Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013

Elizabeth May : Monsieur le Président…

 

The Deputy Speaker : Les questions doivent être adressées à la députée de Parkdale—High Park, et non à la chef du Parti vert. La députée de Parkdale—High Park a donc la parole.

 

Peggy Nash : Monsieur le Président, le Parti vert répondra peut-être à cette question plus tard.

Passons à une autre mesure mise de l’avant par le gouvernement. Il a créé l’Office de financement de l’assurance-emploi du Canada afin de dépolitiser le financement de l’assurance-emploi. Or, les gouvernements libéraux et conservateurs avaient déjà pillé la caisse d’assurance-emploi, qui est financée grâce aux cotisations des travailleurs et des employeurs canadiens, à hauteur de 57 milliards de dollars. Le gouvernement a créé un fonds indépendant pour éviter que de telles magouilles se répètent, mais il n’y a pas mis un sou. Le fonds était vide. Il a donc immédiatement enregistré un déficit, et les cotisations ont dû être augmentées. Le gouvernement veut maintenant abolir cet office indépendant qu’il a lui-même créé afin de pouvoir de nouveau se servir de la caisse d’assurance-emploi à des fins politiques. C’est honteux. C’est scandaleux. Le gouvernement aurait ainsi accès à ces fonds; or, la caisse est financée par les cotisations des travailleurs et ce sont les chômeurs qui devraient en profiter; aucun autre programme d’aide n’est aussi important lorsque le Canada traverse une période d’insécurité et de haut taux de chômage. Le gouvernement utiliserait plutôt ces fonds pour accumuler de grands surplus ou enregistrer de faibles déficits et ainsi gagner des points sur l’échiquier politique. C’est honteux. Voilà une autre mesure que le projet de loi prévoit.

 

Elizabeth May : Monsieur le Président, je ne sais pas si mon collègue a promu ou rétrogradé la députée de Parkdale—High Park en faisant d’elle la chef du Parti vert.

Quoi qu’il en soit, le Parti vert et le NPD sont sur la même longueur d’onde dans le présent débat. Nous déplorons que le gouvernement ait, encore une fois, présenté un projet de loi omnibus; d’ailleurs, diverses mesures mises de l’avant mériteraient sans contredit de faire l’objet d’un examen parlementaire exhaustif et d’une étude en bonne et due forme en comité.

Je tiens à commencer mon analyse du projet de loi C-4 en parlant des divers amendements d’abrogation que j’ai présentés, mais débutons par deux brèves observations sur la façon dont ce projet de loi omnibus d’exécution du budget porte atteinte au Parlement.

Les conservateurs disent souvent, lorsqu’ils récitent leurs notes d’allocution, que cela n’a rien de nouveau. À chaque débat que nous tenons sur un projet de loi omnibus d’exécution du budget, on nous dit que c’est normal. Or, même si je ne suis députée que depuis 2011, je fais partie du milieu depuis longtemps et je sais que nous n’avons jamais eu de projet de loi omnibus d’exécution du budget aussi volumineux que ceux que nous avons sous le premier ministre actuel, qui font 200 pages et plus.

De 1994 à 2005, on a bien eu recours à cette méthode à l’occasion, mais ces projets de loi comptaient en moyenne 73 pages. Le premier projet de loi monstrueux est apparu sous le premier ministre actuel en 2009. Le projet de loi omnibus d’exécution du budget de 2010 comptait près de 900 pages.

Puis, en 2012, les conservateurs en ont fait leur méthode préconisée. Ironiquement, une fois que j’ai été élue, la toute première question que j’ai posée à la Chambre portait sur le budget de 2011. J’ai demandé au ministre des Finances si l’abus de procédure que représente un projet de loi omnibus était une démarche calculée. Il a répondu par la négative. Eh bien, 2011 a été la dernière année exempte de projet de loi omnibus d’exécution du budget. En 2012, le gouvernement conservateur avait adopté sa nouvelle tactique qui consiste à présenter chaque année deux projets de loi omnibus d’exécution du budget. Il en parle maintenant comme d’une tradition, un peu comme Pâques au printemps et Noël en décembre. Ainsi, il semble devenu traditionnel d’avoir un projet de loi omnibus d’exécution du budget de 300 à 400 pages au printemps, suivi d’un autre de 200, 300 ou 400 pages à l’automne. C’est la formule qu’a adoptée le gouvernement en 2012 et en 2013.

En agissant de la sorte, il bafoue carrément le Parlement. L’idée de réunir en un seul projet de loi des mesures disparates qui n’ont aucun lien entre elles, dont bon nombre n’ont jamais été mentionnées dans le budget et entraînent des effets néfastes considérables — notamment au chapitre des relations de travail dans le cas présent, et au chapitre de l’environnement pour les précédents — est une atteinte au Parlement. C’est injustifiable.

Deuxièmement, je sais que les situations comme la mienne et celle de mon parti suscitent beaucoup d’intérêt au sein de la population. Je représente clairement un parti qui compte moins de 12 députés puisqu’il n’en a qu’un seul. Je représente néanmoins un parti à la Chambre, tout comme mes collègues du Bloc québécois et, pourrait-on dire, les quatre députés indépendants. Nous avons été traités différemment. De nombreuses motions visant à apporter des amendements de fond au projet de loi ont été adoptées par divers comités, dont nous sommes exclus. Nous n’avons donc pas pu participer pleinement et équitablement au processus.

Je vais mettre cette question de côté pour l’instant. C’est la raison pour laquelle tous les amendements que je présente aujourd’hui consistent en des suppressions. J’avais des amendements de fond que j’aurais aimé présenter à l’étape du rapport. En fait, j’en ai soumis 26 au Comité des finances, mais ils ont très vite subi le couperet. J’aurais aimé que les Canadiens puissent prendre connaissance de ces amendements. J’aurais aimé pouvoir les présenter à l’étape du rapport.

Avant de passer aux parties du projet de loi sur lesquelles il faut attirer l’attention des Canadiens, je voudrais faire un commentaire général.

L’un des avantages d’être la seule députée du Parti vert et de devoir suivre tout ce qui se passe ici tout en représentant adéquatement les électeurs de ma circonscription, c’est que j’ai une vision d’ensemble de la situation. Je vois les tendances qui se dégagent. Les projets de loi qui sont présentés sont de nature disparate, mais les manoeuvres sont les mêmes. On se dirige de plus en plus vers l’octroi de pouvoirs discrétionnaires aux ministres, une réduction des critères objectifs, l’élimination des conseils et des organismes qui possèdent une expertise indépendante et la présentation de projets de loi en fonction des humeurs politiques.

C’est incontestablement ce qui s’est passé dans le cas des projets de loi C-38 et C-45. On a réduit les critères et on laisse la ministre de l’Environnement ou celui des Ressources naturelles prendre les décisions sans encadrement.

Le même phénomène se répète souvent dans le projet de loi omnibus d’exécution du budget à l’étude. J’aimerais citer quelques exemples.

Comme l’a déjà mentionné ma collègue de l’opposition officielle, les modifications proposées au Code canadien du travail viennent éliminer les postes d’agent de santé et de sécurité et laissent les décisions en la matière entre les mains du ministre.

On propose des modifications similaires dans le domaine de l’immigration. Le projet de loi C-4 viendrait modifier la section 16 de la partie 3 de la loi, qui porte sur le système de déclaration d’intérêt et vise les immigrants qui représentent un avantage économique. Encore plus de décisions seraient laissées à la discrétion du ministre.

D’autres modifications remplacent un système objectif par la discrétion ministérielle, notamment celles qui se trouvent à la section 14 et qui remplacent la Loi relative aux répercussions du projet gazier Mackenzie par la Loi sur le Fonds relatif aux répercussions du projet gazier Mackenzie, qui est très semblable. La grande différence entre les deux lois, c’est que la nouvelle mettrait les décisions en matière d’attribution de fonds entre les mains du ministre, alors que précédemment, c’était une organisation régionale qui prenait ces décisions de manière objective.

Mon collègue, le député néo-démocrate de Western Arctic, un grand expert dans le domaine, a dit ceci:

Le gouvernement conservateur a mis sur pied, au moyen d’une loi du Parlement, un organisme indépendant dont le rôle consistait à gérer ces fonds de façon rigoureuse, conformément aux procédures établies et aux plans élaborés par ces communautés pendant une période de deux ans, de 2006 à 2008.

Il a ajouté:

Ce qu’on nous propose aujourd’hui, c’est un système selon lequel un ministre conservateur pourra distribuer des chèques en fonction des projets qui lui plaisent.

Avant de passer aux détails du projet de loi C-4, je tenais à souligner l’existence d’un thème idéologique récurrent: nous sommes dans une démocratie parlementaire, mais le gouvernement transfère petit à petit le pouvoir décisionnel du Parlement au Cabinet et renforce du même coup le pouvoir discrétionnaire des ministres pour leur permettre davantage de prendre des décisions sans encadrement.

Les députés qui ont déjà pratiqué le droit savent que des dispositions législatives d’ordre administratif imputent au ministre certaines obligations de reddition de comptes ou délèguent même ce pouvoir à un comité d’experts. De telles dispositions seront de plus en plus rares. Les décisions discrétionnaires du ministre seront de plus en plus courantes. Et nous savons que, dans les faits, ce ne sont pas vraiment les ministres qui prennent ces décisions. Elles leur sont dictées par le Cabinet du premier ministre. Un conservateur a d’ailleurs fait une comparaison qui illustre pertinemment la situation: les ministres sont comme les épouses robotisées du roman Les femmes de Stepford, et leurs décisions doivent être conformes à la doctrine.

En somme, le projet de loi amoindrirait considérablement les dispositions sur la santé et la sécurité contenues dans le Code canadien du travail. Il changerait la définition du danger et le droit de refuser un travail dangereux. Il éliminerait les fonctions d’agent de santé et de sécurité.

En outre, un autre article de ce projet de loi changerait la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, de manière à augmenter le pouvoir discrétionnaire du ministre encore une fois. Il pourrait plus facilement classer des services publics comme essentiels, ce qui les soustrairait à l’exercice, par les syndicats, des droits habituels des travailleurs dans les négociations.

Le pouvoir discrétionnaire du ministre augmenterait également dans la Loi sur l’immigration. Permettez-moi de citer le point de vue de l’Association du Barreau canadien sur les dispositions du projet de loi concernant le droit de l’immigration. Elle a écrit ce qui suit au comité:

La Section de l’ABC est préoccupée du peu de consultation sur cet important changement à la loi et aux politiques canadiennes d’immigration. Le projet de loi C-4 transformerait la façon dont sont choisis les immigrants économiques admis au Canada, sans que le Parlement examine et approuve les changements. Il conférerait au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ce qui semble être un pouvoir unilatéral de modifier les règles et les procédures de sélection.

Un autre article du projet de loi a très peu retenu l’attention du public. Il s’agit de l’article se trouvant à la section 7 de la partie 3. Il vise à faciliter la réduction du déficit par la vente d’actifs, notamment la Réserve fédérale de charbon, qui s’étend sur une superficie de 20 000 hectares.

Si mes amendements avaient été adoptés par le comité, ils auraient ajouté à la loi des dispositions protégeant la nature. Les terres de la Réserve fédérale de charbon sont parmi les plus importantes au Canada sur le plan écologique. Elles comprennent les vallées des rivières Flathead et Elk et font partie intégrante de ce qu’on appelle la Couronne du continent, tout près du Parc international de la paix Waterton-Glacier, qui s’étend des deux côtés de la frontière.

Étrangement, la vallée de la rivière Flathead a été protégée au fil des ans parce qu’elle appartenait à l’État fédéral, mais le gouvernement compte maintenant la vendre pour qu’on puisse y exploiter des mines de charbon. Nous devons voir à ce que la cession de ces terres fasse l’objet de toutes les précautions nécessaires, de manière à ce qu’aucune contamination n’atteigne le parc adjacent. Les Nations Unies ont déjà exprimé des préoccupations à cet égard.

 

Kevin Lamoureux : Monsieur le Président, j’aimerais, à l’instar de la députée, souligner encore une fois l’importance des lois sur l’immigration et sur d’autres questions qui ont été incorporées dans ce projet de loi. Je l’ai toujours dit et je vais continuer de le dire, ce n’est pas la bonne façon de déposer des projets de loi, car cela entrave l’examen adéquat de mesures législatives importantes.

Par exemple, lorsque la chef du Parti vert parle des changements proposés en matière d’immigration, j’estime que ces changements auraient dû faire l’objet d’un projet de loi distinct, qui aurait été examiné séparément en comité, à l’étape de la deuxième lecture. De cette façon, nous aurions pu convoquer des parties prenantes et des témoins devant le comité pour qu’ils nous fassent des suggestions. Cela aurait permis ensuite un débat à la Chambre beaucoup plus substantiel et beaucoup plus enrichissant sur les changements proposés.

J’aimerais inviter la députée à expliquer, à l’intention de ceux qui suivent nos délibérations, les problèmes que cette façon de procéder va causer sur le plan de l’immigration ou à d’autres égards.

 

Elizabeth May : Monsieur le Président, ça va être très difficile de faire la liste de tous ces problèmes. On se souviendra que, dans les projets de loi omnibus précédents, même les erreurs de libellé n’avaient pas été corrigées. On sait bien que lorsqu’un projet de loi est adopté à la va-vite, et que le comité qui connaît bien le dossier n’a pas le loisir de l’examiner, ses lacunes apparaissent tôt ou tard, parfois six mois plus tard, et le gouvernement doit alors remédier à la situation.

Comme on dit familièrement, ouvrage hâté, ouvrage bâclé. Et le gouvernement finit par être obligé de présenter des amendements pour corriger les problèmes. Ce projet de loi contient des amendements visant à corriger des erreurs que le gouvernement a faites la dernière fois en voulant modifier le système d’assurance-emploi pour les pêcheurs.

Ce qu’il faut bien comprendre, à un niveau plus fondamental, c’est que nous sommes en train d’assister à une mutation radicale de notre processus législatif, en ce sens que les lois qui étaient jadis élaborées dans le cadre d’un système de critères et de contrôles bien précis sont aujourd’hui soumises à un dispositif placé sous la mainmise du Cabinet du premier ministre, qui oblige les ministres à obéir sans sourciller, et qui écarte du processus décisionnel tous ceux qui connaissent vraiment le dossier.

 

Peggy Nash : Monsieur le Président, l’un des 70 changements proposés à ce projet de loi concerne le droits des fonctionnaires à la négociation collective. Contrairement au secteur privé, le gouvernement veut se donner le droit illimité de déterminer quels fonctionnaires sont essentiels. Mais alors, rien ne l’empêcherait de déterminer que la majorité des fonctionnaires appartenant à une unité de négociation sont des travailleurs essentiels, ce qui reviendrait à les priver de leur droit à la négociation collective et de leur droit de grève. La société Coca-Cola ne peut pas faire ça avec ses employés, mais pourtant, c’est ce que le ministre propose de faire.

Le député peut-il nous dire quel impact cela aura sur les négociations collectives dans la fonction publique ?

 

Elizabeth May : Monsieur le Président, ce projet de loi, à l’instar d’autres mesures législatives que nous avons étudiées au Parlement, frapperait au coeur des négociations collectives. J’ai un parti pris, je l’avoue, car j’ai travaillé pour des syndicats et une entreprise proche du milieu syndical. De plus, j’ai participé à la négociation de conventions collectives.

Les principes de la négociation collective sont importants. Si le syndicat et l’employeur ont à peu près les mêmes outils à leur disposition, l’employeur a un droit de lock-out et le syndicat a un droit de grève. Si on abolit ce principe, l’employeur dictera les modalités et les employés n’auront aucun recours.

Dans les démocraties et les économies saines, et dans les pays où la société civile est vigoureuse et où l’écart entre les plus riches et les plus pauvres est faible, la force du mouvement syndical est l’un des meilleurs indicateurs d’une société dynamique et d’une classe moyenne robuste. Il n’est pas dans l’intérêt du Canada de frapper au coeur des négociations collectives dans la fonction publique fédérale, comme le fait ce projet de loi.

Elizabeth May : Monsieur le Président…

 

The Deputy Speaker : Les questions doivent être adressées à la députée de Parkdale—High Park, et non à la chef du Parti vert. La députée de Parkdale—High Park a donc la parole.

 

Peggy Nash : Monsieur le Président, le Parti vert répondra peut-être à cette question plus tard.

Passons à une autre mesure mise de l’avant par le gouvernement. Il a créé l’Office de financement de l’assurance-emploi du Canada afin de dépolitiser le financement de l’assurance-emploi. Or, les gouvernements libéraux et conservateurs avaient déjà pillé la caisse d’assurance-emploi, qui est financée grâce aux cotisations des travailleurs et des employeurs canadiens, à hauteur de 57 milliards de dollars. Le gouvernement a créé un fonds indépendant pour éviter que de telles magouilles se répètent, mais il n’y a pas mis un sou. Le fonds était vide. Il a donc immédiatement enregistré un déficit, et les cotisations ont dû être augmentées. Le gouvernement veut maintenant abolir cet office indépendant qu’il a lui-même créé afin de pouvoir de nouveau se servir de la caisse d’assurance-emploi à des fins politiques. C’est honteux. C’est scandaleux. Le gouvernement aurait ainsi accès à ces fonds; or, la caisse est financée par les cotisations des travailleurs et ce sont les chômeurs qui devraient en profiter; aucun autre programme d’aide n’est aussi important lorsque le Canada traverse une période d’insécurité et de haut taux de chômage. Le gouvernement utiliserait plutôt ces fonds pour accumuler de grands surplus ou enregistrer de faibles déficits et ainsi gagner des points sur l’échiquier politique. C’est honteux. Voilà une autre mesure que le projet de loi prévoit.

 

Elizabeth May : Monsieur le Président, je ne sais pas si mon collègue a promu ou rétrogradé la députée de Parkdale—High Park en faisant d’elle la chef du Parti vert.

Quoi qu’il en soit, le Parti vert et le NPD sont sur la même longueur d’onde dans le présent débat. Nous déplorons que le gouvernement ait, encore une fois, présenté un projet de loi omnibus; d’ailleurs, diverses mesures mises de l’avant mériteraient sans contredit de faire l’objet d’un examen parlementaire exhaustif et d’une étude en bonne et due forme en comité.

Je tiens à commencer mon analyse du projet de loi C-4 en parlant des divers amendements d’abrogation que j’ai présentés, mais débutons par deux brèves observations sur la façon dont ce projet de loi omnibus d’exécution du budget porte atteinte au Parlement.

Les conservateurs disent souvent, lorsqu’ils récitent leurs notes d’allocution, que cela n’a rien de nouveau. À chaque débat que nous tenons sur un projet de loi omnibus d’exécution du budget, on nous dit que c’est normal. Or, même si je ne suis députée que depuis 2011, je fais partie du milieu depuis longtemps et je sais que nous n’avons jamais eu de projet de loi omnibus d’exécution du budget aussi volumineux que ceux que nous avons sous le premier ministre actuel, qui font 200 pages et plus.

De 1994 à 2005, on a bien eu recours à cette méthode à l’occasion, mais ces projets de loi comptaient en moyenne 73 pages. Le premier projet de loi monstrueux est apparu sous le premier ministre actuel en 2009. Le projet de loi omnibus d’exécution du budget de 2010 comptait près de 900 pages.

Puis, en 2012, les conservateurs en ont fait leur méthode préconisée. Ironiquement, une fois que j’ai été élue, la toute première question que j’ai posée à la Chambre portait sur le budget de 2011. J’ai demandé au ministre des Finances si l’abus de procédure que représente un projet de loi omnibus était une démarche calculée. Il a répondu par la négative. Eh bien, 2011 a été la dernière année exempte de projet de loi omnibus d’exécution du budget. En 2012, le gouvernement conservateur avait adopté sa nouvelle tactique qui consiste à présenter chaque année deux projets de loi omnibus d’exécution du budget. Il en parle maintenant comme d’une tradition, un peu comme Pâques au printemps et Noël en décembre. Ainsi, il semble devenu traditionnel d’avoir un projet de loi omnibus d’exécution du budget de 300 à 400 pages au printemps, suivi d’un autre de 200, 300 ou 400 pages à l’automne. C’est la formule qu’a adoptée le gouvernement en 2012 et en 2013.

En agissant de la sorte, il bafoue carrément le Parlement. L’idée de réunir en un seul projet de loi des mesures disparates qui n’ont aucun lien entre elles, dont bon nombre n’ont jamais été mentionnées dans le budget et entraînent des effets néfastes considérables — notamment au chapitre des relations de travail dans le cas présent, et au chapitre de l’environnement pour les précédents — est une atteinte au Parlement. C’est injustifiable.

Deuxièmement, je sais que les situations comme la mienne et celle de mon parti suscitent beaucoup d’intérêt au sein de la population. Je représente clairement un parti qui compte moins de 12 députés puisqu’il n’en a qu’un seul. Je représente néanmoins un parti à la Chambre, tout comme mes collègues du Bloc québécois et, pourrait-on dire, les quatre députés indépendants. Nous avons été traités différemment. De nombreuses motions visant à apporter des amendements de fond au projet de loi ont été adoptées par divers comités, dont nous sommes exclus. Nous n’avons donc pas pu participer pleinement et équitablement au processus.

Je vais mettre cette question de côté pour l’instant. C’est la raison pour laquelle tous les amendements que je présente aujourd’hui consistent en des suppressions. J’avais des amendements de fond que j’aurais aimé présenter à l’étape du rapport. En fait, j’en ai soumis 26 au Comité des finances, mais ils ont très vite subi le couperet. J’aurais aimé que les Canadiens puissent prendre connaissance de ces amendements. J’aurais aimé pouvoir les présenter à l’étape du rapport.

Avant de passer aux parties du projet de loi sur lesquelles il faut attirer l’attention des Canadiens, je voudrais faire un commentaire général.

L’un des avantages d’être la seule députée du Parti vert et de devoir suivre tout ce qui se passe ici tout en représentant adéquatement les électeurs de ma circonscription, c’est que j’ai une vision d’ensemble de la situation. Je vois les tendances qui se dégagent. Les projets de loi qui sont présentés sont de nature disparate, mais les manoeuvres sont les mêmes. On se dirige de plus en plus vers l’octroi de pouvoirs discrétionnaires aux ministres, une réduction des critères objectifs, l’élimination des conseils et des organismes qui possèdent une expertise indépendante et la présentation de projets de loi en fonction des humeurs politiques.

C’est incontestablement ce qui s’est passé dans le cas des projets de loi C-38 et C-45. On a réduit les critères et on laisse la ministre de l’Environnement ou celui des Ressources naturelles prendre les décisions sans encadrement.

Le même phénomène se répète souvent dans le projet de loi omnibus d’exécution du budget à l’étude. J’aimerais citer quelques exemples.

Comme l’a déjà mentionné ma collègue de l’opposition officielle, les modifications proposées au Code canadien du travail viennent éliminer les postes d’agent de santé et de sécurité et laissent les décisions en la matière entre les mains du ministre.

On propose des modifications similaires dans le domaine de l’immigration. Le projet de loi C-4 viendrait modifier la section 16 de la partie 3 de la loi, qui porte sur le système de déclaration d’intérêt et vise les immigrants qui représentent un avantage économique. Encore plus de décisions seraient laissées à la discrétion du ministre.

D’autres modifications remplacent un système objectif par la discrétion ministérielle, notamment celles qui se trouvent à la section 14 et qui remplacent la Loi relative aux répercussions du projet gazier Mackenzie par la Loi sur le Fonds relatif aux répercussions du projet gazier Mackenzie, qui est très semblable. La grande différence entre les deux lois, c’est que la nouvelle mettrait les décisions en matière d’attribution de fonds entre les mains du ministre, alors que précédemment, c’était une organisation régionale qui prenait ces décisions de manière objective.

Mon collègue, le député néo-démocrate de Western Arctic, un grand expert dans le domaine, a dit ceci:

Le gouvernement conservateur a mis sur pied, au moyen d’une loi du Parlement, un organisme indépendant dont le rôle consistait à gérer ces fonds de façon rigoureuse, conformément aux procédures établies et aux plans élaborés par ces communautés pendant une période de deux ans, de 2006 à 2008.

Il a ajouté:

Ce qu’on nous propose aujourd’hui, c’est un système selon lequel un ministre conservateur pourra distribuer des chèques en fonction des projets qui lui plaisent.

Avant de passer aux détails du projet de loi C-4, je tenais à souligner l’existence d’un thème idéologique récurrent: nous sommes dans une démocratie parlementaire, mais le gouvernement transfère petit à petit le pouvoir décisionnel du Parlement au Cabinet et renforce du même coup le pouvoir discrétionnaire des ministres pour leur permettre davantage de prendre des décisions sans encadrement.

Les députés qui ont déjà pratiqué le droit savent que des dispositions législatives d’ordre administratif imputent au ministre certaines obligations de reddition de comptes ou délèguent même ce pouvoir à un comité d’experts. De telles dispositions seront de plus en plus rares. Les décisions discrétionnaires du ministre seront de plus en plus courantes. Et nous savons que, dans les faits, ce ne sont pas vraiment les ministres qui prennent ces décisions. Elles leur sont dictées par le Cabinet du premier ministre. Un conservateur a d’ailleurs fait une comparaison qui illustre pertinemment la situation: les ministres sont comme les épouses robotisées du roman Les femmes de Stepford, et leurs décisions doivent être conformes à la doctrine.

En somme, le projet de loi amoindrirait considérablement les dispositions sur la santé et la sécurité contenues dans le Code canadien du travail. Il changerait la définition du danger et le droit de refuser un travail dangereux. Il éliminerait les fonctions d’agent de santé et de sécurité.

En outre, un autre article de ce projet de loi changerait la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, de manière à augmenter le pouvoir discrétionnaire du ministre encore une fois. Il pourrait plus facilement classer des services publics comme essentiels, ce qui les soustrairait à l’exercice, par les syndicats, des droits habituels des travailleurs dans les négociations.

Le pouvoir discrétionnaire du ministre augmenterait également dans la Loi sur l’immigration. Permettez-moi de citer le point de vue de l’Association du Barreau canadien sur les dispositions du projet de loi concernant le droit de l’immigration. Elle a écrit ce qui suit au comité:

La Section de l’ABC est préoccupée du peu de consultation sur cet important changement à la loi et aux politiques canadiennes d’immigration. Le projet de loi C-4 transformerait la façon dont sont choisis les immigrants économiques admis au Canada, sans que le Parlement examine et approuve les changements. Il conférerait au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ce qui semble être un pouvoir unilatéral de modifier les règles et les procédures de sélection.

Un autre article du projet de loi a très peu retenu l’attention du public. Il s’agit de l’article se trouvant à la section 7 de la partie 3. Il vise à faciliter la réduction du déficit par la vente d’actifs, notamment la Réserve fédérale de charbon, qui s’étend sur une superficie de 20 000 hectares.

Si mes amendements avaient été adoptés par le comité, ils auraient ajouté à la loi des dispositions protégeant la nature. Les terres de la Réserve fédérale de charbon sont parmi les plus importantes au Canada sur le plan écologique. Elles comprennent les vallées des rivières Flathead et Elk et font partie intégrante de ce qu’on appelle la Couronne du continent, tout près du Parc international de la paix Waterton-Glacier, qui s’étend des deux côtés de la frontière.

Étrangement, la vallée de la rivière Flathead a été protégée au fil des ans parce qu’elle appartenait à l’État fédéral, mais le gouvernement compte maintenant la vendre pour qu’on puisse y exploiter des mines de charbon. Nous devons voir à ce que la cession de ces terres fasse l’objet de toutes les précautions nécessaires, de manière à ce qu’aucune contamination n’atteigne le parc adjacent. Les Nations Unies ont déjà exprimé des préoccupations à cet égard.

 

Kevin Lamoureux : Monsieur le Président, j’aimerais, à l’instar de la députée, souligner encore une fois l’importance des lois sur l’immigration et sur d’autres questions qui ont été incorporées dans ce projet de loi. Je l’ai toujours dit et je vais continuer de le dire, ce n’est pas la bonne façon de déposer des projets de loi, car cela entrave l’examen adéquat de mesures législatives importantes.

Par exemple, lorsque la chef du Parti vert parle des changements proposés en matière d’immigration, j’estime que ces changements auraient dû faire l’objet d’un projet de loi distinct, qui aurait été examiné séparément en comité, à l’étape de la deuxième lecture. De cette façon, nous aurions pu convoquer des parties prenantes et des témoins devant le comité pour qu’ils nous fassent des suggestions. Cela aurait permis ensuite un débat à la Chambre beaucoup plus substantiel et beaucoup plus enrichissant sur les changements proposés.

J’aimerais inviter la députée à expliquer, à l’intention de ceux qui suivent nos délibérations, les problèmes que cette façon de procéder va causer sur le plan de l’immigration ou à d’autres égards.

 

Elizabeth May : Monsieur le Président, ça va être très difficile de faire la liste de tous ces problèmes. On se souviendra que, dans les projets de loi omnibus précédents, même les erreurs de libellé n’avaient pas été corrigées. On sait bien que lorsqu’un projet de loi est adopté à la va-vite, et que le comité qui connaît bien le dossier n’a pas le loisir de l’examiner, ses lacunes apparaissent tôt ou tard, parfois six mois plus tard, et le gouvernement doit alors remédier à la situation.

Comme on dit familièrement, ouvrage hâté, ouvrage bâclé. Et le gouvernement finit par être obligé de présenter des amendements pour corriger les problèmes. Ce projet de loi contient des amendements visant à corriger des erreurs que le gouvernement a faites la dernière fois en voulant modifier le système d’assurance-emploi pour les pêcheurs.

Ce qu’il faut bien comprendre, à un niveau plus fondamental, c’est que nous sommes en train d’assister à une mutation radicale de notre processus législatif, en ce sens que les lois qui étaient jadis élaborées dans le cadre d’un système de critères et de contrôles bien précis sont aujourd’hui soumises à un dispositif placé sous la mainmise du Cabinet du premier ministre, qui oblige les ministres à obéir sans sourciller, et qui écarte du processus décisionnel tous ceux qui connaissent vraiment le dossier.

 

Peggy Nash : Monsieur le Président, l’un des 70 changements proposés à ce projet de loi concerne le droits des fonctionnaires à la négociation collective. Contrairement au secteur privé, le gouvernement veut se donner le droit illimité de déterminer quels fonctionnaires sont essentiels. Mais alors, rien ne l’empêcherait de déterminer que la majorité des fonctionnaires appartenant à une unité de négociation sont des travailleurs essentiels, ce qui reviendrait à les priver de leur droit à la négociation collective et de leur droit de grève. La société Coca-Cola ne peut pas faire ça avec ses employés, mais pourtant, c’est ce que le ministre propose de faire.

Le député peut-il nous dire quel impact cela aura sur les négociations collectives dans la fonction publique ?

 

Elizabeth May : Monsieur le Président, ce projet de loi, à l’instar d’autres mesures législatives que nous avons étudiées au Parlement, frapperait au coeur des négociations collectives. J’ai un parti pris, je l’avoue, car j’ai travaillé pour des syndicats et une entreprise proche du milieu syndical. De plus, j’ai participé à la négociation de conventions collectives.

Les principes de la négociation collective sont importants. Si le syndicat et l’employeur ont à peu près les mêmes outils à leur disposition, l’employeur a un droit de lock-out et le syndicat a un droit de grève. Si on abolit ce principe, l’employeur dictera les modalités et les employés n’auront aucun recours.

Dans les démocraties et les économies saines, et dans les pays où la société civile est vigoureuse et où l’écart entre les plus riches et les plus pauvres est faible, la force du mouvement syndical est l’un des meilleurs indicateurs d’une société dynamique et d’une classe moyenne robuste. Il n’est pas dans l’intérêt du Canada de frapper au coeur des négociations collectives dans la fonction publique fédérale, comme le fait ce projet de loi.