Elizabeth May : Monsieur le Président, je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi C-38.
Je suis très triste, car ce projet de loi est le pire de tous les projets de loi de ce Parlement, et ce pour deux raisons.
Premièrement, le gouvernement a choisi de présenter, sans consultation et de façon illégitime et scandaleuse, des changements fondamentaux à plusieurs lois qui touchent les aspects environnementaux, sociaux et économiques de la vie canadienne. Ce processus est inacceptable et va à l’encontre de la vraie démocratie.
Deuxièmement, au-delà de ce processus insultant, ce projet de loi qui, dans sa forme, est censé être un projet de loi d’exécution du budget a, au fond, des visées bien différentes. La teneur des modifications est tout aussi alarmante.
Permettez-moi d’expliquer pourquoi c’est un très mauvais projet de loi. Durant le débat abrégé sur ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture — auquel j’ai assisté —, les députés conservateurs ont énuméré toutes les dispositions qu’ils aiment et les députés de l’opposition ont énuméré toutes celles qu’ils n’aiment pas. Or, ils ont passé sous silence une pièce importante du casse-tête.
En outre, dans le cadre de ce débat, les députés ont parlé de mesures budgétaires — comme la lutte contre le déficit — qui ne figurent même pas dans le projet de loi C-38. Il a notamment été question de mesures auxquelles nous sommes opposés, comme la fermeture du Centre pour la défense des végétaux situé dans ma circonscription — lequel joue un rôle essentiel dans la protection de la santé de l’économie, surtout dans les régions vinicoles et les vineries — et l’abolition d’emplois dans les parcs nationaux, notamment des emplois dans le domaine de la conservation des écosystèmes dans le parc national des Îles-Gulf, situé dans ma circonscription, Saanich—Gulf Islands.
Quoiqu’il en soit, je le répète, ces mesures ne figurent pas dans le projet de loi C-38. Le débat se résume à un combat de listes: nous aimons telle disposition et nous détestons telle autre.
Permettez-moi de prendre un peu de recul et d’essayer de comprendre les tenants et les aboutissants du projet de loi. Pourquoi le gouvernement a-t-il présenté une aussi longue liste de mesures et pourquoi la majorité des changements importants vident-ils nos lois environnementales de leur substance?
J’ai participé à l’élaboration de la plupart des lois environnementales — plus particulièrement la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale et la Loi sur la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie — que le gouvernement veut maintenant vider de leur substance. À mon avis, nous assistons à un changement d’attitude.
J’ai travaillé au sein du gouvernement Mulroney. Les progressistes-conservateurs avaient compris que conservatisme et conservation de l’environnement vont de pair. L’actuel gouvernement conservateur semble avoir une vision différente. Il s’éloigne des traditions et des racines de gens comme John Fraser et Tom Siddon, d’anciens ministres des Pêches, lesquels ont tous deux dénoncé les changements dévastateurs que le projet de loi C-38 apporte à la protection de l’habitat du poisson et les conséquences imprévues qu’ils finiront certainement par entraîner.
Cette vision me rappelle des propos tenus par l’ancien économiste principal de la Banque mondiale, Herman Daly. Il a dit que nous « traitons la Terre comme une entreprise en liquidation », que c’est comme si nous procédions, à la hâte, à une vente finale. Son point de vue est diamétralement opposé. Selon lui, nous devons comprendre que l’économie est une filiale à part entière de l’environnement, que l’économie et l’environnement ne sont pas en concurrence et qu’il est aberrant de dire que la seule façon de créer des emplois, c’est en détruisant l’environnement. C’est insensé.
Mais il est plus facile de comprendre comment on s’y est pris pour rédiger ce projet de loi budgétaire omnibus. On comprend d’où vient le récit qu’on nous assène et on comprend que le cabinet du premier ministre a téléphoné au ministère de la Justice ou lui a simplement envoyé un courriel pour lui demander de trouver un moyen de retirer de la loi, dans la mesure du possible, toutes les obligations du gouvernement fédéral à l’égard de l’environnement, sans toutefois violer les dispositions constitutionnelles. Par exemple, il faut protéger les oiseaux migrateurs parce que le Canada a un traité avec les États-Unis qui l’y oblige. Il faut protéger les pêches parce que c’est inscrit dans la Constitution.
Seule cette explication permet de comprendre pourquoi les conservateurs ont abrogé la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale pour lui substituer une loi entièrement différente. Ils nous disent avant tout qu’ils veulent que les évaluations aient lieu plus rapidement. Je ne pense pas que cet objectif soit contesté.
En 2005, j’ai indiqué au ministre de l’Environnement que, pour réaliser l’évaluation du projet de nettoyage des étangs de goudron de Sydney, qui comportait lui-même des risques, il serait bon de se donner un échéancier. Ainsi, en 2005, le comité conjoint d’évaluation du projet de nettoyage des étangs de goudron de Sydney a dû respecter un échéancier de 12 mois. Ce fut possible avec la loi en vigueur. Il n’est pas nécessaire d’abroger la loi et d’en adopter une nouvelle.
En réponse aux doléances, les conservateurs affirment que c’est l’industrie qui exige ce changement législatif. Or, j’ai sous les yeux une note documentaire produite en janvier dernier par l’Association minière du Canada, note dans laquelle elle fait l’éloge de la mécanique actuelle d’évaluation environnementale. On peut y lire que « les modifications apportées à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale en 2010 ont été mises en oeuvre rapidement et avec compétence par l’agence » et que ces modifications ont « soulagé les promoteurs des projets miniers ». Elle dit aussi que, pour la première fois, « les évaluations provinciales et fédérales sont synchronisées ». Cette note provient de l’Association minière du Canada, qui serait prétendument l’un des groupes d’intérêt pour lesquels le gouvernement conservateur est en train de démolir toutes nos lois environnementales. L’Association minière du Canada a également écrit ceci: « en ce qui concerne l’examen de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, nous souhaitons avant tout à manifester notre satisfaction à l’égard du nouveau système établi […] et notre désir que le financement de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale soit renouvelé. »
Les gens doivent absolument comprendre que le gouvernement n’avait pas à abroger la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale pour établir une mécanique satisfaisant tous les intervenants. Il semble que le problème réside dans cette tentative désespérée de se précipiter. Ce que le gouvernement veut faire est énorme. Il veut abroger la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale et la remplacer par une nouvelle loi qui, dans le cadre de l’étude du projet de loi omnibus, ne pourra pas être adéquatement examinée avant d’être adoptée.
Les conservateurs éliminent les dispositions établissant les circonstances dans lesquelles un projet bénéficiant d’un financement fédéral doit faire l’objet d’une évaluation environnementale en bonne et due forme. Ces dispositions sont retirées de la loi. Le gouvernement se débarrasse des études approfondies. Ces dernières ne feront plus partie de la loi.
Ce qui constituerait une évaluation environnementale n’est pas réellement défini. Dans le document budgétaire, il est question d’une « évaluation environnementale standard », mais toutes les définitions de ce que serait le processus ont été supprimées dans le projet de loi C-38.
À mon avis, l’élimination des études approfondies et la création de commissions d’examen pouvant être substituées aux commissions provinciales, en l’absence de tout critère, amèneront l’industrie à demander au gouvernement pourquoi il a modifié un processus qui fonctionnait si bien, même « très bien » selon l’Association minière du Canada. En effet, il n’y aura plus aucune façon de savoir quel projet doit faire l’objet d’un examen et les circonstances dans lesquelles il faut faire intervenir la province.
Parallèlement, afin de démêler les critères fédéraux permettant de déterminer l’obligation d’effectuer une évaluation environnementale, le gouvernement a dressé une structure farfelue dans le domaine des pêches. Il faudra encore détenir un permis pour rejeter une substance nocive dans les eaux où vivent les poissons, mais toutes les protections relatives à l’habitat du poisson ont été éliminées.
Cela signifie — et, comme nous le savons tous, c’est un exemple réel — que si l’on souhaite réaliser un projet d’envergure qui implique, par exemple, le déversement de résidus dans un lac, il serait préférable — si celui-ci est dans une région éloignée où personne ne pêche — de vider le lac au complet, de tuer tous les poissons et de détruire l’habitat, car il serait possible de le faire sans autorisation. En revanche, il faudrait obtenir une autorisation pour rejeter des substances nocives dans l’habitat du poisson. C’est l’exemple parfait du vieil adage « ouvrage hâté, ouvrage gâté. »
Lors de la rédaction du projet de loi, on n’a pas suffisamment tenu compte des répercussions des modifications proposées à la Loi sur les pêches, la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale et la Loi sur les espèces en péril. Sous prétexte de créer des emplois, même quitte à le faire à la hâte au risque de tout gâter, on a présenté un projet de loi totalement inconsidéré.
Je rappelle à tous qu’il y a maintenant 20 ans que 26 hommes sont décédés dans la catastrophe de Westray. Il n’y avait pas d’évaluation environnementale à l’époque — le projet a été approuvé en 1988 —, mais il y a eu des avertissements. Les experts du ministère des Mines avaient indiqué que le secteur était trop riche en méthane, mais les politiciens de la région et certains du palier fédéral voulaient ces emplois à tout prix, au point de passer outre aux conseils des experts. Ils tenaient envers et contre tous à ce que Westray ouvre cette mine. Ils refusaient de s’encombrer de la moindre plainte sur les motifs d’opposition ou les conséquences éventuelles. Les fonds fédéraux ont donc coulé à flot. On a créé une bombe, dans laquelle on a fait entrer des hommes, dont 26 sont décédés.
Nous créons aujourd’hui une autre sorte de bombe. Le premier intervenant à propos du projet de loi n’a pas été le ministre des Finances, mais plutôt le ministre des Ressources naturelles, qui a présenté toutes les raisons justifiant les changements. Il a dit qu’il fallait se dépêcher, qu’il n’y avait pas de temps à perdre. Il a cité l’Agence internationale de l’énergie à propos de l’état actuel de la demande pour des combustibles fossiles partout dans le monde, mais jamais l’avertissement qu’a émis ce même organisme: il sera bientôt trop tard pour agir dans le dossier des changements climatiques. Voici ce que l’agence a déclaré plus tôt cette année: « L’inaction constitue une économie artificielle. Comme les années s’écoulent sans qu’un signal clair soit envoyé pour stimuler les investissements dans l’énergie verte, l’infrastructure à haute intensité carbonique s’enracine, ce qui a pour conséquence que nos objectifs en matière de sécurité énergétique et de lutte aux changements climatiques deviennent de plus en plus difficiles et coûteux à atteindre. » Nous devons changer de cap. Par le projet de loi, on appuie à fond sur le champignon pour aller frapper un énorme mur.
Revenons à la bombe que nous avons créée pour les travailleurs de Westray. Nous créons aujourd’hui une bombe climatique, une bombe au carbone. Le projet de loi n’a tellement pas de sens qu’il faut complètement le retirer.