Elizabeth May : Monsieur le Président, je prends la parole à l’étape du rapport du projet de loi C-38, un projet de loi qu’un grand nombre de mes collègues à la Chambre ont correctement qualifié d’affront à la démocratie.
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J’entends mon collègue dire que, pour une raison ou pour une autre, nous, qui siégeons dans l’opposition, devrions parler du contenu du projet de loi. Je propose qu’il en soit ainsi, mais je dois également signaler que c’est le rôle du Parlement du Canada d’étudier les mesures législatives. Ces études ne sont pas une simple entrave aux aspirations grandioses du conservateur qui gouverne le Conseil privé. Le Parlement a essentiellement pour fonction d’étudier les mesures législatives.
Dans le cas présent, nous sommes saisis d’un projet de loi de plus de 420 pages qui propose d’abroger ou de modifier plus de 70 lois. Nous sommes maintenant saisis de centaines d’amendements regroupés en 159 votes, mais nous savons que cette mesure législative ne sera pas étudiée comme il se doit.
Je vais commenter les modifications proposées à la partie 3 du projet de loi C-38, mais je signale que mes amendements portent aussi sur des modifications qui sont proposées à la partie 1, qui traite de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il s’agit de changements proposés à des fonctions importantes, par exemple, en ce qui concerne les diverses agences qui disparaissent, comme la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, changements qui ne se retrouvent pas à la partie 3, où l’on retrouve, en gros, les modifications aux dispositions environnementales enfouies dans le projet de loi C-38.
Bon nombre des changements proposés auront des répercussions négatives importantes et durables sur le Canada, la société canadienne, et même l’économie canadienne. Ce sont de faux discours.
Nous devons être prudents. Je fais rarement référence à la bible, mais il faut penser au salaire du péché. On entend toujours toutes sortes de beaux discours à la Chambre, et on nous promet que cette mesure sera une source d’excellents emplois et de prospérité. En exerçant notre droit d’examiner le projet de loi C-38, nous ne mettons pas l’économie en danger. Nous nous efforçons de protéger l’intégrité des institutions canadiennes et notre capacité d’établir des politiques qui permettent à la fois de protéger l’environnement et d’exploiter nos ressources.
C’est dans cet esprit que j’aimerais revenir à certains des témoignages que nous avons entendus. Je n’ai pas siégé au sous-comité des finances. Mais l’abrogation de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale est tout simplement effroyable. Cette loi est en place depuis 1993 et fonctionnait très bien, d’après des sources de l’industrie que j’ai déjà citées à la Chambre. Le projet de loi C-38 élimine la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale et la remplace par une toute nouvelle loi.
D’après les témoignages entendus au sous-comité des finances, cette nouvelle loi ne sera pas efficace. Elle ne sera pas efficace pour ceux qui veulent lancer des projets, ni pour les Canadiens, qui veulent prendre part au processus et avoir l’occasion de présenter leurs préoccupations. Elle ne sera vraiment pas efficace en ce qui touche les Premières nations, leurs droits inhérents et leurs droits issus de traités, que le gouvernement fédéral a l’obligation et la responsabilité fiduciaire de respecter, comme de nombreuses décisions juridiques l’ont clairement établi. La nouvelle loi ne sera pas non plus efficace plus l’industrie.
Il s’agit d’un tout nouveau cadre législatif que l’on propose sans un examen adéquat. Au total, nous avons eu moins de 14 heures d’audiences sur les modifications à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, la Loi sur les pêches, la Loi sur les espèces en péril et la Loi sur la protection des zones navigables. Je ne jette pas le blâme sur les gens des services juridiques qui ont rédigé le projet de loi, manifestement sans le temps et la préparation nécessaires. Les rédacteurs du projet de loi C-38 ont utilisé l’artillerie lourde pour s’attaquer aux lois et aux politiques environnementales qui ont bien servi le Canada pendant des décennies, et cette approche a réduit en cendres les lois et les politiques environnementales.
J’espère que les députés conservateurs étudieront la question les amendements que j’ai présentés aujourd’hui et qu’ils envisageront de voter pour afin que le projet de loi C-38 permette d’atteindre l’objectif qu’ils se sont eux-mêmes fixé: protéger l’environnement tout en favorisant le développement économique.
Dans certains cas, la soi-disant Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, telle qu’elle est proposée, ne définit pas ce qu’est un examen environnemental, ni ce qu’est une évaluation environnementale. Les conservateurs ont causé un tort tel au cadre législatif qu’il en résulte une profonde incertitude. À la lecture de la nouvelle Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, quiconque prépare un projet ne pourra dire à quoi elle s’appliquera ou non.
J’ai entendu les députés de Wellington—Halton Hills et de Dufferin—Caledon demander maintes fois, à la Chambre, la tenue d’une évaluation fédérale sur l’abominable projet de mégacarrière dans le canton de Melancthon, et je les en félicite. Cependant, si le projet de loi C-38 est adopté, nous devrions être sur nos gardes. Nous ne voudrions pas d’une évaluation fédérale. Ce serait la dernière chose que nous voudrions, parce que la seule chose que la commission d’évaluation environnementale pourrait examiner serait l’effet de la mégacarrière sur les poissons, les plantes aquatiques et les oiseaux migrateurs.
La mégacarrière menace essentiellement la nappe phréatique, les fermes avoisinantes et la fertilité des sols, qui sont parmi les meilleurs au monde. Personne ne peut cultiver de meilleures pommes de terre que ne le font les agriculteurs dans les terres du comté de Melancthon. Pourtant, si cette mégacarrière faisait l’objet d’une évaluation fédérale, cette évaluation se limiterait à l’incidence sur les oiseaux migrateurs et les poissons. Son effet serait comme un coup de massue.
Le témoin dont je veux citer les propos et dont le témoignage peut-être consulté dans le hansard se nomme Stephen Hazell. Il a fait partie du personnel juridique de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale et il a dit précisément que cette modification va conduire à une plus grande incertitude, de plus fortes pertes économiques et des erreurs dont nous devrons assumer les coûts pendant encore de nombreuses années.
Le chef national Shawn Atleo de l’Assemblée des Premières Nations a tenu les mêmes propos. Ces modifications vont conduire — ce sont ses propres mots — à de plus grands conflits, une plus grande incertitude, des différends devant des tribunaux et des conflits se traduisant par l’action directe. Si nous tenons à des processus démocratiques qui respectent tous les segments de la société, ce n’est pas ainsi que nous devrions procéder pour réaliser de nouveaux grands projets.
Je dois aussi, dans le peu de temps que j’ai, traiter des amendements que j’ai présentés, qui visent à réparer les dommages commis par ce coup de massue à la Loi sur les pêches, en particulier au paragraphe 35(1). Je sais qu’en s’adressant de nombreuses fois à la Chambre, le ministre des Pêches et des Océans a affirmé que les municipalités du Canada réclamaient ces modifications afin que, lorsqu’elles entreprennent des travaux municipaux, elles n’aient pas à se préoccuper de l’existence, dans les alentours, d’un habitat pour les poissons. Sa déclaration est infirmée par le vote tenu la fin de semaine dernière à Saskatoon quand la Fédération canadienne des municipalités, qui représente des centaines de municipalités, a adopté une résolution d’urgence demandant au premier ministre d’arrêter le processus, d’y repenser et de supprimer les modifications à la Loi sur les pêches.
Dans le même ordre d’idées, nous avons également obtenu l’avis de quatre anciens ministres des Pêches. Je peux mentionner leurs noms dans cette enceinte car ils ne siègent plus avec nous. Ils ont servi leur pays avec honneur et intégrité. Je parle de l’honorable Tom Siddon, de l’honorable John Fraser, de l’honorable Herb Dhaliwal et de l’honorable David Anderson, quatre anciens ministres des Pêches.
Ce n’est pas le fait du hasard que je sois ici en tant que la seule dirigeante d’un parti politique fédéral issu de la Colombie-Britannique. Je fais remarquer que ces quatre anciens ministres des Pêches viennent tous de la Colombie-Britannique, où les gens comprennent que le saumon sauvage est aussi important pour la population de la Colombie-Britannique que la langue française l’est pour les Québécois. C’est inné en nous, les Britanno-Colombiens, de défendre notre saumon au moment où des changements pourraient permettre la destruction pure et simple de l’habitat où vit le saumon rouge, des remontées du saumon sauvage en voie de disparition et du coho. Pourquoi apporterions-nous ici des changements qui causeraient de tels dommages à la pièce maîtresse de la protection environnementale au Canada?
Le paragraphe 35(1) de la Loi sur les pêches ne protège pas seulement quelques poissons. Il s’agit d’une mesure législative fondamentale qui relève de la compétence fédérale en vertu de la Constitution et qui mène à la protection de l’eau douce. Elle mène à la protection de l’habitat du grizzly, des forêts et des écosystèmes. Si nous ne conservons pas tel quel le paragraphe 35(1) de la Loi sur les pêches, nous laissons libre cours à la destruction irresponsable non seulement de nos ressources naturelles extraordinaires, mais aussi de la nature.
On nous rappelle constamment que nous sommes devant un faux choix, que nous devons choisir le développement économique à toute vitesse sans tenir compte des droits des Premières nations et de la durabilité du capital naturel. Comme je l’ai déjà mentionné à la Chambre, on nous dit que la planète est une entreprise en liquidation, et que tout doit partir le plus vite possible.
J’en appelle à mes collègues du Parti conservateur de tenir compte de ce que leurs anciens collègues disent, des personnes comme l’ancien député de Red Deer, Bob Mills, qui a fait un plaidoyer pour que nous conservions la table ronde nationale, et de personnes comme les anciens ministres des Pêches et les scientifiques d’un bout à l’autre du Canada. À l’étape du rapport, il est encore temps d’empêcher que le projet de loi C-38 ne devienne un projet de loi qui détruit l’environnement à long terme, et d’en faire un projet de loi qui respecte l’environnement.