Mémoire soumis à la Commission d’examen conjoint du projet Enbridge Northern Gateway

À titre de chef du Parti vert du Canada et députée de Saanich—Gulf Islands, je suis reconnaissante d’avoir l’occasion de faire consigner au compte-rendu mes commentaires sur le projet d’Enbridge portant sur la construction d’un pipeline double d’une longueur de 1 177 kilomètres destiné à traverser le nord de la Colombie-Britannique et la construction d’un port à Kitimat pour recevoir les diluants et les acheminer vers l’Alberta ainsi que pour recevoir un mélange de diluants et de bitume en provenance de l’Alberta. Le projet proposé comprend en outre l’expédition de ce mélange à bord de superpétroliers, qui seront opérés par des inconnus vers des ports à ce jour non divulgués.

Ayant entendu les preuves et les témoignages présentés pendant près de huit mois, soit depuis le début des audiences, je souhaite formuler les observations suivantes :

  1. Le promoteur, Enbridge, a omis de fournir des renseignements précis sur les conséquences d’un éventuel déversement, sur terre ou en mer, du mélange qu’il propose de livrer ou de transporter par pipeline et de vendre à d’autres fournisseurs qui eux, se chargeront de l’expédier par bateau. Le déversement de Kalamazoo, Michigan, a confirmé que le bitume et ses diluants étaient beaucoup plus difficiles à nettoyer que le pétrole brut classique. Le promoteur admet désormais que tous ses éléments de preuve étaient basés sur une substance autre que celle qu’il propose de livrer. Pendant ce temps, il y a lieu de noter que peu de progrès ou d’avancées technologiques en lien avec le nettoyage de déversements de pétrole brut classique ont eu lieu depuis le déversement de l’Exxon Valdez.
  2. La culture de négligence du promoteur fait en sorte qu’il a violé le permis social que lui avait confié la population. Cet échec est bien documenté dans le rapport du Conseil national de la sécurité des transports (NTSB) des États-Unis (Enbridge Incorporated, Hazardous Liquid Pipeline Rupture and Release, Marshall, Michigan, 25 juillet 2010; Pipeline Accident Report, NTSB/PAR-12/01, PB2012-916501, 10 juillet 2012). Le déversement et les fuites de pipeline survenues en 2010 à Kalamazoo, Michigan, ainsi qu’un déversement additionnel survenu à l’été 2012 au Wisconsin, sont éloquents et illustrent à quel point la culture d’entreprise d’Enbridge souffre de négligence. Je tiens par ailleurs à féliciter la Commission d’avoir admis en preuve le rapport du NTSB des États-Unis aux audiences. Comme il a été démontré devant cette commission, la liste des échecs ayant conduit au déversement de Kalamazoo et aux actes de négligence subséquents, lors desquels le promoteur a fait fi des alarmes et continué à pomper un mélange de bitume et de diluants dans un pipeline défectueux, doivent entraîner le rejet de ce projet pour le moment.
  3. Le rapport déposé par le NTSB des États-Unis en juillet 2012 est également pertinent, puisqu’il démontre clairement que le projet d’Enbridge a été élaboré sans tenir compte de l’expérience acquise lors du grave déversement survenu au Michigan en 2010. Par conséquent, le projet présentement à l’étude doit être rejeté et le promoteur chargé de réviser toute proposition subséquente de manière à prendre en compte les enseignements tirés de l’échec de 2010.
  4. Le promoteur a fourni à cette commission une estimation mathématique des risques de déversement dans laquelle le promoteur a délibérément choisi d’exclure des déversements et accidents localisés survenus dans les eaux où le promoteur propose d’exercer ses activités. Le rapport du promoteur, qui sous-estime gravement les risques d’accident, est fantaisiste et absurde et doit être rejeté en bloc; la Commission devrait plutôt accepter l’examen minutieux de cette alchimie mathématique réalisé par la Raincoast Conservation Foundation.
  5. La nécessité d’augmenter la capacité du pipeline actuel n’a pas été démontrée. En fait, la Commission devrait admettre la preuve faite par J. David Hughes, qui explique qu’à moins d’augmenter la production de bitume de l’ordre de 150 % par rapport à la production actuelle, l’infrastructure du pipeline est plus qu’adéquate. (The Northern Gateway Pipeline: An Affront to the Public Interest and Long Term Energy Security of Canadians, 22 novembre 2011).
  6. Le mémoire soumis à cette commission par Transports Canada fut repris par les médias, qui l’ont interprété comme la confirmation de l’absence de risques graves liés au trafic des superpétroliers. En réalité, Transports Canada n’a jamais dit cela; il était plutôt question de « lacunes dans la réglementation ». Autrement dit, le mémoire affirmait qu’en cas de déversement, nous savions quel ministère serait responsable. Pour l’ensemble de l’examen réalisé, Transports Canada n’a fait aucune évaluation précise des passages particulièrement turbulents et des conditions de navigation difficiles que rencontreraient les superpétroliers. Les mots « détroit d’Hécate » n’apparaissent même pas au mémoire, et ce, même si le Marine Weather Hazards Manual d’Environnement Canada stipule que le détroit d’Hécate est « le quatrième plan d’eau le plus dangereux au monde. » Par conséquent, le mémoire soumis par Transports Canada ne devrait pas servir de preuve concernant les risques de la navigation le long des côtes de la Colombie-Britannique.
  7. Aucun organisme fédéral, pas plus que le promoteur, n’a présenté d’analyse crédible pour lever le moratoire de 1972, respecté par tous les gouvernements fédéraux et ceux de la Colombie-Britannique depuis sa mise en place. Le moratoire interdit la présence de superpétroliers le long des côtes de la Colombie-Britannique, y compris dans le port de Vancouver, qui bénéficie d’une clause de droit acquis. Le gouvernement fédéral et le promoteur souhaiteraient « faire semblant » que le moratoire n’existe pas. Il est vrai que le moratoire n’a jamais été enchâssé dans le droit, mais son respect depuis quarante ans est une admission considérable quant à son existence et à l’importance qu’on lui accorde. Cette commission a l’obligation de considérer que le fardeau de la preuve pour faire lever le moratoire appartient entièrement au promoteur du projet.
  8. Il est prouvé que la présence accrue de superpétroliers augmente considérablement les risques pour les baleines menacées qui vivent dans les eaux de la région. Un examen des menaces pour le rorqual à bosse réalisé par le ministère des Pêches et des Océans (MPO) en 2005 a identifié l’éventuel trafic de pétroliers à Kitimat comme constituant une menace au rétablissement de l’espèce. Le rorqual à bosse est inscrit sur la liste des espèces en péril dans la catégorie « espèces menacées ». Les chercheurs estiment cependant que le risque de collision entre le rorqual commun et un pétrolier est encore plus élevé. Les mesures d’atténuation proposées, qui consistent à placer des guetteurs de baleines sur chaque pétrolier, ne sont ni plus ni moins qu’un écran de fumée. La notion selon laquelle la présence d’un guetteur permettrait d’éviter d’éventuelles collisions avec des baleines en voie de disparition serait plausible seulement si le gouvernement interdisait la navigation de nuit, par visibilité réduite ou en cas de brouillard intense (typique à la région) ou encore en cas de tempête ou de violentes bourrasques de vent (également typiques à la région).
  9. Les droits des Premières Nations protégés par la Constitution n’ont pas été respectés par le promoteur. Le promoteur a fait de fausses représentations et exagéré l’importance de sa relation avec la nation haïda, un fait confirmé par une lettre envoyée à cette commission par le président du Conseil de la nation haïda l’année dernière. En outre, l’échéancier et les dates butoir établis pour les travaux de la présente commission ne résisteraient sans doute pas à une contestation judiciaire, puisqu’il existe de nombreux précédents concernant l’obligation de consulter les Premières Nations et l’obligation fiduciaire du gouvernement fédéral envers les Premières Nations.
  10. Le professeur Jeffrey Hutchings de l’Université Dalhousie a attiré l’attention sur le fait que le ministère des Pêches et des Océans n’a pas réussi à fournir l’information scientifique détaillée nécessaire pour permettre à cette commission d’évaluer l’étendue des dommages aux écosystèmes et aux pêches associés aux centaines d’ouvrages requis pour permettre au pipeline de franchir les cours d’eau. C’est une honte qu’un organisme gouvernemental puisse conclure que tous les dommages pourront être atténués lorsque, de son propre aveu, il n’a pas la capacité requise pour évaluer la situation sur le terrain parce qu’il ne dispose pas des ressources scientifiques et budgétaires nécessaires pour le faire.
  11. Les compressions budgétaires récentes rendent ce projet encore plus risqué, puisqu’elles affectent la capacité du pays à réagir à un déversement. Le Programme des urgences environnementales d’Environnement Canada a fermé tous ses bureaux régionaux, y compris celui de Vancouver, pour n’en conserver qu’un seul, à Québec. La Garde côtière est sur le point de perdre dix de ses centres d’opération. En Colombie-Britannique seulement, nous perdrons le service de recherche et sauvetage basé à Vancouver ainsi que les services de communications maritimes de Kitsilano, de Comox et de Tofino. Les compressions affectent la capacité de la Garde côtière à surveiller nos voies maritimes et à intervenir en cas d’infraction liée à la pollution marine. En outre, ce manque de capacité risque d’affecter la sécurité des marins.
  12. La capacité a subi un autre coup dur avec la décision de réduire les effectifs et le budget du Centre de recherche environnementale sur le pétrole et le gaz extracôtiers (CREPGE) du MPO, mettant ainsi un terme aux travaux en cours dans plusieurs domaines, y compris à l’« Étude de base sur les hydrocarbures dans le détroit d’Hécate ». Cette étude portait notamment sur les impacts des fuites d’hydrocarbures, les techniques de lutte contre un déversement de pétrole et la remise en état de l’environnement à la suite d’un déversement.
  13. Pendant ce temps, le programme du MPO sur la contamination chimique des mammifères marins a été aboli. La quasi-totalité des scientifiques du Ministère qui étudiaient les contaminants et la toxicologie marine au Canada ont été licenciés. Peter Ross, un éminent chercheur de renommée internationale basé à l’Institut des sciences de la mer, dans ma circonscription, a déploré le fait que « l’intégralité du dossier pollution du gouvernement du Canada, y compris en ce qui a trait à l’environnement marin réparti dans les trois océans du Canada, sera administré par cinq biologistes subalternes répartis dans l’ensemble du Canada, dont un en Colombie-Britannique » (« Ottawa Sinks Pollution Checks », Times Colonist, 20 mai 2012).
  14. La Commission d’examen conjoint devrait noter le fait que même lorsque les programmes énumérés aux points 10, 11, 12 et 13 étaient en vigueur, le commissaire à l’environnement et au développement durable, qui relève du Bureau du vérificateur général du Canada, avait conclu que le Canada n’avait pas la capacité requise pour réagir à un déversement ou à toute autre situation d’urgence en mer.

Ces commentaires ne sont pas exhaustifs, mais représentent des obstacles substantiels relatifs à la preuve qui doivent entraîner le rejet immédiat du projet à l’étude, qui sera déclaré irrecevable.

Le tout respectueusement soumis,

 

Elizabeth E. May, O.C.
Députée, Saanich—Gulf Islands