Nathan Cullen : Monsieur le Président, je prends la parole au sujet du recours au Règlement que la députée de Saanich—Gulf Islands a soulevé il y a quelques jours. Les libéraux et les conservateurs ont déjà exprimé leur point de vue à cet égard. Les néo-démocrates souhaitent aussi faire part à la Chambre de leurs observations, qui, je l’espère, seront brèves.
Je souscris à la motion de la députée de Saanich—Gulf Islands, qui porte sur la manière dont le gouvernement a présenté le projet de loi C-38, le projet de loi omnibus d’exécution du budget, une question qui l’inquiète, elle, et bien d’autres députés. Ma collègue a fait valoir un certain nombre d’arguments dont certains, à notre avis, sont plus solides que d’autres, ce dont vous pourrez juger par vous-même, monsieur le Président. Par contre, nous souscrivons à l’idée générale de la motion.
Vous avez pu avoir une bonne idée de la position des néo-démocrates, l’opposition officielle, car ils ont exprimé leur point de vue sur la place publique, pendant les périodes de questions et dans le cadre de discussions avec vous, monsieur le Président, quant au contenu et à la forme du projet de loi dont nous sommes saisis et ils ont fait part des inquiétudes qu’ils ont, eux et les Canadiens, quant à son incidence sur la manière dont les députés font leur travail. C’est pour cette raison que je m’en remets directement à la décision que vous devez rendre, monsieur le Président, car, au bout du compte, c’est à vous qu’incombe la tâche de déterminer les façons d’agir et les manières de procéder qui sont acceptables à la Chambre.
Je vais aborder dès maintenant l’un des points soulevés par le gouvernement pour défendre le processus dans lequel nous sommes engagés en ce qui concerne ce projet de loi d’exécution du budget, qui compte plus de 400 pages et au-delà de 700 dispositions visant à abroger complètement ou à modifier grandement 70 lois du Parlement. Jamais n’a-t-on vu un projet de loi de cette envergure et ayant une telle portée dans l’histoire du Parlement. C’est notre avis et celui des spécialistes qui observent ce qui se passe ici depuis de nombreuses années. Par conséquent, nous devons rejeter l’idée selon laquelle le gouvernement croit que les Canadiens et les parlementaires ont réussi à comprendre le contenu de la mesure législative parce qu’elle a fait l’objet de plusieurs heures de débat dans cette enceinte et au comité. Pour être franc, ce n’est pas le cas. Il est à peu près impossible de comprendre toutes les répercussions associées à ce projet de loi, car le gouvernement retient certains éléments d’information. D’ailleurs, nous attirerons votre attention sur cette question au cours des prochains jours.
Le premier point soulevé par la députée de Saanich—Gulf Islands est que le projet de loi n’a pas de thème central et qu’il est donc irrecevable ou nuisible pour le Parlement et la démocratie parlementaire.
Le deuxième point qu’elle a soulevé est le fait qu’il existe peu de liens, voire aucun, entre le budget lui-même et ce que le gouvernement a appelé loi d’exécution du budget. Tous les Canadiens qui ne connaissent pas aussi bien le fonctionnement de la Chambre que les députés et qui discutent de la situation pourraient supposer qu’une loi d’exécution du budget est explicitement liée au budget de par son nom et sa forme. Or, la loi d’exécution du budget comporte de nombreux éléments de politique gouvernementale qui ne sont même pas mentionnés dans le budget. Je pense par exemple au fait que le Canada se retire du protocole de Kyoto. Il n’en est pas du tout question dans le budget, et on n’y mentionne pas non plus un seul des aspects de la politique sur les changements climatiques ou quoi ce soit qui est lié à cette loi du Parlement en particulier, et pourtant, quelques lignes de la loi d’exécution du budget portent sur le retrait du Canada de ce traité international.
Outre le fait que l’on soit d’accord ou non avec les intentions du gouvernement en ce qui concerne les changements climatiques et son inaction à cet égard, il convient de souligner qu’un projet de loi d’exécution du budget qui prévoit toutes sortes de mesures n’ayant rien à voir avec le budget en tant que tel n’est lié au budget qu’en raison de son titre. En l’occurrence, le gouvernement inscrit dans le projet de loi un certain nombre d’initiatives, de politiques et de nouvelles orientations qui devraient être distinctes et séparées les unes des autres pour que les députés et la population canadienne puissent en discuter.
L’intervention de ma collègue qui siège à l’autre bout de la Chambre laisse entendre que, pour que les députés soient en mesure de faire leur travail, ils doivent pouvoir, en toute conscience, demander des comptes au gouvernement. Dans son troisième point, elle a fait valoir que le projet de loi n’était pas prêt et qu’il était bancal. Elle a fait un certain nombre d’interventions à ce sujet, mais j’en parlerai peu.
Pour ce qui est de votre rôle, monsieur le Président, en fin de compte, vous agissez en tant qu’arbitre dans cette enceinte et en tant que défenseur des privilèges des députés, et de leurs efforts pour remplir les fonctions pour lesquelles les Canadiens les ont envoyés au Parlement, à savoir demander des comptes au gouvernement. Ce rôle n’incombe pas uniquement à l’opposition; il revient aussi aux députés ministériels de l’assumer. Ils sont eux aussi tenus de demander des comptes au gouvernement en tout temps.
Rappelons-nous notre histoire parlementaire. Au Canada, à une certaine époque, lorsque des députés élus étaient pressentis pour faire partie du Cabinet, ils devaient participer à des élections partielles, car leur rôle était sur le point de changer considérablement. En effet, il leur incomberait dorénavant de défendre les politiques du gouvernement, au sein du Cabinet, au lieu de siéger en tant que députés, sans égard à leur affiliation politique. Ce rôle est fondamentalement différent.
Nous nous inquiétons à deux égards. Comme on a pu le constater, les Canadiens sont de plus en plus cyniques à l’égard de la politique en général et…
Bob Zimmer : Les néo-démocrates, pas les conservateurs.
Nathan Cullen : …plus particulièrement de la Chambre des communes. Je remercie mon collègue de Prince George—Peace River de son intervention, mais elle était totalement inutile.
Compte tenu du cynisme croissant que les Canadiens éprouvent à l’endroit de la politique, il est…
Bob Zimmer : Je vous en prie. Je vous en prie.
Le Président : À l’ordre. Je demande au député de Prince George—Peace River de laisser le leader de l’opposition à la Chambre finir de s’exprimer, après quoi nous pourrons passer à l’ordre du jour.
Nathan Cullen : Monsieur le Président, le fait qu’on se fasse chahuter par des ministériels lorsqu’on essaie d’exposer au Parlement une idée sérieuse et réfléchie confirme mon inquiétude devant le cynisme croissant à l’égard de la politique.
Voici ce que je veux dire: tous les députés ont, envers les personnes qu’ils tâchent de représenter du mieux qu’ils le peuvent, le devoir de forcer le gouvernement à rendre des comptes. Ce projet de loi nous en empêche. Il rend notre tâche difficile, voire carrément impossible. C’est votre rôle, monsieur le Président, de nous permettre de faire notre travail. Je ne prétends pas que ce soit facile au quotidien, non pas uniquement à la période de questions, où nous nous efforçons d’être polis et de conserver un certain décorum, mais également au cours des délibérations sur des projets de loi importants.
On ne saurait sous-estimer l’importance de ce projet de loi, qui englobe tant de choses et qui aura des répercussions si profondes sur la vie des Canadiens. Pensons, notamment, aux personnes âgées qui voudront prendre leur retraite après avoir contribué à bâtir notre économie et servi le pays pendant de longues années et à qui l’on refusera 12 000 $, aux lois sur l’environnement qui seront abrogées ou modifiées en profondeur, aux protections qui seront vidées de leur substance, aux évaluations environnementales de grands projets industriels qui, de 4 000 à 6 000 qu’elles étaient, passeront à peut-être 20 ou 30 à peine par année.
Le rôle d’un député consiste à obliger le gouvernement à rendre des comptes et celui du Président, à défendre cette enceinte et l’institution qu’elle représente.
En l’absence du moindre lien, ou en présence d’un lien ténu, entre le budget et le projet de loi visant sa mise en oeuvre, on perpétue, voire alimente le cynisme des Canadiens envers la politique et leurs politiciens. La rupture avec ceux que nous représentons, leurs espoirs et leur vision pour l’avenir s’approfondit lorsqu’un gouvernement entérine un projet de loi comme celui-ci.
Quel message adressons-nous à nos concitoyens lorsque nous leur indiquons qu’un projet de loi omnibus d’une telle ampleur et d’une telle portée est admissible, acceptable et même souhaitable? Peut-on concevoir — et je pense ici à l’argument que le Président Lamoureux a invoqué en 1971 — que nous atteindrons un jour un point de non-retour, où un gouvernement cherchera, au moyen de projets de loi omnibus servant de chevaux de Troie, à déposer seulement un ou deux projets de loi par année, qui contiendront toutes ses mesures législatives, et que le Parlement se contentera de siéger pendant 20 jours pour les adopter? Dans de telles circonstances, il serait impossible d’assurer la reddition de comptes, qu’il soit question par exemple de réformer l’immigration ou la surveillance du Bureau du vérificateur général. Ce serait la fin de la transparence.
Peut-être que le gouvernement cherche justement à faire en sorte que le Parlement ne siège plus que pour adopter deux projets de loi par année, mais ce serait contraire à l’esprit et à la nature de cette enceinte, où nous nous réunissons pour débattre de mesures législatives en cherchant à les améliorer, à les amender.
Sachez ceci: pour le gouvernement, ce projet de loi de plus de 400 pages est la perfection incarnée, et pas la moindre virgule ni le moindre point n’ont besoin d’y être changés. Pourtant, à trois reprises au cours seulement de la présente législature, les preuves qui s’accumulaient et la pression exercée par les Canadiens ont forcé le gouvernement à modifier, sinon à carrément abandonner, une mesure législative qu’il avait déposée. À trois reprises, donc, pour des projets de loi distincts, le gouvernement a dû revoir sa position du tout au tout.
Hier soir, nous avons mis aux voix une 25e motion de clôture depuis que le gouvernement est devenu majoritaire. Nous étudions maintenant le projet de loi omnibus le plus vaste et le plus complexe de l’histoire du Canada, et l’absence de transparence est à couper le souffle. Nous estimons qu’il s’agit d’un premier pas dans une très mauvaise direction. Dès le début du processus, l’opposition officielle, parce que c’est son travail, a cherché à collaborer avec le gouvernement en vue de scinder la mesure législative en la multitude de projets de loi qui la composent afin de permettre aux Canadiens de connaître tout ce qu’elle renferme et d’en comprendre les tenants et les aboutissants.
Depuis le début, nous demandons au gouvernement de faire ce qui s’impose et de diviser ce projet de loi. Monsieur le Président, vous nous avez entendu rappeler, mot pour mot, au Parti conservateur ses propres principes à l’égard des projets de loi omnibus, des motions de clôture et des mesures législatives qualifiées de cheval de Troie. Lorsqu’ils formaient l’opposition, les conservateurs en défendaient vigoureusement le principe selon lequel la Chambre et les gouvernements doivent rendre des comptes aux Canadiens.
Ce sont leurs propres arguments et leurs propres mots que nous avons utilisés, pas les nôtres. Nous ne nous attendons pas à ce que le gouvernement se laisse influencer par ce que je dis ici aujourd’hui. Cependant, nous avons cru que les propos et les principes avancés par le premier ministre, le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme et le ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles auraient suffisamment de poids pour que les conservateurs réfléchissent et se laissent influencer par leurs propres arguments et principes.
Qu’est-il advenu de ces principes? Le gouvernement doit trouver le processus difficile ou agaçant et il cherche en quelque sorte la voie de la facilité.
Le processus que nous suivons en tant que députés est vital et essentiel. Il ne s’agit pas d’un inconvénient.
Nous n’éprouvons pas de pitié pour le gouvernement, qui sera saisi de 500 à 1 000 amendements visant cette mesure législative, au cours des prochains jours. C’est précisément cette mesure qu’il a conçue qui est à l’origine de la situation. Nous avons mis le gouvernement en garde dès le premier jour et nous lui avons donné un choix.
La motion présentée par la députée de Saanich—Gulf Islands dit que ce projet de loi comporte de graves lacunes et des éléments litigieux et qu’il mine le rôle de la Chambre. Nous trouvons que son raisonnement est juste et que, à titre de Président et en votre qualité d’observateur et d’arbitre objectif, vous devez vous pencher sur la question. De temps à autre, il faut rappeler au gouvernement que, bien qu’il dispose d’un nombre de votes suffisants pour faire adopter cette mesure, il ne dispose ni de la supériorité morale ni de justifications pour ce faire, parce que les Canadiens ne lui ont pas donné, ni à aucun gouvernement d’ailleurs, le mandat de prendre de telles mesures. Les Canadiens n’ont jamais porté au pouvoir un gouvernement en lui disant qu’il peut gouverner par décret et faire fi du processus démocratique ainsi que de la nécessité d’entretenir un dialogue ouvert et transparent. En définitive, les Canadiens cherchent le consensus, un terrain d’entente et une manière de vivre ensemble en harmonie, comme ils le font depuis de si nombreuses années.
Monsieur le Président, faisons ce qui s’impose. Faisons de ce projet de loi une mesure législative adéquate.
Le Président : Je remercie le député de sa contribution à ce recours au Règlement. Je ferai part de ma décision à la Chambre en temps opportun.