Pourquoi les grands sites de construction sont-ils exemptés de verrouillage ?

Elizabeth May (Saanich—Gulf Islands)
2021-05-05 20:37 [p.6728]

Monsieur le Président, je remercie mon collègue de Jonquière de partager son temps de parole avec moi.

Nous vivons une situation terrible en ce moment. Au moment où nous commencions à nous habituer à l’idée que nous vivions une pandémie et qu’il fallait ajourner le Parlement le 13 mars 2020, certains d’entre nous ont affirmé à la Chambre que nous allions suspendre les travaux jusqu’au 20 avril 2020 par consentement unanime. Tout cela semble absurde maintenant. Je me souviens très bien avoir dit que le Parti vert donnait son consentement tout en me demandant s’il était vraiment nécessaire de suspendre jusqu’au 20 avril. J’avais l’impression que c’était peut-être un peu exagéré, mais que nous verrions bien.

Nous avons beaucoup appris depuis. Nous avons commencé à parler d’aplanir la courbe. Nous pensions que ce serait suffisant parce que c’était ce qu’on nous disait, mais nous sommes mieux informés maintenant. La courbe d’apprentissage a été très abrupte. Nous aurions pu tirer des leçons plus rapidement, aller plus vite et suivre les modèles de pays comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie et la Corée du Sud. Ces pays ont décidé de prendre des mesures strictes sans tarder, en s’appuyant sur le genre de conseil que l’Organisation mondiale de la santé donnait à ce moment-là. En effet, le Dr Michael Ryan avait dit: « Agissez vite et allez-y à fond. N’attendez pas d’être parfaits. La vitesse l’emporte sur la perfection. » Je croyais que nous allions vite.
Chose certaine, je ne pense pas être bien placée pour jeter le blâme sur qui que ce soit.

Je trouve le débat de ce soir difficile. On peut toujours jeter le blâme sur les autres, mais je me demande en quoi c’est utile. Je ne veux pas que les Albertains aient l’impression que le Parlement du Canada a décidé de s’acharner sur eux. Il est plutôt évident que leur premier ministre a mal évalué la situation et que des gens en sont morts.

J’aimerais parler brièvement de quelque chose dont on ne parle pas suffisamment à la Chambre, selon moi. Lorsque des gens comme moi veulent que l’industrie des combustibles fossiles disparaisse et qu’on l’élimine progressivement tout en aidant les travailleurs, je crois que certaines personnes en Alberta ont l’impression que cela signifie qu’on n’aime pas l’Alberta. Or, j’aime vraiment cette province ainsi que ses habitants.

J’ai énormément de respect pour la détermination dont l’Alberta fait preuve lorsqu’elle doit faire face à de graves crises. Je me souviens très bien des inondations de 2013, à Calgary. Je suis allée sur place. J’ai enlevé des débris en décomposition dans les sous-sols de résidant de High River, parce que j’étais à Calgary pour le stampede dans les jours qui ont suivi les inondations de 2013. Je me suis dit que je pouvais me rendre plus utile, alors je suis allée à High River avec un ami pour offrir de l’aide. J’ai encore le t-shirt qui dit « Contre vents et marées ». Le maire Nenshi a décidé que le stampede aurait lieu même si cela semblait impossible. J’admire cette détermination.

Peu de temps après, lors des incendies de 2016 à Fort McMurray, l’esprit communautaire était formidable, et personne n’a été laissé pour compte. On nous a projeté l’image très forte d’une évacuation calme et ordonnée, le feu faisant rage de tous les côtés, et avec les résidants de Fort McMurray qui s’éloignaient par la seule route disponible. Si quelqu’un tombait en panne d’essence, quelqu’un d’autre le faisait monter dans son véhicule. C’était inspirant.

Il est épouvantablement alarmant que ce soit en Alberta que le taux de COVID est le plus élevé en Amérique du Nord, parce que nous connaissons maintenant mieux la pandémie. Nous connaissons le virus. Nous savons que plus le virus vivra longtemps parmi nous, plus nous nous retrouverons dans une espèce de boîte de Pétri où naîtront des variants dangereux. Nous ne savons pas encore si un variant arrivera à dominer les vaccins. La troisième vague nous place dans une position très dangereuse.

Nous soulignons aujourd’hui la Journée de la robe rouge. Nous pensons à toutes les familles de femmes et de filles autochtones disparues ou assassinées et nous leur témoignons notre solidarité. Il y a deux ans, au début du mois de juin, le gouvernement avait reçu le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et les bispirituelles autochtones. L’une des principales recommandations de l’enquête était de fermer les « campements ». À ce moment-là, les vies humaines étaient menacées par ce que l’enquête appelait les « campements ». De nombreux Canadiens ne connaissent peut-être pas ce terme, mais il signifie que les grands chantiers de construction représentent une menace pour les personnes vulnérables, pour les personnes marginalisées qui doivent faire de l’auto-stop.

Je sais que des Albertains ont réagi fortement à ces accusations. Bien entendu, la plupart de ces travailleurs sont des pères, grands-pères, frères et fils et des personnes tout à fait honorables. Toutefois, les données probantes ne laissent place à aucun doute: les femmes et filles autochtones sont les plus à risque d’être assassinées ou portées disparues près des campements provisoires de travailleurs.

En temps de pandémie, je veux simplement savoir pourquoi les autorités sanitaires et les gouvernements ont décidé que les petites entreprises familiales et divers autres commerces devaient fermer dans des localités où le risque était pourtant inférieur à celui couru dans les endroits populeux, comme les campements de travailleurs, qui, eux, étaient si essentiels qu’on ne pouvait les fermer. Or, à l’heure actuelle, la région des sables bitumineux affiche les taux d’infection à la COVID les plus élevés en Alberta. Les taux y sont très élevés.

En Colombie-Britannique, le gouvernement néo-démocrate provincial a décidé qu’il était si important que le projet du site C se poursuive qu’il serait impensable de le fermer en cas d’éclosion. On constate d’ailleurs des éclosions en ce moment même à l’emplacement du barrage du site C, dans les installations de Kitimat LNG en construction le long des emplacements du projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain et du projet Coastal GasLink. Tous les campements de travailleurs sont aussi les endroits où la COVID fait des ravages.

L’une des principales caractéristiques des travailleurs des sables bitumineux est le fait qu’ils font la navette par avion. Les députés peuvent penser à la pauvre province de Terre-Neuve-et-Labrador, qui était dans la bulle atlantique et qui estimait que les taux étaient suffisamment bas qu’elle pourrait respecter la loi provinciale qui exige que le nouveau premier ministre Andrew Furey déclenche des élections d’ici quelques mois. Soudainement, une éclosion de COVID a été signalée chez les travailleurs des sables bitumineux et ils ont maintenant une épidémie. Si nous effectuons une recherche, nous trouverons une foule d’universitaires et de scientifiques qui disent avoir un problème avec ces services de navette aérienne. Selon un expert, la COVID n’est simplement pas entrée au Canada par elle-même, elle est venue par avion.

Nous sommes préoccupés par les frontières internationales. Pourquoi ne resserrons-nous pas nos frontières? Comment se fait-il que nous soyons si dépendants du pétrole que nous fermions les yeux sur l’incidence de ces camps de travail que nous aurions dû fermer ou, à tout le moins, où nous aurions dû empêcher la main-d’œuvre de traverser de nombreuses frontières provinciales pour faire la navette? Il y avait peut-être moyen de maintenir au travail les gens de l’industrie de la construction alors que bien d’autres industries ont dû suspendre leurs activités, mais nous avons fermé les yeux sur les lieux de travail saturés et à l’étroit tels que les abattoirs. Nous avons fermé une partie de notre économie, mais fermé les yeux à l’égard d’endroits qui, selon moi et comme le montrent les faits, sont des foyers de propagation de la COVID-19.

Nous avons vu le maire de Lethbridge, Chris Spearman, dire: « De toutes les provinces, l’Alberta est celle qui a pris le moins de mesures préventives. Nous tolérons les manifestations contre le port du masque, de même qu’aux hôpitaux et aux centres de vaccination rapide. » Nous devons faire plus. L’un des Albertains que j’admire le plus, car il est génial, le journaliste Andrew Nikiforuk, a écrit un article paru il y a quelques jours dans The Tyee intitulé « A Coronavirus Hell of Kenney’s Own Making », qui se traduirait par « Coronavirus: l’enfer provoqué par Jason Kenney ». Je mentionne uniquement le titre pour que les députés puissent le trouver.

Il a dit: « [L]es chiffres indiquent d’abord et avant tout le mépris profond et inflexible du premier ministre Kenney quant aux données scientifiques et à la réalité mathématique. » Une de ces réalités mathématiques est la croissance exponentielle. L’Alberta vit une situation très dangereuse présentement et ce n’est certainement pas la faute des Albertains. À Noël, un nombre important de députés ministériels de premier plan en Alberta ont décidé qu’il était acceptable de partir en vacances. J’ai fait des recherches et j’ai lu qu’une ministre avait donné comme excuse qu’elle voulait soutenir les compagnies aériennes pendant la crise économique. Je me suis dit que c’était une excuse plutôt comique qui battait de l’aile, mais j’ai ensuite lu que le premier ministre de la province avait affirmé qu’il considérait que c’était une bonne façon d’aider WestJet et que le corridor entre l’Alberta et Hawaï serait plutôt sûr et qu’il échapperait en quelque sorte à la réalité de la COVID.

Il y a eu un manque de leadership. Les personnes au pouvoir n’ont pas donné l’exemple. Il y a eu un manque de volonté à reconnaître les données scientifiques concernant la COVID, qui a mené à l’adoption de politiques idéologiques. Il ne faut pas laisser l’idéologie tenir le haut du pavé. Il faut laisser de côté la partisanerie habituelle et comprendre que nous sommes arrivés là où se termine l’article d’Andrew Nikiforuk: « Il est temps de prier pour l’Alberta. » Je note au passage que, à elle seule, la foi ne réglera pas le problème.
Il faut faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider l’Alberta et les Albertains.