Un des sophismes les plus tenaces et déconcertants du discours politique est celui qui nous amène à croire que nous devons absolument choisir entre la protection de l’environnement et la prospérité économique. D’après les sondages menés au fil des ans, les Canadiens ne s’y laissent pas prendre et croient ces deux buts réalisables et pas nécessairement inconciliables. Au cas où certains compareraient cette compatibilité à l’attitude de vouloir le beurre et l’argent du beurre, toutes les données empiriques viennent appuyer le bon sens des Canadiens.
En 1995, des travaux effectués à Harvard par Michael Porter ont démontré que les pays dotés des lois environnementales les plus rigoureuses affichent les taux de compétitivité les plus élevés. C’est dans son analyse novatrice, Green and Competitive: Ending the Stalemate, coécrite avec Class van der Lindt, que M. Porter fait valoir ses arguments :
« Des normes environnementales bien pensées stimulent les innovations visant à réduire les coûts de production et à augmenter la valeur d’un produit. »
M. Porter qualifie ces normes avisées d’« écoinnovations ».
Autrement dit, la pollution est indicatrice d’une défaillance du marché, puisqu’elle est synonyme de gaspillage d’énergie, d’argent et de ressources, sans parler qu’elle crée des obligations à long terme. La plus urgente des questions (et pas seulement des questions environnementales) réside dans la menace d’une crise climatique. L’émission massive de gaz à effet de serre ne coûte rien aux pollueurs : son coût n’est même pas intégré aux coûts de production.
Néanmoins, on ne peut pas prétendre que la pollution ne coûte rien, car c’est la société qui en paie le prix, soit des milliards de dollars de pertes assurables et des milliards additionnels de pertes non assurées dans les régions plus pauvres, par suite de catastrophes météorologiques de plus en plus violentes et fréquentes.
Selon un rapport de la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, désormais abolie, les coûts estimatifs annuels sont déjà considérables et pourraient atteindre une proportion importante du PIB. Si d’autres tendances économiques présageaient un recul possible de l’économie, on s’attendrait à ce que le gouvernement prenne les mesures qui s’imposent.
Malheureusement, les signes avant-coureurs ne semblent pas ébranler le premier ministre, enraciné qu’il est dans sa vision binaire où on choisit de favoriser soit l’environnement, soit l’économie.
La tarification du carbone, la première étape, est jugée indispensable par la quasi-totalité des organisations internationales, notamment la Banque mondiale et l’Agence internationale de l’énergie. Même les PDG des principales multinationales pétrolières, comme Shell et BP, prônent la tarification du carbone, et pourtant le premier ministre s’y oppose toujours.
La tarification du carbone concorde avec une croissance économique accrue. Par exemple, la Suède a adopté une taxe sur le carbone et a réduit l’émission de gaz à effet de serre au point de dépasser son objectif de Kyoto. En même temps, son PIB a connu une solide croissance.
Dans ces circonstances, la crise climatique n’est plus une simple question environnementale, mais bien une menace à la sécurité. On en a fait fi, année après année, et les scientifiques tirent désormais la sonnette d’alarme : le réchauffement climatique a atteint des proportions telles qu’on craint pour la survie de l’homme. Certains avancent l’hypothèse, inimaginable il y a quelques dizaines d’années, que l’inaction pourrait entraîner l’extinction de l’espèce humaine.
Le scientifique britannique sir Martin Rees croit que l’homo sapiens a 50 % des chances de survivre jusqu’au prochain siècle. À mon avis, il est prématuré de parler d’extinction de l’espèce humaine, mais il n’est pas rassurant d’apprendre que des scientifiques croient en cette éventualité. Il est néanmoins difficile d’imaginer comment nos civilisation, institutions et États de droit survivraient au chaos d’une planète assaillie par des catastrophes causées par un réchauffement de 4 degrés.
C’est là le degré de réchauffement actuellement projeté à partir du train de mesures anémiques prises par les pays industrialisés et les plus pollueurs de ceux en développement. Et on ose nous dire ne pas pouvoir prendre les mesures nécessaires pour contrer la crise climatique de crainte de nuire à l’économie.
Il est absolument faux de déclarer qu’il est impossible de réduire les gaz à effet de serre et d’adopter une économie à faible émission de carbone, sans anéantir notre économie, mais l’inverse est indéniable. Si nous n’adoptons pas une économie à faible émission de carbone, nous pourrions réduire à néant l’avenir de nos enfants. Notre économie souffrira davantage de l’inaction que des mesures prudentes pour résoudre la crise. Le fait de savoir que notre échec pourrait priver nos propres enfants de leur avenir ne devrait-il pas nous inciter à agir?