Loi visant à combattre la contrefaçon de produits (le projet de loi C-8)

Elizabeth May : Monsieur le Président, je suis heureuse de parler du projet de loi, qui propose des changements radicaux aux dispositions sur la violation du droit d’auteur et aux droits de propriété intellectuelle au Canada.

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J’ai présenté, au comité, de nombreux amendements au projet de loi, et je regrette de dire qu’aucun d’eux n’a été adopté, ce qui est choquant. J’ai bien peur que ce soit devenu la coutume en raison — chose incroyable — de l’adoption simultanée de motions identiques dans 20 comités différents, motions qui visent à me priver de mon droit de présenter des amendements de fond à l’étape du rapport. Depuis que ce nouveau décret est en vigueur, pas un seul de mes amendements n’a été adopté aux nombreux comités auxquels j’ai participé. Cependant, je garde espoir qu’un jour, les efforts raisonnés que je déploie finiront par être bien accueillis.

Dans le cas du projet de loi C-8, comme je viens de le dire, nous apporterions des changements radicaux aux droits de propriété intellectuelle au Canada, et il s’agit peut-être des changements les plus draconiens que nous ayons vus au cours des 70 dernières années. D’autant plus que ces modifications seraient apportées sans consultation, étude ou justification adéquates.

En fait, un membre important du Barreau canadien, Howard Knopf, décrit ainsi, dans une manchette, l’effort de lutte contre la contrefaçon et les produits contrefaits: « La fausse crise des faux produits: une intervention parlementaire à la va-vite? »

Hélas, la violation du droit d’auteur est une réalité, et nous voulons assurer une protection. D’ailleurs, je suis entièrement d’accord avec tous les députés qui ont parlé de notre volonté de protéger les artistes, les innovateurs et les créateurs contre le piratage et le vol, en toute impunité, des produits de leurs efforts intellectuels. Toutefois, voici ce que nous craignons: le risque de créer de multiples infractions pour des délits relativement mineurs, de criminaliser des actes qui seraient normalement traités au civil et de créer de nouvelles accusations aux termes du Code criminel pour des infractions qui sont déjà visées par des mesures adéquates dans le code.

J’aimerais commencer par la question de l’atteinte à la vie privée, qui se trouve à l’article 59 du projet de loi C-8.

La définition d’« infraction » en vertu de la disposition du Code criminel qui porte sur l’écoute électronique serait modifiée pour y ajouter les infractions prévues et créées par le projet de loi C-8. Il importe de souligner que nous ne sommes pas encore saisis de cette disposition, parce que nous nous affairons à modifier une loi par la création du projet de loi C-8, mais nous ne songeons pas toujours à aller vérifier la loi qui en sera touchée. Or, je trouve qu’il est important que tous les députés examinent la disposition du Code criminel qui serait modifiée aux termes du projet de loi C-8.

Le projet de loi C-8, qui est censé porter sur le droit d’auteur et les marques de commerce, modifierait l’article 183 du Code criminel. Selon la définition qui figure à cet article, le terme « infraction » désigne, premièrement, la haute trahison, deuxièmement, l’intimidation du Parlement ou d’une législature, troisièmement, le sabotage, puis le faux ou l’usage de faux, les infractions séditieuses, le détournement, l’atteinte à la sécurité des aéronefs, les armes offensives, le manque de précautions, l’usage d’explosifs et ainsi de suite.

Je pense que même les députés qui n’ont aucune formation en interprétation des lois conviendront que cette catégorie d’infractions au Code criminel englobe des actes très graves et dangereux relativement auxquels il faut pouvoir recourir à l’écoute électronique. Or, le projet de loi y ajouterait des infractions concernant l’atteinte au droit d’auteur et aux marques de commerce. Selon le Parti vert, le projet de loi va trop loin.

Dès l’adoption du projet de loi C-8, quiconque travaille par exemple dans un milieu axé sur l’information qui ne représente pas le moindre danger pourrait donc se retrouver sur écoute. Pensons également au téléchargement accidentel, comme l’a mentionné le député de Timmins—Baie James, ou encore à la plupart des élèves du secondaire, qui violeraient la loi proposée à longueur de semaine sans pour autant que ce soit dans le but de s’enrichir, simplement parce qu’ils téléchargent illégalement le contenu d’un site Web.

Un avocat de renom dans ce domaine, Howard Knopf, n’a pas témoigné au comité, on le lui a refusé. Il a toutefois dit ceci: « L’influence des industries du cinéma et du disque sur le projet de loi est évidente. » Sinon, pourquoi voudrions-nous permettre à la GRC de mettre sur écoute les gens soupçonnés de téléchargement illégal?

Dans ce nouveau scénario — le meilleur des mondes issu du projet de loi C-8 —, bien des activités qui ne sont nullement considérées comme dangereuses d’ordinaire, pas même criminelles, constitueront alors une violation du droit d’auteur et seront érigées en infractions pénales. Par exemple, compte tenu de certaines dispositions du projet de loi, il est facile d’imaginer qu’une personne pourrait violer des droits d’auteur en faisant jouer des chansons lors d’une activité privée, comme un mariage; pensons aux animateurs qui font jouer des chansons lors de fêtes. Si le coeur leur en dit, les autorités pourraient alors mettre cette personne sous écoute.

Ces modifications ont une très grande portée. Je ne crois pas que les Canadiens connaissent les tenants et aboutissants du projet de loi C-8 ou savent que sa structure même embrouillera les choses et causera de la confusion.

Si, au titre du projet de loi C-8, on peut poursuivre au criminel les gens qui distribuent en toute connaissance de cause des copies d’une oeuvre protégée par des droits d’auteur, la mesure législative pourrait viser un jeune qui télécharge une oeuvre ou qui utilise des fichiers au moyen de BitTorrent. Certes, nous ne voulons pas encourager ces activités, mais la gravité des infractions criminelles envisagées et la capacité de mettre sur écoute les gens soupçonnés de pareilles infractions sont démesurées.

Les marques de commerce et le droit d’auteur sont des domaines complexes. Les gens qui travaillent dans ces domaines s’inquiètent aussi du fait que le projet de loi pourrait, involontairement, toucher les importations parallèles, aussi connues sous le nom de produits du marché gris. Il s’agit d’une zone nébuleuse. Les importations parallèles ne constituent aucunement une violation du droit d’auteur. Il ne s’agit pas de produits contrefaits ou obtenus grâce au piratage. J’ai trouvé un exemple simple en Nouvelle-Zélande pour illustrer ce qu’on entend par importation parallèle.

Certains concessionnaires automobiles de luxe de ce pays se rendent en Malaisie pour y acheter des Mercedes-Benz parce qu’elles y sont moins dispendieuses, puis ils les importent légalement en Nouvelle-Zélande et les vendent aux prix qu’ils veulent sur le marché néo-zélandais. Les gens qui se donnent la peine d’aller acheter des automobiles en Malaisie n’ont violé aucune loi et ils en tirent un bon profit.

Il est généralement reconnu que, grâce aux importations parallèles, les consommateurs ont plus de choix, la concurrence est accrue et les prix restent bas. Le projet de loi, dans sa forme actuelle, pourrait très bien, involontairement, toucher les importations parallèles, et non les importations de produits contrefaits ou les produits obtenus grâce au piratage. Du coup, les autorités auraient alors le droit de mettre sur écoute ces importateurs afin d’en apprendre davantage.

Le projet de loi comporte beaucoup de problèmes. C’est ahurissant qu’aucun effort n’ait été fait pour le rendre plus précis, étant donné que des modifications fondamentales à notre loi sur le droit d’auteur sont adoptées à toute vitesse sans prendre le temps nécessaire pour en évaluer toutes les répercussions.

Ma collègue de Hamilton a soulevé un point intéressant. Comment peut-on s’attendre à ce qu’un agent des services frontaliers ait une compréhension suffisante de ce domaine complexe du droit international sur le droit d’auteur pour faire la distinction entre une importation parallèle et un bien contrefait ou piraté? Même des spécialistes de ce domaine du droit seraient incapables de prendre sur place une telle décision à la frontière.

J’aimerais rapidement passer aux recommandations que Howard Knopf aurait faites s’il avait été autorisé à témoigner devant le comité. Je vais citer des extraits d’un article qu’il a écrit. La première recommandation était:

Les nombreux renvois qui visent apparemment à ne pas nuire à la fluidité des importations parallèles sont incompatibles et présentent des problèmes de rédaction pouvant s’avérer graves et nécessitant un examen plus approfondi. Le libellé du projet de loi devrait employer des termes déclaratoires appropriés indiquant clairement qu’à l’exception du régime sui generis d’importation de livres actuellement prévu à l’article 27.1 de la Loi sur le droit d’auteur, ni cette Loi ni la Loi sur les marques de commerce ne doivent, en aucune façon, restreindre l’importation, la distribution ou la vente de tout produit […]

La deuxième recommandation était:

La criminalisation de la violation du droit d’auteur et du droit relatif aux marques de commerce serait une erreur dommageable. L’ajout de sanctions pénales n’est pas nécessaire, et encore moins celui de dispositions autorisant l’écoute électronique ou la fouille sans mandat de voyageurs pour établir si leurs bagages […]contiennent des articles contrefaits.

La troisième recommandation était:

Le projet de loi ne devrait comprendre aucune disposition non essentielle à la lutte contre la contrefaçon […]

J’invite la Chambre à reconnaître que cette mesure législative aura très rapidement besoin d’importantes modifications.