Elizabeth May : Monsieur le Président, je suis très heureuse de pouvoir parler du projet de loi C-43 aujourd’hui, à l’étape de la deuxième lecture.
On dit que ce projet de loi vise à accélérer le renvoi de criminels étrangers. Si le débat portait sur le titre du projet de loi, je ne crois pas que nous aurions quoi que ce soit à redire. Je ne peux pas m’imaginer un seul Canadien qui ne soit pas d’avis que les étrangers qui sont de dangereux criminels devraient être expulsés du Canada.
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Toutefois, je suis surprise de voir à quel point les titres des mesures législatives récemment présentées à la Chambre depuis que je suis députée ont changé par rapport aux titres des mesures que j’ai déjà étudiées à l’école de droit. Autrefois, lorsqu’on ouvrait un recueil de lois, on remarquait, outre la poussière sur le volume, que le titre de la mesure législative n’était qu’une description générale de l’enjeu concerné. Il s’agissait, par exemple, d’une loi sur l’immigration et les réfugiés ou d’une loi concernant la Loi sur les pêches.
Maintenant, il semble que les titres proviennent de groupes de consultation qui mettent à l’essai des titres susceptibles d’être accrocheurs dans le cadre d’une campagne électorale, et c’est probablement le cas. En tant que personne qui a étudié les lois, je trouve cette tendance consternante. L’autre jour, en regardant une émission américaine intitulée The Newsroom sur la chaîne HBO, j’ai constaté que cette façon de faire a été inventée aux États-Unis par les républicains. Je ne regardais pas assez d’émissions de télé américaines pour savoir cela, jusqu’à ce que je regarde The Newsroom.
Pour revenir au sujet qui nous occupe, cette mesure législative, qui modifierait la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, est bien sûr valable si elle vise réellement à renvoyer les dangereux criminels étrangers qui n’ont pas le droit de séjourner au Canada.
Je soutiens qu’il faut trouver un juste milieu. Nous ne voulons pas que les dangereux criminels étrangers qui n’ont pas le droit d’être au Canada séjournent chez nous et menacent des Canadiens qui ont parfaitement le droit d’être ici. Cependant, nous reconnaissons que la Charte canadienne des droits et libertés garantit des droits tant aux citoyens canadiens qu’aux résidents permanents. Dès lors, la question est de savoir si nous avons trouvé le juste milieu. Protégeons-nous les résidents permanents qui ne constituent pas une menace pour notre société ou seront-ils visés par le vaste et absolu pouvoir discrétionnaire du ministre?
Des gens qui jouent un rôle important dans la société canadienne et qui y contribuent de façon positive risquent d’être victimes d’une grave injustice. Nous ne voudrions pas qu’ils soient emportés par une vague de renvois qui bafouent les droits individuels, ne tiennent pas compte des situations particulières, témoignent d’un manque d’humanité et de compassion, séparent les familles et entraînent toutes sortes d’autres conséquences propres aux préparatifs d’un renvoi.
Pour savoir si la mesure législative permet d’atteindre un juste milieu, je m’appuie sur des commentaires formulés récemment par des membres du Barreau canadien. Les propos de Mendel Green, avocat torontois, sont cités dans un article du Sun de Toronto. Voici ce qu’il a déclaré:
Je m’inquiète des conséquences monumentales que cette mesure législative aurait pour les immigrants si elle était adoptée […] Elle signerait l’arrêt de mort de bon nombre de gens.
Voici ce qu’a déclaré le représentant de l’association ontarienne des avocats de la défense, Joel Sandaluk, à la même conférence de presse:
Cette mesure détruira des familles établies au Canada depuis longtemps […] Elle entraînera une augmentation du nombre de criminels si des parents ou d’autres membres de la famille sont renvoyés du Canada.
J’ai d’autres citations d’avocats. Voici ce qu’a déclaré Guidy Mamann au sujet des résidents qui pourraient être emportés par la vague de renvois, sans possibilité d’interjeter appel et sans bénéficier du pouvoir discrétionnaire individuel:
Ce sont de jeunes enfants, arrivés au Canada en bas âge comme résidents permanents, élevés et scolarisés ici qui n’ont jamais demandé la citoyenneté […] Il est inadmissible qu’un pays comme le Canada, qui a toujours donné une deuxième chance, adopte maintenant une nouvelle approche consistant à les renvoyer à la première infraction.
Enfin, j’aimerais citer Andras Schreck, vice-président de la Criminal Lawyers’ Association de l’Ontario, qui a déclaré que, compte tenu de la façon dont il est rédigé, le projet de loi pourrait facilement viser des gens qui n’ont commis que des délits mineurs et entraîner leur expulsion. Il a dit ceci:
On ne parle pas de tueurs en série, d’assassins ou de voleurs de banque.
Regardons un peu le genre de personnes que le projet de loi pourrait viser et le genre de crimes qui auraient pour effet qu’une personne n’aurait pas de droit d’appel et serait simplement expulsée du pays. Il s’agit de crimes qui sont assortis d’une peine de six mois ou plus.
La loi actuelle utilise comme critère les crimes assortis d’une peine de deux ans ou plus. Si on réduit ce seuil minimal à une peine de six mois imposée pour un crime dont la peine maximale est de 10 ans, cette catégorie élargie inclura une variété de crimes qui ne mettent pas en danger la sécurité ou la sûreté des Canadiens. Autrement dit, on inclurait alors de nombreuses infractions criminelles qui ne comportent pas de risques de violence. Le nouveau projet de loi vise des personnes déclarées coupables et envoyées en prison pour six mois ou plus, mais il ne précise pas que le crime en question doit être violent ou menacer la sécurité du Canada.
Parmi les crimes pour lesquels un résident permanent pourrait être passible d’une peine allant de six mois à 10 ans qui entraînerait son expulsion, je mentionnerai ici la possession d’une carte de crédit volée ou contrefaite, l’utilisation d’une carte de crédit quand on sait qu’elle a été annulée, l’utilisation non autorisée d’un ordinateur, la contrefaçon et beaucoup d’autres infractions assorties d’une peine maximale de 10 ans. Dans ces situations, il n’y aurait aucun pouvoir discrétionnaire et aucune possibilité d’appel.
Je peux très bien imaginer une situation où un membre d’une famille, un des deux parents ou bien un jeune né au Canada dont les proches contribuent à la société canadienne ou appuient d’une façon ou d’une autre une famille canadienne, est déclaré coupable d’une infraction non violente et est condamné à une peine d’emprisonnement d’au moins six mois et d’au plus dix ans. Cette personne serait alors expulsée et elle n’aurait même pas la chance de plaider sa cause.
Permettez-moi de citer un autre avocat à cet égard. Je suis fière de dire qu’il a été choisi pour représenter le Parti vert dans la circonscription de Victoria en vue d’une élection partielle. Il s’appelle Donald Galloway. Il a fondé l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, et il enseigne le droit de l’immigration et des réfugiés à l’Université de Victoria. Lorsqu’il s’est penché sur la question, il a affirmé que l’article 34 actuellement en vigueur établissait un juste équilibre. Les tribunaux ont accepté la définition extrêmement large que le paragraphe 34(1) donne à la notion d’interdiction de territoire parce qu’ils ont estimé que le paragraphe 34(2) y faisait contrepoids.
Si le projet de loi C-43 était mis en oeuvre, il déstabiliserait complètement ce juste équilibre parce qu’il éliminerait l’examen individuel et personnalisé, au cas par cas, des dossiers. Or, cet examen est parfois guidé par des motifs d’ordre humanitaire lesquels offrent une protection contre la grande portée des raisons de sécurité qui donnent lieu à une interdiction de territoire aux termes du paragraphe 34(1). Au-delà des questions de compassion et d’équité, cette mesure législative mal conçue obligerait les tribunaux, comme ils l’ont déjà mentionné, à intervenir et à corriger les lacunes de la loi afin de pouvoir l’interpréter de manière à ce qu’elle respecte la Constitution, sans quoi, elle violerait la Charte.
Je parlerai maintenant d’une autre disposition de la loi que je trouve particulièrement scandaleuse. Cette disposition ne porte ni sur les criminels, ni sur les personnes qui sont déjà au Canada.
En vertu de l’article 8 du projet de loi, qui modifie l’article 22 de la loi actuelle, lorsqu’un étranger présente une demande de résidence temporaire au Canada, le ministre a le pouvoir discrétionnaire absolu de rejeter cette demande, et ce, sans aucun critère objectif mesurable. Voilà qui est très inhabituel. Le paragraphe 22.1(1), qui serait ajouté en vertu de l’article 8 du projet de loi C-43, stipule que « Le ministre peut, de sa propre initiative et s’il estime que l’intérêt public le justifie, déclarer que l’étranger […] ne peut devenir résident temporaire. » Une telle interdiction peut être imposée pour une durée allant jusqu’à trois ans.
Je sais de mon expérience en rédaction juridique et en interprétation de la loi du temps où j’étais à l’école de droit, que rien ne confère plus grand pouvoir de libre décision que la formule « le ministre peut, s’il estime que ». Aucun tribunal ne sera en mesure d’intervenir s’il n’aime pas la manière dont le ou la ministre exerce son pouvoir discrétionnaire. Je dis le ou la ministre, car cette disposition s’appliquera pour toujours. Je ne fais pas seulement allusion au ministre actuel. Ce changement modifierait la loi de façon permanente et dangereuse. Le projet de loi dit: « Le ministre peut, […] s’il estime que ». Et alors? Qu’estime le ministre? Le ministre estime que l’intérêt public le justifie. On ne pourrait imaginer une formule qui confère plus grand pouvoir discrétionnaire, sans aucune limite particulière. Quel genre d’intérêt public? Peut-être l’intérêt public pourrait-il être qu’une ville compte trop d’un certain type de personnes? Qui sait? Il n’existe aucun critère objectif.
J’espère que, lorsque le projet de loi sera étudié en comité, nous pourrons y rétablir l’équilibre qui est si fondamental.
En tant que chef du Parti vert, j’appuie non pas la rétention des criminels étrangers au Canada, mais la rétention de la Charte des droits et libertés au Canada.