Mme Elizabeth May: Monsieur le Président, je prends la parole au sujet du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, pour me joindre à mes collègues qui trouvent certains éléments de ce projet de loi problématiques.
J’aborde le projet de loi avec une approche un peu différente, par rapport à d’autres députés. Je crois que nous devons tenir compte du contexte où nous sommes, à l’étape de la deuxième lecture. Ce projet de loi sera renvoyé à un comité. J’aimerais donc demander aux députés ministériels d’agir de manière à obtenir l’appui de tous les groupes qui ont des objections actuellement, ce qui serait une belle victoire. Je pense que ce ne serait pas impossible du tout.
Nous voyons qu’il y a eu quelques améliorations. Les acteurs du domaine s’entendent en général pour dire que nous devons moderniser la Loi sur le droit d’auteur et que les nouvelles technologies posent des difficultés importantes. J’essaie parfois d’imaginer ce que diraient nos prédécesseurs qui siégeaient au Parlement dans les années 1930, s’ils revenaient parmi nous et essayaient de comprendre ce dont nous parlons aujourd’hui. Les problèmes sont entièrement nouveaux et les changements sont rapides.
Dès que nous aurons adopté ce projet de loi, nous nous apercevrons que nous devons faire de nouvelles modifications pour tenir compte des changements qui se seront produits, pour mettre en oeuvre de nouveaux moyens afin de faire respecter les droits d’auteur et pour appliquer de nouveaux mécanismes de protection des oeuvres des créateurs.
Je ne souhaite pas tant attaquer le projet de loi, même si je devrai en critiquer certains articles, que proposer des amendements en espérant qu’ils pourront être apportés lors de l’étude par le comité.
Nous observons une tendance inquiétante au cours de la 41e législature. On dirait que tout amendement apporté à un projet de loi après la 1re lecture est vu comme une défaite s’ajoutant à d’autres défaites pour le gouvernement, alors qu’en réalité, il est normal, dans les Parlements du monde entier, et certainement au Parlement du Canada, qu’un projet de loi ne soit pas parfait à l’étape de la première lecture et nécessite des améliorations. Lorsque les travaux du comité peuvent être effectués autant que possible sans partisanerie, il est possible d’améliorer le projet de loi.
Le préambule du projet de loi, qui guidera la justice dans l’interprétation de la loi, comprend le passage suivant, qui est conforme au discours du gouvernement:
[…] le gouvernement du Canada s’engage à améliorer la protection des oeuvres ou autres objets du droit d’auteur, notamment par la reconnaissance de mesures techniques de protection,
— et ce sont les mots suivants qui importent —
d’une façon qui favorise la culture ainsi que l’innovation, la concurrence et l’investissement dans l’économie canadienne;
Le préambule dit encore ceci:
que le Canada accroîtra sa capacité […] si l’on favorise l’utilisation des technologies numériques dans le domaine de la recherche et de l’éducation.
Dans le préambule, le projet de loi se propose d’atteindre un difficile équilibre, auquel le gouvernement aspire. Cependant, le projet de loi ne parvient pas à atteindre l’équilibre recherché, mais ce n’est pas une raison pour le condamner pour autant. Beaucoup d’améliorations y ont été apportées. Les problèmes qui restent concernent surtout un aspect précis, auquel on a fait allusion à de nombreuses reprises au cours du débat d’aujourd’hui, à savoir la gestion des droits numériques et l’utilisation de dispositifs et de technologies tels que les verrous numériques.
Ce n’est là qu’une entrée en matière à mon argumentation. Je signale qu’il est également mentionné au tout début du projet de loi, dans le préambule, que le gouvernement du Canada veut que les lois canadiennes soient conformes aux nouvelles normes internationales. On mentionne expressément l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, que je vais appeler l’OMPI. Le Traité de l’OMPI fait partie des traités auxquels le Canada veut adhérer.
Toutefois, de nombreux observateurs ont souligné que l’approche législative adoptée dans ce projet de loi dépasse les exigences de l’OMPI. J’espère que le gouvernement peut retirer certains — en fait, une bonne partie — des éléments du projet de loi que les députés de l’opposition considèrent comme inacceptables. Il faut admettre que le gouvernement a tenu compte de nombreuses préoccupations et qu’il a amélioré le projet de loi. Je sais que la mesure législative est presque identique à son prédécesseur, le projet de loi C-32, qui a été présenté à la dernière législature, mais des améliorations y ont été apportées par rapport aux premières versions. Nous sommes près du but.
Les membres conservateurs du comité, sous la direction du cabinet du premier ministre qui, j’en suis certaine, s’intéresse de près à ce projet de loi, pourraient tenir compte des différentes préoccupations des analystes et présenter un projet de loi qui vaudrait au gouvernement des éloges de part et d’autre de la Chambre des communes.
On a fait mention de M. Michael Geist dans le débat cet après-midi. Il est professeur à l’Université d’Ottawa et est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique. Selon moi, son commentaire à l’égard de la mesure législative est tout à fait juste. Il a critiqué le projet de loi au départ, le qualifiant de « défectueux, mais réparable ». Sa position n’a pas changé. Il n’y a plus qu’à corriger les défauts du projet de loi.
Selon M. Geist, le problème tient au fait que ce projet de loi est un projet de loi omnibus qui regroupe deux mesures législatives distinctes.
Au sujet de la première mesure, je pense pouvoir parler au nom de tous les députés des autres partis. Il est juste de dire que la plupart de mes collègues de la Chambre estiment que cette première mesure, qu’il a appelée la loi sur la modernisation du droit d’auteur, est généralement acceptable et de bon aloi. Certaines restrictions vont peut-être trop loin, mais en général, c’est une avancée sur la voie de la modernisation du droit d’auteur.
Il décrit l’autre partie de la loi, que nous jugeons inacceptable, et lui donne un titre: « La Loi sur le droit d’auteur portant réduction de la pression américaine. » C’est ici que le bât blesse.
La problématique touche deux volets, et j’aborderai le premier. En bref, le problème est de nature constitutionnelle, et il est très simple à expliquer. Le droit d’auteur est sans contredit un domaine de compétence fédérale alors que le droit de propriété relève des provinces. Dans la mesure où nous avons empiété sur le droit de propriété, cela cause un problème qui a été expliqué dans un article érudit publié par les professeurs Crowne-Mohammed et Rozenszajn, tous deux de l’Université de Windsor, dans le Journal of Information, Law and Technology. Voici ce qu’il en est, selon les auteurs:
Les dispositions sur la gestion des droits numériques ou GDN du projet de loi C-61 représentent une tentative à peine voilée du gouvernement pour renforcer les droits contractuels dont jouissent les détenteurs de droits d’auteur, sous couvert d’une réforme du droit d’auteur et de la mise en oeuvre des obligations internationales du Canada.
Séparons ces deux aspects. Faisons en sorte de protéger les droits d’auteur et de réaliser une réforme sans céder aux pressions des intérêts américains qui souhaitent imposer des contrôles restrictifs excessifs, sous la forme de verrous numériques. Voilà qui écarte le problème constitutionnel.
Les autres sources de préoccupation dont je voudrais parler ont trait à la politique gouvernementale. L’un des groupes de critiques qui pourfend le plus vigoureusement cette démarche est le Centre pour la défense de l’intérêt public. J’avoue que c’est l’organisation qui m’a amenée à Ottawa à l’origine, en 1985. J’ai quitté un cabinet d’avocats à Halifax pour devenir conseillère juridique principale du Centre pour la défense de l’intérêt public. Ce n’est pas vraiment un conflit d’intérêts, mais une convergence dans mon parcours. Je souhaite citer leur avis juridique:
Les consommateurs jouissent de certains droits d’utilisation du contenu sans porter atteinte au droit d’auteur. L’existence de mesures technologiques ne change rien à cela, pas plus que les lois anti-contournement. Les consommateurs devraient pouvoir contourner des mesures techniques, comme les mesures liées à la GDN, pourvu que leur accès au contenu sous-jacent ne porte pas atteinte au droit d’auteur.
Les auteurs de l’avis ajoutent ceci: « La législation anti-contournement ne devrait pas affaiblir les valeurs énoncées dans les objectifs des politiques publiques, comme le bien-être du consommateur, la liberté d’expression et l’innovation. » C’est une préoccupation relative à la politique publique qu’a exprimée le Centre pour la défense de l’intérêt public.
Comme les députés le savent, le projet de loi a essuyé les critiques de nombreux groupes, mais bien des parties de la loi n’en sont pas la cible. Les critiques portent très clairement sur le problème des verrous numériques.
Il y a un autre groupe qui a les dispositions sur les verrous numériques dans sa mire, la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada, qui est elle aussi basée à l’Université d’Ottawa. Ses membres notent que:
Malheureusement, le projet de loi cède aux pressions américaines et rend caducs les droits d’utilisation équitables chaque fois qu’il y a un « verrou numérique » sur une oeuvre, y compris dans le cas des nouvelles exceptions visant de nombreuses activités usuelles au Canada. Le verrou numérique aura préséance sur tous les autres droits, empêchant toute utilisation équitable et toute diffusion d’une oeuvre, même après l’expiration du droit d’auteur. Globalement, ces dispositions sur les verrous numériques sont parmi les plus restrictives au monde.
Voilà un autre cas où nous en faisons plus que ce qui nous est demandé pour respecter les normes du traité de l’OMPI. Les dispositions sur les verrous numériques vont trop loin.
Les ministériels nous ont dit que le projet de loi doit comprendre toutes ces mesures pour protéger les emplois au Canada. J’aimerais parler de cela.
Nous sommes conscients que l’industrie des arts et de la culture au Canada est un secteur économique fort important. C’est une industrie de 46 milliards de dollars par année qui emploie plus de 600 000 personnes. Le gouvernement devrait prendre acte que la majorité des organisations professionnelles qui représentent les créateurs de la communauté des arts et de la culture, collectivement et individuellement, lui a demandé d’amender la mesure législative, l’a même exhorté à le faire.
Je ne lirai pas le nom de toutes les organisations. Il y en a une à laquelle je confesse appartenir, The Writers’ Union of Canada, mais il y a aussi l’Académie royale des arts du Canada, la Société québécoise des auteurs dramatiques et la Writers Guild of Canada.
Par conséquent, j’invite le gouvernement à se demander pourquoi la quasi-totalité des organisations canadiennes qui représentent des créateurs est satisfaite de certaines parties du projet de loi et trouve que d’autres vont trop loin? Là-dessus, je demande aux députés d’en face de bien vouloir envisager d’amender le projet de loi afin de l’améliorer…