient surtout de l’influence qu’exercent les grandes sociétés mondiales – le pétrole et le charbon – qui font obstacle au progrès.

Les gens parlent de « l’ONU » comme s’il s’agissait d’un édifice ou d’une bureaucratie. En fait, l’ONU c’est tout cela, mais dans les faits, ses rouages, tout comme ses lacunes, sont ceux d’un regroupement de nations qui, par définition, sont d’abord et avant tout des regroupements de gens.

Voilà à quoi ressemble l’ONU. Elle n’a rien d’institutionnel. Elle est inexorablement humaine. C’est ici que nous voyons le visage des principaux artisans du progrès (ou des fauteurs de trouble, tout dépendant de votre point de vue) après avoir été privés de sommeil pendant de longues heures.

Debout vous voyez la présidente de la Conférence, celle qui a présidé à toutes les délibérations, formelles et informelles, la ministre sud-africaine des Relations internationales, Maite Nkoana‑Mashabane. Sur sa gauche se trouve la ministre indienne de l’Environnement et négociatrice climatique en chef, Jayanthi Natarajan. Enfin, devant elle se trouve une femme blonde que l’on peut voir de profil, il s’agit de l’ancienne ministre danoise de l’Environnement, celle qui s’est battu en vain contre son propre premier ministre pour tenter d’éviter la catastrophe à la Conférence climatique de Copenhague. (Le dernier livre de William Marsden, Fools Rule: Inside the Failed Politics of Climate Change, publié par Knopf Canada, examine en détail les motifs qui ont fait dérailler la Conférence de Copenhague.) Connie Hedegaard a quitté la scène politique danoise peu de temps après la débandade de Copenhague pour relever un nouveau défi, celui de négocier le climat au nom de l’Union européenne (UE).

Cette image illustre bien le drame de notre avenir à l’égard de ces négociations : trois femmes qui travaillent en anglais, alors que ce n’est pas leur langue maternelle, et des casques de traduction abandonnés sur la table. À la fin, c’est la ministre brésilienne qui a trouvé les mots qui paveraient la voie à l’adoption de l’ensemble des accords (qualifiés de mots passe-partout par le magazine The Economist, qui n’avait pas tout à fait tort). Au lieu des accords « juridiquement contraignants » prévus par l’Action concertée à long terme (ACL), l’Accord de Durban établit que les engagements pris aux termes de l’ACL prendront la forme d’un « protocole, ou d’un autre instrument juridique, ou d’un autre résultat ayant une portée juridique. »

Certains ont dénoncé Durban comme étant un échec sur toute la ligne, tandis que d’autres parlent d’une percée historique. En vérité, Durban tient un peu des deux. Si la réduction de nos émissions ne tenait qu’à cette série d’accords, les chances de survie de la civilisation humaine seraient bien minces. Mais si les négociations n’avaient pas permis de faire quelques gains, nous aurions très peu d’espoir de réaliser des progrès dans l’avenir. Comme l’a mentionné Gwynne Dyer dans son analyse, Suicide Pact in Durban (http://gwynnedyer.com) [traduction] « Durban aurait pu être bien pire avec l’abandon complet du concept d’obligation juridique à l’égard de la réduction des émissions, même si l’issue est très, très décourageante. »

Ce que l’UE, les états insulaires à basse altitude, l’Afrique et les groupes écologistes voulaient était une seconde période d’engagement juridiquement contraignante aux termes de Kyoto. La seconde période d’engagement sous Kyoto était également un préalable absolu pour que la Chine, le Brésil et d’autres économies en plein essor prennent de nouveaux engagements dans la voie de l’ACL. Le leadership de l’UE a permis d’assurer la sauvegarde de Kyoto avec une seconde période d’engagement débutant le 1er janvier 2013, évitant ainsi de créer un vide entre les périodes de réductions prescrites par la loi.

La faille est évidente : des cibles de réduction de l’ordre de 20 % à 30 % en dessous des niveaux de 1990 d’ici 2020 applicables uniquement à l’UE et à une poignée d’autres nations – la Norvège, la Nouvelle‑Zélande et l’Australie.

Mais qu’à donc fait l’UE pour arracher cette seconde période d’engagement? Une décision dans la voie de l’ACL comprenant une série de réductions universelles (ayant une « portée juridique ») qui devront être négociées d’ici 2015 et entrer en vigueur d’ici 2020.

De toute évidence, c’est là qu’ont échoué les négociations. L’horizon 2015 est beaucoup trop éloigné et il sera trop tard pour agir, tandis qu’en 2020 il sera certainement trop tard pour éviter de dépasser les nombreux points de non-retour dictés par l’atmosphère, qui priveraient l’humanité de toute chance de survie. Voici les explications fournies à la BBC par le scientifique Michael Jacobs, professeur invité au Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment de Londres, Royaume‑Uni :

« L’accord en question ne nous a pas véritablement écartés de la trajectoire du 4 °C sur laquelle nous sommes lancés, mais en obligeant pour la première fois les nations à admettre que leurs politiques actuelles sont inadéquates et doivent être renforcées d’ici 2015, il a ramené l’objectif de 2 °C dans la sphère du possible.

« Il a également permis de rétablir le principe selon lequel la lutte contre les changements climatiques doit être encadrée par le droit international par opposition au droit national et au volontarisme. »

Quelles leçons pouvons-nous donc tirer de Durban? Que Kyoto conserve encore aujourd’hui toute son importance. Pour que les Canadiennes et les Canadiens fassent partie de la solution mondiale, nous devons annuler la lettre de préavis envoyée pour annoncer notre retrait de Kyoto, qui n’entrera en vigueur que le 31 décembre 2012. Il faut trouver le moyen de mobiliser un auditoire mondial pour tenir tête à l’industrie des combustibles fossiles. Il y a encore de l’espoir, mais avec tous les retards qui ne cessent de s’accumuler d’une année à l’autre, il ne reste pas beaucoup de temps. L’atmosphère ne négocie pas avec l’humanité. Le temps n’est pas notre allié.