J’ai été tellement absorbée ces derniers temps à trouver une façon de faire dérailler l’accord d’investissement Canada-Chine (déposé à la Chambre le 26 septembre et dont la ratification est prévue le 2 novembre) jusqu’à ce qu’arrive le projet de loi C-45, le deuxième projet de loi budgétaire omnibus, déposé à la Chambre le 18 octobre, moment où j’ai cessé d’accorder autant d’attention à l’accord d’investissement. Il me semble que le projet de loi C-45 est venu à un moment opportun, pour venir distraire tout le monde de l’accord d’investissement, mais moi, j’ai fait un effort pour tenir le cap. Je vais me battre contre le projet de loi C-45 et proposer des amendements seulement s’il devient impossible d’arrêter l’accord d’investissement.
Toutes les questions que j’ai posées lors de la période de questions ont porté sur l’accord d’investissement avec la Chine. Même le 19 septembre, j’ai demandé quand le Parlement aurait la chance de voir le texte. Comme je jugeais qu’il était urgent d’arrêter l’accord d’investissement, j’écrivais alors moins sur les plans de détruire la Loi sur la protection des eaux navigables (LPEN). Cela n’amoindrit pas le désastre que réservent ces changements pour le Canada. Bien que je participe aux débats en deuxième lecture, avec attribution de temps, il se peut que je manque de temps et que je n’aie pas la chance de faire un discours. Malgré la recherche astucieuse sur les sites Web menée par les médias et le NPD, il est faux de conclure que la LPEN constitue une mesure environnementale juste parce que des approbations qui ont été délivrées en vertu de la LPEN sont à l’origine d’évaluations environnementales fédérales. Il existe d’autres éléments déclencheurs qui ne relèvent pas des lois sur l’environnement – des éléments comme des terres fédérales ou de l’argent du gouvernement fédéral (maintenant disparus, comme la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale).
Voilà qui est beaucoup plus grave que d’effacer le mot « environnement » du site Web de la LPEN. Comme les modifications qui ont été apportées à la Loi sur les pêches par le projet de loi C-38, le démantèlement de la Loi sur la protection des eaux navigables réduit les pouvoirs constitutionnels fédéraux qui sont à la base du droit de l’environnement depuis des générations. Et, dans les deux cas, les points d’intervention des conservateurs sont les mêmes : « Il n’a jamais été question d’environnement, mais de pêches – non pas de poisson; il était question de navigation – non pas d’eaux.»
Lors de débats portant sur les projets de loi C-38 et C-45, j’ai entendu d’innombrables fois ce qui suit : « Cette loi n’a jamais été conçue pour (remplissez les blancs : protéger l’habitat du poisson, protéger les rivières). »
Et voilà la raison pour laquelle j’ai voulu sortir mon ancien manuel du droit constitutionnel. Ce à quoi pensaient les rédacteurs de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en 1867 n’a vraiment rien à voir avec les catégories de compétences prévues par la Constitution du 21e siècle. Les catégories de compétences établies en 1868 ne changent pas, mais la façon dont on les applique évolue. Si ce n’est pas le cas, pourquoi ne pas abroger toutes les dispositions législatives qui concernent la criminalité sur Internet? Jamais Sir John A. Macdonald ne se serait préoccupé de la cybercriminalité, donc faisons fi de toutes ces dispositions!
Dans mon vieux manuel de la faculté de droit, le professeur Peter Hogg, spécialiste canadien du droit constitutionnel, dit ce qui suit :
« C’est un principe bien établi que le langage général dont on se servait pour décrire les catégories de sujets (ou les catégories de compétences) était moins ouvert à l’interprétation en 1867. Par exemple, la phrase “les entreprises reliant la province et une ou plusieurs autres provinces ou débordant les limites de la province” (le paragraphe 92(10)a) comprend un système téléphonique interprovincial, bien que le téléphone n’existe pas en 1867, la phrase “droit criminel” (paragraphe 91(27)) ne se limite pas à ce que le droit britannique ou le droit de toute autre province considérait comme étant criminel en 1867, la phrase “activité bancaire” (paragraphe 91(15)) ne se limite pas à “l’importance et [à] la nature des activités en fait exercées par les banques au Canada en 1867. ” Au contraire, on doit pouvoir interpréter de manière progressive le texte de la loi, afin qu’on puisse continuellement l’adapter à de nouvelles conditions et à de nouvelles idées. »
On répète souvent les paroles prononcées par Lord Sankey en 1930 : « L’Acte de l’Amérique du Nord britannique avait planté au Canada un arbre vivant, capable de pousser et de prendre de l’envergure, dans ses limites naturelles. » Encore une fois, l’image de la hachette vient à l’esprit. Harper est en train de couper au cœur de l’essence des pouvoirs conférés par le droit constitutionnel sur l’environnement.
Donc, c’est bien clair que peu importe ce qui était voulu en 1867, la Loi sur les pêches est depuis des décennies l’outil principal visant à favoriser des écosystèmes sains et à entretenir les populations de poisson partout au Canada, et la LPEN est à la base de tout effort pour protéger la libre circulation sur nos voies maritimes – y compris la navigation de plaisance et l’accès aux voies maritimes du pays par les adeptes du canoë et du kayak – et pour protéger le poisson et la santé de l’écosystème.
Et voici une autre réalité constitutionnelle – réduire l’autorité fédérale ne donne pas le droit aux provinces de s’emparer du pouvoir. Nous parlons ici du principe de l’exclusivité. Citons Peter Hogg : « Si le Parlement ou l’Assemblée législative ne légifère pas de son plein pouvoir, cela n’augmente pas plus les pouvoirs des autres ordres de gouvernement. »
Alors, avec le projet de loi C-45, qui va venir corrompre la LPEN au point où 98 % des eaux du Canada (à l’exception des océans) ne seront plus régies par aucune loi fédérale sur la navigation, qui va défendre notre droit de circuler sur nos voies maritimes? Sur le plan constitutionnel, la réponse est aucun ordre de gouvernement. Personne.
Les points d’intervention des conservateurs disent ce qui suit : « Ne vous inquiétez pas. La common law protège toujours les droits de naviguer. » Lors du point de presse technique, les fonctionnaires ont dit (je vous assure!) que les droits de naviguer remontent à l’époque de la Rome antique (et les empereurs, et le pain, et les cirques… mais là je m’écarte du sujet).
En quoi la protection accordée par la common law aide-t-elle un propriétaire vivant au bord d’un ruisseau qui aimerait pouvoir se rendre à la rivière en canoë, si quelqu’un propose ou construit une digue ou une obstruction? En vertu de la LPEN (avant le projet de loi C-45), la personne qui construit l’obstruction enfreint la loi. Il lui faut un permis du ministre des Transports pour avoir la permission de bloquer ce ruisseau. On peut appeler la GRC. Les Canadiennes et les Canadiens ont le droit de naviguer sur leurs voies maritimes. Une fois le projet de loi C-45 adopté, à moins que la voie maritime en question ne figure parmi la liste des 62 rivières ou des 97 lacs, le propriétaire ne peut pas appeler la GRC. Le propriétaire doit prouver en cour que la personne a enfreint la loi. C’est beaucoup plus difficile de poursuivre une affaire de common law qu’un examen législatif ou administratif. Cela n’est guère réconfortant!
L’ironie, c’est que les modifications que le projet de loi C-45 apporte à la Loi sur les pêches – celles qui font en sorte que c’est illégal d’utiliser des engins de pêche pour bloquer les deux tiers de la largeur d’une rivière ou d’un ruisseau ou pour empêcher le passage des poissons – sont devenues nécessaires maintenant que les effets de la LPEN sont en train d’être éliminés pour la plupart des voies navigables.
On ne peut pas dire qu’il s’agit là de rationalisation. Il s’agit plutôt d’un démantèlement des catégories de compétences constitutionnelles confiées uniquement au gouvernement fédéral. Stephen Harper pense-t-il vraiment que les Canadiennes et les Canadiens se moquent de notre histoire? De notre constitution?