Elizabeth May : Monsieur le Président, c’est certainement une grande occasion pour la Chambre des communes de voir la majorité conservatrice amender son projet de loi et proposer ses propres amendements, parce qu’elle est confrontée à une opposition massive venant même de camps qui habituellement l’appuient, mentionnons notamment la série d’éditoriaux parus dans le Globe and Mail ainsi que les sénateurs conservateurs. Même l’ancienne vérificatrice générale, Sheila Fraser, est intervenue à l’étape de la première lecture, déclarant que le projet de loi est une atteinte à la démocratie.
Le député convient-il que le projet de loi tel qu’amendé par les conservateurs, quoique moins épouvantable, n’en demeure pas moins mauvais?
Kevin Lamoureux : Monsieur le Président, absolument. Très bien dit. Il importe de reconnaître le niveau d’opposition incroyable que soulèvent le projet de loi et la manière dont le gouvernement l’a présenté et tente de le faire adopter. Il est incroyable que le gouvernement traite ainsi la loi électorale.
Comme cela a été mentionné, je crois que même avec les amendements apportés, le projet de loi présente toujours des lacunes fondamentales. La plus importante est qu’il n’habilite ni Élections Canada ni le commissaire aux élections à obliger les gens à témoigner. C’est une lacune grave. Comment pouvons-nous appuyer le projet de loi sans que cela soit rectifié?
La première raison pour laquelle le public réclame une modification de la loi électorale est qu’il souhaite que l’on s’attaque aux problèmes survenus lors des dernières élections fédérales. Néanmoins, la loi électorale sera quand même affaiblie si nous adoptons le projet de loi dans sa forme actuelle, parce qu’il ne donne pas le pouvoir d’obliger les gens à témoigner. Élections Canada et le commissaire le confirment.
Par conséquent, j’implore le premier ministre de laisser les députés voter librement et j’invite les conservateurs à peser le pour et le contre et à s’opposer au projet de loi.
Elizabeth May : Monsieur le Président, je prends la parole, à cette étape du rapport, pour parler tout d’abord de mes deux amendements. J’avais espéré que des amendements importants auraient été adoptés à l’étape du rapport, mais les députés se souviendront que le comité a violé ses propres règlements en me refusant le droit de défendre mes amendements, de sorte qu’ils ont tous été rejetés.
Je tiens à remercier le ministre d’avoir daigné écouter les nombreuses dénonciations du projet de loi C-23 en première lecture. Malheureusement, malgré tous les amendements du gouvernement qui ont été acceptés en comité, le projet de loi est encore loin de justifier son titre de « Loi sur l’intégrité des élections ».
Pour en revenir brièvement sur les amendements que j’ai présentés en comité et qui ont été rejetés, je trouve déplorable que nous n’ayons pas saisi cette occasion pour entamer un vrai débat sur le remplacement du système uninominal majoritaire à un tour par un système de représentation proportionnelle. Je pense que la plupart des Canadiens seraient surpris de constater que les débats des chefs ne sont contrôlés par personne, et que l’instauration d’un système plus juste, comme celui qu’a présenté Démocratie en surveillance devant le comité, n’a été appuyé par aucun parti à l’exception du Parti vert.
Malgré l’obligation qui est faite aux électeurs de présenter de multiples pièces d’identité, notre système électoral n’est toujours pas aussi fiable et aussi sûr que celui qui existait avant la première série d’amendements apportés par les conservateurs, en 2006. J’aurais bien aimé qu’on exige que les travailleurs dans les bureaux de scrutin soient non partisans.
Un grand nombre d’amendements ont été présentés par les libéraux, les néo-démocrates et les verts sur bon nombre de ces questions, ainsi que sur un financement plus juste et sur des mesures visant à augmenter le taux de participation. J’ai également proposé en comité de ne plus avoir le vote par anticipation un dimanche. Je vais réessayer de défendre mes amendements devant vous, monsieur le Président.
Tous les amendements proposés par les partis d’opposition ont été rejetés en comité, à l’exception d’un seul, parce que le chef des membres conservateurs du comité a fait remarquer que son parti aurait présenté cet amendement s’il en avait eu l’occasion.
Mes deux amendements proposent une chose extraordinaire: supprimer, sur le bulletin de vote, le nom du parti politique qui figure à côté du nom du candidat. À mon avis, ça réduirait considérablement le contrôle excessif que les partis politiques exercent sur le processus électoral. Jusqu’en 1970 environ, les bulletins de vote n’indiquaient que le nom du candidat, c’est tout.
tomaPendant le temps qu’il me reste ce matin, j’aimerais parler des raisons pour lesquelles une loi sur l’intégrité des élections était devenue nécessaire, et pourquoi ce projet de loi est nettement insuffisant. Comme l’ont dit d’autres députés, c’est à la suite de plusieurs fraudes électorales que la population a commencé à réclamer la réforme de notre processus électoral.
Les amendements que j’ai présentés en comité, ainsi que ceux des libéraux et des néo-démocrates, proposaient de donner à Élections Canada les pouvoirs d’enquête dont cette organisation a besoin, notamment le pouvoir d’assigner un témoin à comparaître, et le pouvoir de faire enquête en cas de fraude, de tentatives de fraude et d’interventions pendant la campagne qui modifient l’issue des élections. Ces amendements ont été rejetés.
On s’est empressé de conclure que l’affaire des appels automatisés est maintenant réglée et qu’il n’y avait pas eu de fraude. Étant donné que le projet de loi ne prévoit pas des pouvoirs d’enquête adéquats en cas de fraude électorale, nous risquons donc d’avoir d’autres scandales comme celui des appels automatisés de 2011, et Élections Canada ne pourra toujours rien faire.
Dans le temps qui me reste, je voudrais encore une fois rappeler que nous avons eu non pas une fois, non pas deux fois, mais trois fois des ingérences scandaleuses dans notre processus électoral. Si elles s’étaient produites dans un pays du tiers monde, le genre de dictatures fantoches qui organisent des semblants d’élection, on aurait hoché de la tête en disant que c’est toujours ce qui arrive dans ces pays.
Le premier exemple s’est produit pendant l’élection de 2005-2006, lorsque la police du pays, la GRC, est intervenue délibérément dans la campagne électorale. Nous n’avons jamais vraiment su pourquoi le commissaire Zaccardelli avait enfreint le protocole de la GRC en publiant un communiqué de presse pendant la campagne électorale. Selon Paul Kennedy, de la Commission des plaintes du public contre la GRC, l’intervention de la GRC a représenté à la fois une violation de ses procédures normales et un tournant dans la campagne électorale de 2006. Il n’y a pas eu d’enquête parce que la commission n’avait pas le pouvoir d’assigner M. Zaccardelli à comparaître.
Le deuxième exemple s’est produit à Saanich—Gulf Islands, pendant la campagne électorale de 2008. Je n’étais pas personnellement visée, mais il était parfaitement clair, et de nombreuses plaintes ont été adressées à Élections Canada et à la GRC, que des appels informatisés avaient ciblé des partisans du NPD, ce qui a changé la donne et permis à un conservateur de se faire réélire, alors que les sondages indiquaient à l’évidence qu’il allait être battu.
Le candidat libéral était à égalité avec le candidat conservateur. Il n’y avait pas de candidat néo-démocrate sur le bulletin, car il s’était retiré. Une série d’appels téléphoniques semblant provenir du NPD ont été effectués la veille de l’élection. C’était tout simplement de la mystification; c’est apparemment le terme qu’il faut employer. C’est une technique selon laquelle on utilise un numéro de télécopieur personnel, en l’occurrence celui d’un bénévole du NPD, pour faire croire que l’appel provient du NPD, et on demande aux gens d’aller voter pour un candidat qui n’est plus éligible puisqu’il s’est retiré de la course. Cela a modifié les résultats de l’élection. Élections Canada a été chargé de faire une enquête, mais a renoncé, déclarant qu’il n’y avait aucune preuve et que nous devrions passer à autre chose.
Si certains députés se demandent si je suis en train de dénoncer l’incapacité d’Élections Canada et de la GRC d’aller jusqu’au fond de cette affaire, je tiens à leur dire qu’ils ont parfaitement raison car c’est exactement ce que je suis en train de faire. Ces deux organismes ont lamentablement échoué à leur devoir de protéger l’intégrité du processus électoral à Saanich—Gulf Islands, en 2008, et ils ont récidivé en 2011, avec le scandale des appels informatisés. Fort heureusement, le Conseil des Canadiens a décidé d’intenter des poursuites. S’il n’y avait pas eu le juge Mosley de la Cour fédérale, personne n’aurait analysé toutes les preuves et ne nous aurait fourni une description claire et détaillée de ce qui s’est produit. Dans son rapport du mois dernier, le commissaire d’Élections Canada, M. Yves Côté, nous a dit encore une fois qu’il n’y avait aucune preuve et que, par conséquent, il fallait passer à autre chose.
Voyons un peu ce que le juge Mosley a statué, car il est important que ce soit dit si l’on veut comprendre pourquoi ce projet de loi est tout à fait inadéquat, vu qu’il ne confère aucun pouvoir pour faire une enquête rigoureuse sur des délits de ce genre. Le juge Mosley a déclaré « qu’on a délibérément tenté de supprimer des voix pendant l’élection de 2011 ». C’est au paragraphe 177.
Au paragraphe 224, il dit:
J’estime qu’on a établi que des appels trompeurs quant à l’emplacement de bureaux de scrutin ont été faits à des électeurs de circonscriptions partout au pays, y compris les circonscriptions ici en cause, et que l’objet de ces appels était de supprimer le vote d’électeurs qui avaient, lors d’appels antérieurs d’identification, mentionné pour qui ils entendaient voter. |
Au paragraphe 246, le juge Mosley affirme ceci: « Je conclus que les demandeurs ont satisfait aux critères permettant d’établir la fraude. »
Au paragraphe 253, il dit ce qui suit:
Je ne doute pas […] que la confiance légitime des Canadiens a été ébranlée par la divulgation, du fait d’enquêtes du commissaire et de plaintes auprès d’Élections Canada, d’activités frauduleuses généralisées. |
Au paragraphe 256, il ajoute ceci:
[…] ces efforts semblent avoir ciblé les électeurs ayant exprimé plus tôt une préférence pour un parti d’opposition (ou tout autre parti que celui au pouvoir) […] |
Il existe des preuves tangibles révélant qui est responsable de cette situation. Nous savons que des milliers d’appels ont été faits, notamment dans ma circonscription et partout au pays. Immédiatement après les élections de mai 2011, j’ai écrit à Élections Canada pour lui faire part de mes préoccupations à propos des nombreuses tentatives visant à empêcher les électeurs de voter. Qui est responsable? Je n’ai pas dévoilé qui je crois être responsable de ces tentatives mais, au paragraphe 245, le juge Mosley a conclu ce qui suit.
J’estime […] que la source la plus probable des renseignements utilisés pour procéder aux appels trompeurs était la base de données du SGIC tenue et contrôlée par le PCC, et qu’une ou des personnes actuellement inconnues à cette Cour ont accédé à cette base de données à cette fin. […] La preuve permet […] de constater qu’on a fait preuve d’ingéniosité pour camoufler l’identité de ceux qui ont accédé à la base de données et fait en sorte que les appels soient passés. |
Quel genre de démocratie avons-nous là? Nous avons le témoignage d’un juge de la Cour fédérale, des milliers de plaintes de Canadiens de partout au pays, un commissaire aux élections fédérales qui affirme qu’il n’y a rien à examiner et que nous devrions tous passer à autre chose, et un projet de loi qui ne ferait rien pour empêcher l’utilisation illégitime d’appels automatisés lors d’élections futures.
Je soutiens la partie du projet de loi qui établit un registre d’appels automatisés au sein du CRTC, et j’en félicite le ministre. Cependant, ce registre n’est pas suffisant pour s’attaquer à l’utilisation illégitime d’appels automatisés et protéger les Canadiens, la démocratie canadienne et l’intégrité de notre processus électoral. Le projet de loi est loin d’atteindre ses objectifs. C’est un jour sombre pour la démocratie.
Kennedy Stewart : Monsieur le Président, la députée voudrait-elle nous faire part de ses observations sur ce qui s’est passé lorsque le comité a examiné cette mesure législative?
La députée avait proposé qu’on mène une étude sur la représentation proportionnelle, mais les libéraux ont voté contre cette proposition au comité, lors d’un vote par appel nominal. Bien entendu, nous avons appuyé la motion prévoyant l’inclusion d’une étude de la représentation proportionnelle dans le projet de loi. Peut-elle nous dire ce qu’elle pense du fait que les libéraux ont rejeté cette idée?
Elizabeth May : Monsieur le Président, oui, j’ai été déçue. Il s’agissait d’une proposition très modeste visant à discuter ouvertement de la représentation proportionnelle et elle n’a pas été appuyée par les libéraux. Je dois dire que j’ai aussi été très déçue que personne n’appuie l’amendement que je proposais, soit établir certaines règles en vue d’assurer l’équité lors du débat des chefs, même si le député de Toronto—Danforth a expliqué de façon assez convaincante les raisons pour lesquelles son parti n’appuyait pas cet amendement. Disons que j’ai eu beaucoup de déceptions lors de l’étude en comité.
Je crois que nous devons poursuivre nos efforts pour éliminer le système uninominal majoritaire à un tour, qui a des effets pervers. Je félicite le NPD d’avoir adopté une position ferme à cet égard, mais je crois que nous devons convaincre davantage de députés libéraux et conservateurs. Je sais que de nombreux députés au sein de ces deux partis sont d’avis que le système actuel a des effets pervers et souhaiteraient qu’il y ait une véritable réforme.
Wayne Easter : Monsieur le Président, je remercie la chef du Parti vert de ses observations. Je crois qu’elle a visé juste lorsqu’elle a dit en dernier que la possible adoption du projet de loi C-23 serait « un jour sombre pour la démocratie ».
La députée a donné plusieurs exemples. Il y a aussi deux autres éléments auxquels le gouvernement conservateur a nui. La façon dont le Canada tenait des élections, notamment grâce à Élections Canada, a déjà été un modèle à suivre. La même chose peut être dite au sujet de Statistique Canada, qui a déjà été l’un des meilleurs bureaux de statistique du monde, mais qui, depuis que les conservateurs sont au pouvoir, est considéré comme l’un des pires.
J’ai deux questions pour la députée. Premièrement, étant donné que le projet de loi C-23 nous empêche dans une certaine mesure de bien encadrer les élections et de faire enquête sur les manoeuvres suspectes, permettrait-il à un gouvernement d’acheter ou de voler les élections? Deuxièmement, devrions-nous demander aux Nations Unies d’envoyer des observateurs au Canada lors des prochaines élections?
Elizabeth May : Monsieur le Président, je présume que le deuxième volet de la question du député de Malpeque était quelque peu ironique. Je me contenterai donc de répondre au premier volet, à savoir: devrions-nous être inquiets?
Selon tout ce que j’ai pu lire — et je me suis beaucoup intéressée à ce qui s’est passé en 2008 à Saanich—Gulf Islands —, je crois que c’était un projet-pilote ayant pour but de déterminer si le recours à des appels automatisés pouvait changer le cours des élections dans une circonscription. Élections Canada et la GRC n’ont pas pu faire la lumière sur cette affaire. La GRC a dit à quelques personnes qui ont porté plainte qu’elle ne pouvait pas trouver le responsable de ces appels parce que le numéro de téléphone venait des États-Unis.
S’il avait été question d’un producteur de pornographie juvénile ou d’un réseau de traite de personnes, j’ose croire que nous aurions essayé de trouver l’origine de ces appels. Il est inacceptable de dire que nous n’avons pas pu trouver le responsable parce que le numéro utilisé vient des États-Unis. C’est comme s’il importait peu de savoir qui, de Gary Lunn ou de Briony Penn, a été élu. Or, c’est important, et l’heure est grave pour la démocratie canadienne lorsqu’une campagne frauduleuse d’appels automatisés peut faire changer le cours des élections.
J’estime que l’impossibilité de faire la lumière sur les élections de 2008 à Saanich—Gulf Islands a donné lieu à une utilisation répandue des appels automatisés en 2011 pour empêcher des électeurs de voter. Si nous ne réussissons pas à faire la lumière sur ce qui s’est passé en 2011, j’ose à peine en imaginer les conséquences pour les prochaines élections générales.