La qualité de l’eau potable dans les collectivités des Premières nations – discours

Propose: Que la Chambre demande au gouvernement du Canada de répondre de façon prioritaire aux besoins des collectivités des Premières nations dont les membres n’ont pas accès à de l’eau courante propre dans leurs maisons; que les mesures visant à corriger cette inégalité soient prises au plus tard au printemps 2012; que la Chambre reconnaisse en outre que le fait de ne pas répondre à ce besoin essentiel constitue un outrage constant à notre sens de la justice et de l’équité en tant que Canadiens.

Monsieur le Président, je partagerai le temps de parole qui m’est accordé avec le député de Bonavista—Gander—Grand Falls—Windsor. Je voudrais prendre un instant pour le remercier, lui qui appartient à un autre parti, pour avoir généreusement et magnanimement permis au Parti vert de participer au débat sur cette importante motion présentée dans le cadre d’une journée de l’opposition.

Nous nous inquiétons, comme tous les partis présents aux Communes, du scandale que constitue actuellement le manquement du gouvernement fédéral à son obligation de fiduciaire, en vertu de la loi et de la Constitution, de fournir de l’eau potable à tous les membres des collectivités des Premières nations. Cette obligation est fondamentale, est profondément enchâssée dans la Constitution et est conforme à des valeurs que tous les députés partagent. Ce n’est pas seulement une obligation juridique, mais aussi une obligation morale.

C’est un scandale perpétuel qui heurte la conscience de tous les Canadiens lorsqu’ils s’aperçoivent que des systèmes d’approvisionnement en eau potable dignes du tiers monde existent un peu partout dans ce vaste pays riche, et que ces systèmes sont réservés presque exclusivement aux Premières nations.

Je voudrais essayer de proposer des solutions de nature à régler le problème, puisque nous discutons de la manière la moins partisane possible.

Force est de reconnaître que les statistiques sur cette question sont une honte pour le Canada. Seulement 27 p. 100 des Premières nations ont de l’eau potable pouvant être considérée comme sûre, 39 p. 100 de l’approvisionnement en eau potable est jugé comme présentant des risques élevés et 34 p. 100 comme présentant un risque modéré. Les Premières nations elles-mêmes ont remis en question ces statistiques du ministère des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien qui affirme que ces chiffres sont recueillis de façon un peu arbitraire, mais que ce sont les seuls qui sont disponibles.

La Presse canadienne a appris, par un document obtenu en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, que, en un seul mois, soit en mai dernier, 223 mises en garde et avis ont été émis dans les collectivités des Premières nations.

Ces chiffres sont atterrants, mais ils ne diminuent pas en dépit des gouvernements qui se succèdent. Il ne fait aucun doute que les gouvernement libéraux et que l’actuel gouvernement conservateur ont fait des annonces, ont fourni du financement et ont affirmé leur intention de s’attaquer au problème. Pourtant, cette situation scandaleuse n’est toujours pas réglée.

Je me rappelle à quel point j’ai été choquée lorsqu’un ami qui travaillait dans la collectivité autochtone de Burnt Church, au Nouveau-Brunswick, m’a raconté que l’hôpital local devait faire venir l’eau par camion. Quand on voit que, faute d’un approvisionnement en eau potable sûre, un hôpital local doit faire venir de l’eau en bouteille par camion, force est de conclure que le gouvernement se soucie bien peu des collectivités des Premières nations.

Quels sont les problèmes dans ce dossier? Certains ont été abordés dans le bref échange entre le secrétaire parlementaire et la députée d’Edmonton—Strathcona. La députée d’Edmonton—Strathcona s’occupe de ce dossier depuis longtemps, puisqu’elle a écrit un ouvrage sur la gouvernance des Premières nations au chapitre de l’eau.

De toute évidence, il faut commencer à chercher une solution qui respecte vraiment les droits, les compétences et les responsabilités des Premières nations elles-mêmes. Comme l’a dit le grand chef Shawn Atleo de l’Assemblée des Premières Nations, c’est à cet égard que la mesure législative du gouvernement précédent, qui a d’abord été présentée au Sénat, en l’occurrence le projet de loi S-11, était si irrémédiablement lacunaire. Elle ne reposait même pas sur un engagement respectant les droits et les compétences des Premières nations. Voilà par où il faut commencer.

Dans le passé, le gouvernement a déclaré qu’il entamerait des consultations avec les Premières nations pour élaborer un modèle de gouvernance efficace en ce qui concerne l’approvisionnement en eau. À ce jour, 13 séances d’information et de participation ont eu lieu, toutes en 2009. Ce n’est pas là le genre d’engagement qu’il faut établir avec les gouvernements des Premières nations pour élaborer un modèle de gouvernance efficace axé sur des compétences partagées pour ce qui est des systèmes d’aqueduc et d’égout. Comment élaborer un tel modèle? Il faut commencer par présenter aux Premières nations l’idée de compétences partagées.

Après avoir vu à ce que les droits des Premières nations et leur champ de compétences soient respectés, nous devrons écouter ce que leurs représentants ont à dire à ce sujet. D’après le grand chef Shawn Atleo, les capacités ne sont pas suffisantes. Autrement dit, nous pourrions imposer certains règlements aux collectivités des Premières nations mais oublier de régler des questions globales, de respecter le savoir traditionnel ou de soutenir ces collectivités dans une optique de respect et de négociations entre deux gouvernements, autant d’éléments importants pour concevoir des modèles de gouvernance de l’eau dans les Premières nations qui fonctionneraient vraiment et seraient soutenus par des capacités accrues.

On n’a pas seulement besoin de tuyaux. Les besoins sont beaucoup plus vastes. Il faut adopter une approche holistique et répondre aux exigences des collectivités des Premières nations.

Oui, il nous faut effectivement plus d’argent. Ce sera essentiel pour pouvoir mettre en place un cadre efficace. Il faudra des systèmes de traitement de l’eau, des systèmes adaptés au contexte des Premières nations, qui vivent souvent dans des régions isolées.

Nous devons arrêter de polluer l’eau des Premières nations. C’est vraiment fondamental. Quand une communauté vit en aval d’une grande usine de pâtes et papier qui ne porte pas attention à ses effluents, qu’elle vit en aval des sables bitumineux de l’Athabasca ou d’une autre source de pollution — je pense par exemple aux collectivités où vivaient beaucoup de grues et dont l’environnement était fortement contaminé par le mercure provenant de grandes centrales électriques — cette communauté sera aux prises avec des problèmes de pollution de l’eau qui dépasseront les simples bactéries. Et la solution ne pourra pas porter que sur les bactéries.

Cette vision holistique suppose qu’on protège l’eau à la source, qu’on s’assure que les Premières nations aient les capacités requises et qu’on respecte les droits et les champs de compétence des collectivités des Premières nations.

Je n’accuse personne ici quel que soit son parti. Il faut que sur cette question nous agissions pour une fois sans parti pris, en reconnaissant que cette situation d’échec est le résultat d’un enchaînement qu’on ne peut pas attribuer à un gouvernement ou à un autre.

C’est quelque chose qui nous interpelle en tant que nation; nous devons tous ensemble reconnaître qu’il s’agit avant tout d’une question de gouvernance puisque nous sommes sur le territoire de quelqu’un d’autre. Très concrètement, où qu’on soit au Canada, on est sur le territoire de quelqu’un d’autre. Mais dans le cas précis des collectivités des Premières nations, on ne peut pas renier, on ne peut pas ignorer, on ne peut pas escamoter, parce que c’est bien pratique, ces droits et ces responsabilités relevant d’un champ de compétence en décidant d’installer une usine d’épuration d’eau d’un certain type et en disant aux gens comment elle va fonctionner.

Comme chacun le sait, nous avons eu au Canada suffisamment de problèmes avec des usines très perfectionnées de traitement de l’eau dans des collectivités non autochtones pour nous abstenir de toute arrogance en la matière. On songe au grand fiasco de l’usine de traitement d’eau d’Halifax, après des dépenses de milliards de dollars. Il faut aborder cette question dans le cadre d’un partenariat pour que toutes les collectivités des Premières nations aient accès à de l’eau potable.

Pour l’avenir, cette journée de débat et de discussion à la Chambre des communes constitue un excellent point de départ. On nous a certainement rappelés à l’ordre. Sheila Fraser, la vérificatrice générale, a dit dans sa dernière allocution à l’intention des parlementaires que nous sommes qu’après avoir publié pendant des années des rapports dénonçant l’absence d’eau potable dans les collectivités des Premières nations, elle se demandait si nous réussirions un jour à progresser le moindrement dans ce dossier.

C’est le moment. Saisissons l’occasion. Nous sommes unis. Nous sommes d’accord sur quelque chose. Alors agissons ensemble.

Ma dernière réflexion concerne la question de l’eau potable en général au Canada. Puisque nous parlons ici de l’eau potable pour les Premières nations en toute impartialité, quelle que soit notre allégeance politique, ne pourrions-nous pas discuter plus généralement de la façon dont nous réglementons l’eau potable?

Je n’ai peut-être pas raison, mais je veux partager cette réflexion. Je pense tout haut. Est-ce parce qu’il y a quelque chose de mal à vouloir établir un cadre général pour l’eau potable au Canada que nous ne réglementons pas l’eau potable? Pourtant, on réglemente la sécurité alimentaire. Au fil des ans, on a essayé plusieurs fois au Sénat de présenter un projet de loi désignant l’eau comme un produit alimentaire pour que sa salubrité puisse faire l’objet d’une réglementation.

Nous ne réglementons pas la salubrité de l’eau. Santé Canada a établi des normes gouvernementales fédérales, mais il n’existe aucun mécanisme d’application. De façon générale, l’application de la réglementation relative à la salubrité de l’eau potable au Canada se fait lorsqu’il y a des cas médiatisés. À moins qu’il ne s’agisse d’une situation désespérée comme à Walkerton, il arrive parfois que les cas de non-respect des normes en matière d’eau potable, même à l’extérieur des réserves, n’obtiennent pas l’attention voulue.

Le moment est peut-être venu de reconnaître qu’une loi canadienne sur la salubrité de l’eau potable s’impose, une loi qui s’appliquerait à toutes les sources d’eau potable au pays. Une telle loi créerait un cadre fédéral aux termes duquel les droits, les responsabilités ainsi que les compétences des Premières nations pourraient être respectés puisque nous corrigerions les lacunes en prévoyant d’importantes ressources afin d’approvisionner l’ensemble du pays en eau potable, mais surtout les réserves des Premières nations de l’ensemble du Canada. Nous partageons avec les Premières nations cette responsabilité fédérale exclusive.

Je suis reconnaissante de l’occasion qui m’a été donnée d’intervenir sur le sujet. Je répondrai avec plaisir aux questions.