Lettre à John Baird concernant le commerce des armes

L’honorable John Baird, C.P., député
Ministre des Affaires étrangères
Chambre des communes
Ottawa (Ontario)  K1A 0A2

Le 6 mars 2013

Monsieur,

Je vous écris pour vous exprimer mes espoirs et mes préoccupations concernant les prochaines négociations de la Conférence finale des Nations Unies au sujet du Traité sur le commerce des armes (TCA), qui se tiendra à New York du 18 au 28 mars 2013.

Comme deuxième volet de la première tentative mondiale intensive visant à créer des normes rigoureuses et exécutoires pour le contrôle du commerce international des armes classiques, cette conférence représente un rendez-vous unique avec l’histoire. On ne saurait trop insister sur son importance sur le plan humanitaire et sur le fait qu’elle pourrait permettre de sauver des vies.

La première raison pour laquelle je vous écris est de vous féliciter pour les efforts déployés jusqu’à présent par votre ministère et vous, visant à appuyer le succès des négociations sur le TCA, et de vous exhorter à prendre des mesures supplémentaires pour renforcer les dispositions du traité, en maintenant les normes les plus élevées de contrôle du transfert des armes destinées à des sites de conflit et de violence armée.

Je vous demande de prendre également toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que la minorité de pays sceptiques ne parvienne pas à miner ou à faire dérailler la réalisation actuelle de ces normes élevées lors des prochaines négociations. Cela exigera un engagement plus résolu du Canada à se faire le promoteur convaincant d’un traité significatif et énergique qui fait passer les droits de la personne dans le monde devant les intérêts commerciaux étroits des États.

La deuxième raison pour laquelle je vous écris est d’attirer votre attention sur les nombreuses lacunes du traité existant que le Canada pourrait combler. Je voudrais faire écho aux appels à l’amélioration déjà lancés par Ploughshares Canada, Amnistie Internationale, Oxfam Canada et Oxfam Québec. Entre autres choses, ces groupes ont fait la preuve de l’importance d’élargir la portée du traité pour y inclure toutes les armes, leurs pièces de rechange connexes et munitions, ainsi que toutes les méthodes et tous les types de transfert. Le traité tel qu’il est rédigé à l’heure actuelle ne s’étend pas à tous les types d’armes classiques et contient une définition étriquée de « transfert » qui exclut la possibilité que des armes soient fournies comme des cadeaux, des prêts, des locations ou de l’aide.

Si l’on veut endiguer complètement le flot d’armes classiques qui entrent dans des sites de conflit et de guerre, il faut que le traité soit aussi complet que possible. Voici certaines des autres améliorations à apporter que ces groupes ont mises en évidence : une plus grande clarification du langage prohibitif en matière de prévention du génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et de la violence fondée sur le sexe; l’exigence de mécanismes de reddition de comptes et de mesures de mise en œuvre énergiques; l’exclusion des lacunes pour les « accords de coopération en matière de défense » et l’adoption de critères rigoureux en matière d’évaluation du risque de violations des droits de la personne.

Enfin, je voudrais parler de plusieurs positions problématiques adoptées par le Canada à l’égard de certaines des propositions du Traité dans la première série de négociations. Le Canada ne peut être un modèle pour le monde et un défenseur des droits de la personne si ses actions sur la scène internationale ne sont pas à la hauteur de ses normes permettant de mesurer son succès ici. Par conséquent, la position inutile et en soi incompatible du Canada sur la corruption et le courtage me laisse perplexe.

Selon Transparency International, la corruption règne sur le commerce international d’armement. Dans de nombreux pays pauvres, non seulement elle provoque des conflits : elle mine également la capacité des gouvernements de lutter contre la pauvreté. Les négociations sur le TCA constituent un moyen efficace de régler le problème. Puisque le Canada a récemment amélioré ses propres règles en matière de corruption au moyen de modifications destinées à renforcer la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, pourquoi est-il contre le traitement de la corruption comme critère central pour évaluer si un marché en vue de l’achat d’armes devrait être conclu?

De même, la position du Canada sur le courtage dans les négociations nuit à l’obtention de normes mondiales rigoureuses. Son opposition à la disposition sur le courtage vient saper les engagements à lutter contre celui-ci qu’il a pris sur la scène internationale, y compris ses récents efforts en vue d’intégrer à la réglementation ses obligations et engagements au titre de l’Arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d’armes classiques ainsi que de marchandises militaires et de technologie à double usage. Cette opposition menace d’empêcher l’adoption d’une disposition sur le courtage dans le Traité. Je ne suis pas sûre des motifs pour lesquels le Canada s’oppose à l’extension de ses responsabilités juridiques et judiciaires que lui impose le Traité aux Canadiens qui font le commerce d’armes à l’étranger. Cependant, sa réticence à le faire laisse entendre que des impératifs plus importants que la protection de la vie humaine justifient cette exemption.

J’espère sincèrement que le Canada va émerger des négociations sur le TCA comme un chef de file quand il s’agira d’obtenir le meilleur traité possible.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

La députée de Saanich—Gulf Islands,
chef du Parti vert du Canada,

 

 

Elisabeth May, OC.